L’Oréal vient de lancer « la Provençale », une nouvelle gamme de produits bio, quels sont les objectifs?
Hervé Navellou. Aujourd’hui, les consommateurs expriment l’envie de mieux consommer, pour eux, pour leur santé et pour la planète. Cela explique, entre autres choses, l’engouement actuel pour les produits bio. Actuellement, dans l’hygiène/beauté la part de marché du bio est faible, mais elle est en forte progression et devrait assez vite représenter 10%. Nous répondons déjà à cette demande avec notre marque Sanoflore (division Cosmétique Active). Nous avons, depuis des années, travaillé avec les services Recherche & Innovation de L’Oréal pour développer des galéniques bio de qualité.
Aujourd’hui, nous lançons donc cette nouvelle marque «La Provençale Bio» en grande surface avec l’objectif de démocratiser le bio. La gamme comprend des soins du visage, des savons et des gels douche à base d’huile d’olive bio AOC Provence, tous fabriqués en France, à un prix raisonnable.
Cela correspond aussi à une évolution radicale des attentes des consommateurs…
Oui, au-delà de ce souhait de mieux consommer, il y a aussi des attentes fortes en matière de transparence et d’ancrage local. Les consommateurs attendent des marques qu’elles soient proches, toujours connectées pour leur fournir les informations qu’ils attendent. Nous devons faire sorte qu’ils puissent s’informer sur nos produits en un clic et les comparer. D’autant que dans le même temps, il y a une foule d’informations, de buzz quotidiens sur les réseaux sociaux. À nous de veiller à ce que ce qui se dit sur nos marques soit juste et pertinent. Chez L’Oréal, nous avons toujours mis la qualité au cœur de notre mission: pas un produit ne sort de nos laboratoires sans avoir fait l’objet de plus de 100 tests (efficacité, innocuité…).
Par ailleurs, les marques sont de plus en plus questionnées sur leur engagement, leur politique développement durable, leur responsabilité.
Enfin, les clients font aussi montre d’exigences fortes en matière d’expérience, de service, d’attention. Il faut toujours mieux le(s) conseiller, l’accompagner, le coacher.
Quels sont les défis auxquels est confronté L’Oréal France?
Nous faisons face à un environnement en profonde mutation: la révolution digitale a aussi des conséquences sur les circuits de distribution et nos métiers. Par exemple, l'e-commerce qui ne représente aujourd’hui que 5% des ventes dans l’hygiène/beauté en France va progresser rapidement. Cela nous oblige à inventer de nouvelles «shopping expériences», à mettre en scène nos marques et nos offres de façon innovante sur ces nouveaux espaces. Dans le même temps, nous devons repenser l’expérience beauté dans nos canaux traditionnels: supermarché, pharmacie…
Quel est le rôle de la France pour le groupe L’Oréal?
Notre ambition, c’est que la France soit la plus belle vitrine pour nos marques: c’est le troisième plus gros marché pour L’Oréal, après les États-Unis et la Chine. On dispose dans l’Hexagone de toutes nos marques mondiales et des marques franco-françaises. Ces dernières ont d’ailleurs un rôle majeur en matière de développement via notre hub Lascad (qui regroupe les marques patrimoniales comme Dop, Mixa, Cadum etc.).
Talk-show télé pendant le festival de Cannes, forte présence sur les réseaux sociaux et YouTube… L’Oréal se pense-t-il aujourd’hui comme un média?
La création de contenu fait partie de l’expérience consommateur. L’Oréal Paris est la première marque à avoir créé des tutos make-up, coloration ou coiffure. Et l’on produit régulièrement des contenus live pour faire vivre l’actualité de nos marques. Le but est de créer des contenus de qualité, utiles, efficaces, et ainsi d’enrichir la relation avec les consommateurs. Nous avons aussi beaucoup développé la création d’événements : dernier en date, le défilé sur la Seine, le 30 septembre, lors de la fashion week. Nous avons fait vivre ce défilé en live sur les réseaux sociaux.
L’idée est aussi de tisser un lien plus émotionnel avec les consommateurs: c’est ce à quoi l'on aspire par exemple lorsqu’on diffuse en prime-time à la télévision, le nouvel opus du parfum, La vie est belle, de Lancôme.
