Tribune
Après le Covid-19, le monde que nous avons connu ne sera plus le même. Cette crise sanitaire et économique nous pousse à marquer un temps d’arrêt pour inventer le monde de demain. À nous designers, parmi d'autres métiers, d’aller à la rencontre des utilisateurs de l’extrême pour mieux dessiner le jour d’après.

Le constat est commun : la pandémie actuelle nous force à marquer un temps d’arrêt. Plus de trois milliards d’êtres humains doivent rester chez eux, un confinement qui offre à tous ceux qui ne sont pas sur le front face au virus l’opportunité de réfléchir à leurs besoins et leurs aspirations réelles. C'est un grand ménage de printemps du côté des usagers et des consommateurs mais aussi au niveau de la communauté. Que voulons-nous changer dans nos vies et nos sociétés ?

Individuelle ou collective, cette introspection est aujourd’hui criante mais elle ne date pas d’hier. N’oublions pas que ces dernières années, nous avons vu s’accumuler un faisceau d’indices traduisant un besoin profond de changements (mouvement des Gilets jaunes, grèves généralisées, #metoo, anxiété écologique...). La quête de sens, le fait d'être utile à la société, de se doter une raison d’être : voilà autant d’éléments de réponse apparus ces derniers mois. La loi Pacte, adoptée en avril 2019, est un exemple de cette prise de conscience face à la nécessité de s’engager.

Cette révolution, certaines entreprises - notamment dans le secteur du design - l’ont déjà embrassée depuis quelques années en développant des initiatives visant à accompagner le progrès par le design, à réconcilier sens et performance des marques, à mettre en place des partenariats durables... Cependant, à l’heure du grand questionnement, comment pouvons-nous appréhender les changements profonds qui découleront de la catastrophe pandémique ?

Reprendre le pouvoir de nos imaginaires

Si certains scientifiques avaient mis en garde face à ce genre de risques, on peut décemment reconnaître que nos sociétés n’étaient pas prêtes. Cependant, au lieu de plonger dans un fatalisme face à l’imprévisibilité relative des épreuves à venir, nous devons constater le positif de cette situation : tout reste encore à prévoir. Nous ne sommes plus obligés de nous laisser enfermer dans des récits moroses traçant de facto notre avenir. C’est à nous de reprendre le pouvoir de nos imaginaires et de dessiner une nouvelle voie.

À la sortie de cet épisode pandémique, repartir comme avant sera tentant, mais en réalité, ce n’est une solution ni viable ni enviable. Toutefois, réinventer demain en faisant table rase du monde dans lequel nous vivons est, en plus d’être irréaliste, peu pertinent. A nous, citoyens, Etats, entreprises, de faire le tri, de garder ce qui était vertueux, améliorer ce qui doit l’être ou abandonner ce qui nous emmenait droit dans le mur. Au-delà des usages quotidiens (télétravail généralisé, téléconsultation médicale...), se profilent des changements philosophiques.

Pour comprendre les bascules qui vont s’opérer, il faudra savoir écouter et décrypter les signaux faibles. En tant que collaborateur d’agence de design, je pense que nous devons servir de pont entre le réel et les entreprises, ou les marques. Pour cela, nous devons aller plus loin encore que ce que nous avons entrepris au travers de différentes initiatives. Discuter et écouter les consommateurs par le biais de l’intelligence collective ou faire le diagnostic des opinions sont de formidables outils que nous continuerons d’utiliser, seulement pour chercher les signaux faibles, traquer les irritants et les décrypter. Nous devons partir à la rencontre des utilisateurs extrêmes.

Dépasser les limites ordinaires

Par définition, un extrême est ce qui dépasse les limites ordinaires. L’utilisateur extrême est celui qui pousse les choses à leur dernière limite. En sortant un problème de son contexte et en décadrant l'exploration au-delà des utilisateurs cibles, on augmente les possibilités de saisir de réelles opportunités d’innovations. En 1872, Alexander Graham Bell pensait qu'il pourrait se servir de l'électronique naissante pour créer une machine avec un transmetteur et un receveur, qui pourrait envoyer des sons de manière télégraphique et ainsi aider les sourds à entendre. C’est ainsi qu’il inventa le téléphone. Pour les mêmes raisons, 100 ans plus tard, Vint Cerf a programmé les premiers protocoles de messagerie pour l'internet naissant. Les emails étaient le seul moyen de communiquer avec sa femme, sourde, lorsqu’il était au travail. L’immense majorité des utilisateurs de téléphones ou d’emails ne sont pas sourds mais c’est en s’intéressant aux problèmes de communication hors normes des personnes sourdes que deux innovations majeures virent le jour.

L’extrémisation des utilisateurs renvoie aux deux extrémités opposées du spectre d'utilisation d’un produit ou service. Leurs besoins et leurs aspirations sont amplifiés. Ils trouvent des solutions de contournement aux problèmes ou aux frustrations existants contrairement aux consommateurs moyens. Ils peuvent lancer des tendances et ainsi devenir early adopters d’un nouveau mouvement de consommation. C'est le cas par exemple des vegans, un mouvement considéré comme une niche il y a encore quelques années mais qui prend de l’ampleur.

Nous pouvons spéculer tant que nous voulons. A l’heure actuelle, tout est encore trop flou et bouillonnant pour pouvoir affirmer ce qu’il se passera au jour d’après. La seule certitude que nous avons, c’est que tout porte à croire que les utilisateurs et les consommateurs de demain auront pour la plupart extremisé leurs aspirations et qu’il est opportun de changer les règles en profondeur. C’est à nous d’aller à la rencontre de ceux qui auront quelque chose à nous apprendre, de les écouter, de les observer pour comprendre comment le monde d’aujourd’hui évolue vers le monde de demain.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.