C’est bien connu, les extraterrestres aiment bien analyser les signaux que nous émettons. Il se trouve que certains d’entre eux ont eu la bonne idée de survoler la France entre le 17 mars et le 11 mai. Nous avons pu nous procurer leur rapport.
Tout d’abord, leurs radars et autres caméras sophistiquées semblent avoir décelé un nombre inattendu de slogans créés pendant cette période (20% de plus par rapport à la même période en 2019). Cela tranche avec certaines crises précédentes au cours desquelles la production de slogans avait singulièrement diminué pendant quelques semaines. Ensuite, ils ont constaté, éberlués, que tous ces slogans tranchaient avec ce qu’ils constataient habituellement. Ceux-ci n’incitaient plus les humains à consommer, à voyager, à s’amuser, à se rencontrer. Mis bout à bout, cela ressemblait plutôt à une immense campagne à la fois corporate et humanitaire. Comme si les marques étaient subitement devenues engagées, bienveillantes, vertueuses. Comme si elles avaient attrapé une sorte de virus de la solidarité.
Des tas de mots étranges sont apparus pour la première fois dans le langage publicitaire qu’ils analysent depuis qu’un certain Bleustein-Blanchet a lancé cette occupation. Des termes comme «Covid 19», ou surtout «coronavirus», les ont mis sur la voie. D’autres mots, jamais utilisés auparavant dans leurs slogans, comme «confinement», «confinés», «résilience», se sont affichés sur leur écran de contrôle. Ainsi qu’un surprenant «applaudissons» qui les a laissés perplexes.
Investir dans l'humain
Sur un autre écran de leur vaisseau, ils ont constaté que les mots qui avaient le plus progressé dans la publicité par rapport à 2019 étaient dans l’ordre : «soutenons», «producteur», «restez», «aujourd’hui», «soin», «merci», «mobilise». Tout ceci a commencé à les intriguer fortement. D’autant que sur un dernier écran, le plus sophistiqué celui-ci, ils ont pu très clairement visualiser certains slogans dans leur intégralité. Ceux-ci invitaient les habitants de cette planète à réfléchir à leur avenir et à changer des choses : «Profitons de cette période pour inventer la finance de demain», «Reconstruisons dans un monde qui bouge»…
Ils ont aussi noté qu’une grande banque a dévoilé pendant cette période sa nouvelle signature : «Agir chaque jour dans votre intérêt et celui de la société», accompagnée d’un joli film, qui les a fait sourire en comparaison à de vieux slogans de banques stockés dans leurs serveurs, comme «Le pouvoir de dire oui» ou «Votre argent m’intéresse». Même les associations appelaient à investir, mais désormais dans l’humain : «C'est le moment d'investir. Investir dans les étreintes. Investir dans les promenades. Investir dans les éclats de rire. Investir dans la vie normale». Tous ces slogans, et ce qu’ils disent de notre espèce, ont déclenché pour la première fois chez eux une empathie à notre égard qu’ils n’avaient pas ressentie depuis longtemps.
Lorsqu’ils ont enfin compris, une partie de l’équipage n'a pas misé un seul anneau de Saturne sur la durée de ces bonnes résolutions humaines. Ils ont donc lancé les paris, et ont décidé de programmer leur prochain passage au-dessus de l’Hexagone dans dix ans. «On saura à cette date s’ils ont vraiment retenu la leçon», a dit, songeur, le capitaine, avant de réenclencher les moteurs à plasma.
Toutes les données concernant les slogans ont été fournies par l’Observatoire des slogans.