Quelle est la place des influenceurs dans votre stratégie marketing?
Nous nous sommes toujours appuyés sur des prescripteurs: consommateurs influents, personnalités, blogueurs… Aujourd’hui, cette pratique s’intensifie: les influenceurs sont les prescripteurs de réseaux sociaux. Par exemple, avec Nyx Professional Make Up, marque de maquillage pro qui cible les jeunes, que nous avons rachetée il y a trois ans, nous avons développé des collaborations avec de nombreux make-up artists. Tous nos plans de communication s’appuient sur leur savoir-faire. Le contrat avec les influenceurs doit être clair et viser à co-créer un contenu de qualité pour leurs audiences.
Quelle est la tendance en matière de consommation des parfums/cosmétiques en France?
La consommation est plutôt stable en valeur, au global. Mais il y’a d’assez grandes disparités selon les gammes de produits et circuits de distribution: par exemple, les marques de santé vendues en pharmacie sont en croissance, alors que d’autres catégories vendues en supermarchés ont plutôt tendance à ralentir.
Vous avez beaucoup baroudé pour L’Oréal dans le monde avant de prendre en charge la France : quelle est la spécificité du marché français?
C’est vrai qu’en matière de beauté les usages varient d’un continent à l’autre. Ainsi, en Europe, la consommation de parfums est par exemple plus forte qu’ailleurs. La France est un berceau historique de la beauté, et on y retrouve donc un attachement fort aux marques.
Comment faites-vous pour rester dans la course de la transformation digitale?
Nous avons investi massivement dans le digital depuis 10 ans et veillons à un «upskilling» permanent de nos équipes. Il a fallu se remettre en question, s’adapter, intégrer les talents et développer de nouveaux outils sans pour autant perdre de vue les fondamentaux: la force des marques et la qualité de nos produits.
Comment travaillez-vous avec les start-up?
Nous rencontrons beaucoup de start-up dans la techno et le digital. Les objectifs sont multiples: repérer des signaux faibles, des idées prometteuses et insuffler un esprit start-up chez L’Oréal. Les start-up nous aident à inventer de nouvelles approches, à mener des projets disruptifs. Depuis 2017, L'Oréal est partenaire de l'accélérateur pour start-up de la beauté intégré à Station F. Et depuis décembre 2016, nous avons noué une alliance avec le fonds d’investissement Partech, afin de nous connecter aux innovations et services disruptifs qui ont le pouvoir de transformer l’expérience de la beauté des consommateurs.
L’Oréal a toujours été considéré comme une entreprise-école en matière de marketing, à quoi cela tient?
C’est vrai qu’il y a une culture forte chez L’Oréal, et pas qu’en marketing d’ailleurs. Nous donnons vite des responsabilités à nos collaborateurs, et nous les incitons à proposer, innover et agir. La richesse de L’Oréal, c’est aussi sa diversité de métiers, de marques et de modèles de distribution. C’est cette diversité couplée à cette culture d’entrepreneuriat qui attire et fidélise nos collaborateurs : d’ailleurs, beaucoup d’entre nous y sont entrés tôt et sont encore là…
Chiffres clés
13,39 milliards d’euros. C’est le chiffre d’affaires du groupe L’Oréal dans le monde au premier semestre 2018, en croissance de 6,6 % (à données comparables)
+ 36,4 %. C’est la croissance du e-commerce au premier semestre 2018. Il représente 9,5 % des ventes.
13 507 salariés (dont 27,2 % de collaborateurs dans les usines et centrales de distribution) en France
8 %, c’est la part que représentent les fonctions marketing digital et communication dans les effectifs.
Parcours
1984. Diplômé de HEC.
1994. Directeur de L’Oréal Paris en Allemagne.
1998. Directeur de la zone Amérique latine pour la Division Produits grand public.
2002. Directeur monde de Biotherm.
2005. Directeur de la division grand public de L’Oréal pour l’Asie.
2008. Directeur de l’Oréal Mexique.
2010. Directeur de la division produits grand public France, puis Europe de l’Ouest.
2015. Directeur général France de L’Oréal.