Tribune
Seules les très grosses entreprises et les start-up peuvent se permettre d'intégrer complètement leur achat média. Pour les autres types d'entreprises, le modèle hybride semble une voie intéressante à suivre pour ne pas se retrouver face à ses limites technologiques.

Depuis deux ans, l’internalisation, pratique pourtant ancienne, a le vent en poupe sur l’activité plus spécifique de l’achat média. Mais où en est-on réellement ? Est-ce l’eldorado rêvé d’une reprise en main de ses campagnes média et d’une maîtrise assurée des coûts ? Entre investissements financiers et humains, est-ce à la portée de tous ? Et quels impacts nous réserve l’essor de l’achat programmatique ?

Il y a là autant de limites et de perspectives qui laissent à penser que tout en s’accélérant – fin 2020, l’IAB Europe révélait que près d’un tiers des annonceurs étaient engagés dans un processus d'internalisation totale ou partielle de leurs achats médias digitaux -, l’internalisation est dans une phase de transition. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises qui internalisent développent finalement des modèles hybrides et évolutifs, où la proximité et la transparence avec les experts externes jouent un rôle fondamental.

Le fantasme de l’autonomie à 100%

Les entreprises ont souffert et pour certaines souffrent encore de ressentir une barrière entre elle et leur agence : que fait-elle exactement ? Quelles actions opère-t-elle réellement ? Quelle est finalement la valeur ajoutée qu’elle m’apporte ? Le flou a pu être savamment orchestré mais à l’image du reste de notre société, des entreprises ont perdu confiance en leur agence et sont désormais à la recherche d’une collaboration plus étroite avec les experts qui les accompagnent.

S’il existe quelques exemples d’entreprises qui ont totalement internalisé une partie de leurs achats médias, comme Air France et Seloger.com pour leur achat programmatique ou Veepee pour le search, le constat est clair : le modèle hybride prédomine. La voie, pour beaucoup d’entreprises, se trouve dans un équilibre entre les équipes recrutées en interne et l’appel à un prestataire externe qui opère en proximité en activant les différents leviers directement chez l’annonceur. L’objectif pour l’entreprise est alors de mieux comprendre le fonctionnement de ces différents leviers d’achats médias et d’optimiser sa stratégie par la convergence des expertises business, marketing et achats médias.

Par ailleurs, une démarche d’internalisation ne s’improvise pas. Bien souvent, une approche hybride permet de mettre le pied à l’étrier car l’entreprise doit comprendre ce qu’elle souhaite faire : internaliser tout ou partie, choisir les outils opérés en interne. Ainsi, bien souvent, les entreprises ont directement la charge des outils de search alors que pour le display et la vidéo, la plateforme DSP utilisée est la propriété de l’agence.

Cette démarche d’internalisation est également évolutive. En général, les entreprises ne sont pas en mesure à court terme de réaliser leur stratégie de moyens et répartir leur budget selon leurs objectifs ; l’agence continue alors à prendre en charge le découpage budgétaire et complète le fil rouge des actions au besoin. Puis, les interventions des agences deviennent plus ponctuelles dès lors que l’internalisation est bien mise en place ; les entreprises vont plus loin dans l’opérationnel, définissent des KPI et peuvent mener une démarche de change management. Quoiqu’il en soit, une internalisation ne se construit pas en six mois, les modèles d’internalisation s’élaborent au cas par cas.

L’internalisation ne s’adresse pas à tous

L’internalisation se pratique majoritairement dans deux types d’entreprises, chacune à l’opposé de l’échiquier : au sein de grandes entreprises - une étude de Digiday Research Brand Survey, parue fin 2018, indiquait que 55% des agences in-house avaient été mises en place dans des groupes au chiffre d’affaires supérieur à un milliard de dollars - et dans les start-up. Les premières opèrent une internalisation par expertise, levier par levier, qui leur permet de réaliser des économies d'échelle, quand les secondes se dotent d’un expert touche à tout, qui adopte une démarche de growth marketing.

Pour les entreprises de tailles intermédiaires, c’est un challenge beaucoup plus difficile à relever. Alors qu’elles commencent à avoir des besoins d’expertises plus pointues, leur chiffre d’affaires n’est pas suffisant pour espérer internaliser toutes les expertises dont elles ont besoin, sachant qu’un ETP oscille entre 100 000 et 200 000 euros suivant qu’il est en interne ou en externe. Il en est de même pour les entreprises du secteur BtoB, qui se trouvent confrontées à une autre problématique : la difficulté d’identifier la bonne audience qui limite de facto les investissements possibles.

Les entreprises qui décident d’opter pour l’intégration d’expertises se trouvent confrontées à un double enjeu : demeurer en phase avec les dernières avancées technologiques et disposer des compétences ad hoc. En effet, pour 62% des entreprises, recruter des experts opérationnels est la tâche la plus compliquée, à laquelle s’ajoute la question des perspectives d’évolution professionnelle proposées. Si dans les agences, les experts des achats médias changent de comptes clients tous les six mois à deux ans et sont stimulés par l’expérimentation sans cesse renouvelée de nouvelles technologies, ils peuvent a contrario avoir le sentiment de s’essouffler et de s’ennuyer en entreprise.

Phase de transition

Mais cette situation va-t-elle perdurer ? Il est légitime de se poser la question quand plusieurs facteurs se conjuguent. Le programmatique monte en puissance : en 2020, ce mode d'achat a représenté 61% des recettes display et reste en hausse : +4%, selon l'Observatoire de l'ePub qui vient d’être publié, dont Google et Facebook, plateformes dites «programmatique», trustent 80% des investissements.

Globalement, les investissements peuvent aujourd’hui être centralisés dans deux à cinq plateformes, un peu plus si l'on ajoute les réseaux sociaux, avec des équipements qui deviennent de plus en plus abordables. Enfin, cela s’accompagne d’une évolution des expertises. Nous sommes en effet dans une phase de transition où le nombre d’expertises se resserre en devenant plus profondes, avec la nécessité d’un certain volume de pilotage pour être suffisamment autonome. On peut ainsi imaginer que dans deux à cinq ans, les experts seront multiplateformes avec une diminution du temps consacré au paramétrage des campagnes.

Si l’accélération de l’internalisation est indéniable, avec des responsables marketing qui appréhendent de mieux en mieux les outils et les plateformes, grâce au transfert de compétences qui s’opère avec les agences, il n’en demeure pas moins que l’internalisation hybride leur assurera de ne pas se retrouver face à leurs limites technologiques et d’innovation. Dans ce contexte, les agences ont plus que jamais un rôle à jouer, par une démarche opérationnelle d’accompagnement en proximité et en transparence, et par une approche conseil visant à apporter un regard extérieur et de la vision.

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