Tribune
La loi Pacte, adoptée en mai 2019, incite les entreprises à réfléchir à leur raison d'être. L'élan humaniste inédit observé à l'occasion de la crise que nous traversons pourrait bien préfigurer d'une accélération de ce mouvement, voire d'une reconfiguration plus profonde des engagements des acteurs économiques.

La crise sanitaire que nous traversons affecte tous les secteurs. La communication dans son ensemble ne fait évidemment pas exception. Les budgets annuels passent sous les fourches caudines des services financiers et risquent le coup de rabot pour compenser les pertes avérées ou anticipées. Côté activité, la grande majorité des campagnes publicitaires sont mises en pause, sauf celles qui ont encore un sens dans cette période troublée où l’individu se recentre naturellement sur ses besoins primaires. L’évènementiel est à l’arrêt sans véritable perspective de reprise face à un déconfinement qui s’annonce progressif et qui appelle, dans le meilleur des scenarii, un maintien des mesures de distance sociale.

Nul besoin d’ajouter du pathos à cette tragédie que nous contemplons aux premières loges. Non. Changeons un instant de fil narratif pour montrer ce que la communication a de mieux à nous offrir dans cette situation. Et surtout, contredire le procès en bullshit qui lui est régulièrement fait.

De toute crise naissent des enseignements. Il serait déplacé de parler d'opportunités à l’heure où des médecins et des soignants risquent leur vie pour en sauver d’autres. À cet égard, il semblerait que celle du Covid-19 soit un catalyseur du fameux purpose qui agite la communauté des communicants depuis l’entrée en vigueur de la loi Pacte, qui consacre le statut d’entreprise à mission. Alors que la plupart des grands groupes interrogent depuis une décennie leur responsabilité sociale et environnementale, leurs dimensions citoyenne et solidaire semblaient encore parfois confinées à un débat purement sémantique où la créativité tenait davantage d’effets linguistiques que d’actions de terrain. La RSE est morte, vive le purpose !

Parler en priorité de leur utilité

Cette crise mondiale qui fragilise nos certitudes et remet en question nos besoins fondamentaux est-elle de nature à changer la perception que nous avons de l’engagement des entreprises ? Va-t-elle conduire ces mêmes entreprises à changer de système de valeurs et à adopter une approche moins centrée sur leurs besoins et davantage sur ceux de la société civile ? Il est trop tôt pour le dire, même si les Français attendent des marques qu’elles parlent en priorité de leur utilité face à la situation inédite de confinement (à 77%, selon le baromètre Covid-19 de Kantar) et informent sur leurs efforts pour faire face à la situation (75%). Les acteurs économiques se situent sur une ligne de crête puisque les Français les exhortent dans le même temps à ne pas exploiter la situation du coronavirus pour promouvoir la marque (75%).

Les hôpitaux manquent de respirateurs ? Renault, en délicatesse depuis plusieurs mois sur le marché de l’automobile, adapte en un temps record ses chaînes de production. Les professionnels de santé réclament du gel hydroalcoolique ? LVMH, leader mondial du luxe à l’arrêt, décide d’en produire en grande quantité. Les violences conjugales augmentent à cause du confinement ? Accor, dont les hôtels sont en majorité vides, met ses chambres à disposition des femmes dans le besoin. Certains produits ne font plus recette ? On loue publiquement l’engagement exemplaire des employés de grandes surfaces, «héros en seconde ligne».

Si l’heure du bilan social et économique réel de cette crise ne viendra que dans plusieurs mois, voire des années, l'altruisme des marques pour répondre à l’urgence de la situation n’a jamais autant semblé faire sens et donner du crédit à leur rôle sociétal. Alors que les revenus sont fortement impactés et que les actifs se déprécient, la réputation devient la valeur refuge. Les entreprises ont pris conscience que leur crédibilité post-crise se construit dès aujourd’hui : ne rien faire ou faire comme d’habitude - deux réflexes encore solidement ancrés - devient contre-productif. La situation enjoint de dépasser les schémas classiques. De changer de paradigme. D’agir pour le bien commun. De parler vrai, avec franchise. De revenir aux fondamentaux.

Besoin d’humanité

Cette crise peut-elle contribuer à mettre l’humain au coeur des engagements, plus qu’il ne l’est déjà ? Tout traumatisme invite généralement à se recentrer sur soi et sur ceux qui nous sont proches. Ne sommes-nous pas des animaux sociaux ? Du point de vue des entreprises, ce besoin d’humanité s’exprime avant tout vis-à-vis de l’interne. Dans cette période, les Français attendent que les marques s'engagent d’abord auprès de leurs collaborateurs. Ils sont seulement une minorité à souhaiter que les marques soutiennent les hôpitaux (41 %, selon la même étude Kantar) et aident le gouvernement (35 %). Une attente que les entreprises ont dans leur grande majorité intégré ces dernières semaines, que ce soit dans la tonalité de leurs communications ou dans les mesures concrètes pour protéger leurs salariés.

L’humain doit constituer le ciment de l’engagement des entreprises dans la période qui s’ouvre. Celles qui ont déjà un temps d’avance doivent maintenir leurs ambitions sociétales et continuer d’oser. Les autres pourront tout simplement s’appuyer sur l’aube d’une promesse pour se poser la question de ce qui fait réellement sens, non pas uniquement pour elles, mais pour leurs collaborateurs et les individus avec qui elles sont en relation. Dépasser les acceptions qui déshumanisent - cibles, audiences, parties prenantes - pour se recentrer sur l’humain et ses attentes.

Professionnels de la communication, nous sommes les témoins privilégiés de cette société en constante transformation et de ses aspirations profondes. Notre sensibilité sociologique et sémiologique doit nous conduire à prendre un rôle central dans les décisions que les dirigeants prendront pour façonner le monde d’après. Au-delà des effets de style.

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