« Le secteur bancaire vit une mutation sans précédent », témoignait en septembre dernier sur BFM Business, Bertrand Cizeau, de BNP Paribas. Le directeur de la communication de « la banque d’un monde qui change » résumait bien la situation, tant la banque de détail se trouve à un croisement de phénomènes majeurs : montée en puissance des néobanques qui les challengent sur la relation client et captent la clientèle jeune, essoufflement des discours publicitaires traditionnels qui ont tendance à se confondre, fermetures d’agences. Bref, il y a urgence à réinventer leur modèle… Last but not least : l’entrée en vigueur en janvier de la DSP2 (Directive sur les services de paiement) et du RGPD (Règlement européen sur la protection des données). Deux « réglementations phénoménales », de l’aveu de Catherine Charrier-Leflaive, directrice de la banque de détail de La Banque Postale, qui induisent de lourds investissements pour ouvrir les données à des tiers et les sécuriser. Sans oublier le débarquement d'Orange Bank avec ses 28 millions de clients mobiles… À ce sujet, un patron de banque a confié aux Échos : « Ce qui m'inquiète le plus c'est qu'ils ne cherchent pas à gagner de l'argent. » De quoi augmenter la tension sur les prix, à laquelle participent déjà les start-up.
Les néobanques captent les jeunes
Elles s’appellent Compte Nickel, Monzo, N26 ou Revolut, ne sont pas toutes connues du grand public, mais elles ont un point commun : elles ont toutes franchi le cap des 500 000 clients l’année dernière. Plus qu’une goutte d’eau (comparé aux 24 millions de clients d’un Crédit Mutuel CIC), ces start-up sont un grain de sable dans la mécanique de conquête des jeunes, en quête d’immédiateté et de gratuité. L’enjeu est de taille. « On change très peu de banque dans sa vie : lorsqu’on accède à un crédit, et lorsqu’on est jeune, car on change de ville et on s’émancipe de la banque familiale. La jeunesse est très importante pour les banques », observe Olivier Altmann, dont l’agence de pub accompagne la Caisse d’Epargne depuis 2015. « Les néobanques nous poussent à nous adapter et à investir dans l’UX. Mais toutes les banques vont se mettre à niveau, et à terme, la différence se fera sur les services », nuance Catherine Charrier-Leflaive, de La Banque Postale. Si les néobanques n’ont qu’environ 5% du marché, pour Hugues Le Bret, fondateur et PDG de Compte-Nickel, « elles captent la conquête de clients et atteindront 20% du marché dans cinq à dix ans ». Chez BNP Paribas, qui a racheté la start-up (200 millions d’euros, selon Le Monde), « on ne voit pas de déperdition de clients mais de valeur, car ils virent leur salaire sur un deuxième compte », indique un fin connaisseur de la banque.
Les géants bancaires adaptent leur discours
En attendant de moderniser leurs lourdes infrastructures, les réseaux rachètent ou incubent des start-up – ce qui n’est pas sans rappeler le mouvement de concentration des banques en ligne. Et revoient leur copie publicitaire. Après douze ans passés avec Aubert Storch Associés, LCL remet son budget pub en jeu. Et le phénomène touche également la banque en ligne : Boursorama (Buzzman), ING Direct (Rosapark) et BforBank (en compétition) revisitent leur discours de marque pour sortir de leur niche. Se sentent-elles ringardisées par la nouvelle génération ? « Le digital a modifié le rapport aux marques, les avis en ligne permettent de générer de la confiance dans de nouveaux acteurs », avance Hugues Le Bret, qui a su attirer 700 000 clients en à peine quatre ans. D’un discours axé sur le produit, la banque doit « créer de la préférence de marque », explique Yvon Martin, directeur marketing d’ING Direct. Olivier Altmann ne dit pas le contraire : « Quand on se bat offre contre offre, on risque d’amoindrir la force de la marque devant des fonctionnalités reproductibles par d’autres, comme le virement par SMS. Les banques doivent construire un territoire spécifique. »
Réinventer le rôle l'agence
Alors que La Caisse d’Epargne vient de lancer La Communauté, un réseau social d’entraide, se pose la question du rôle des réseaux physiques. D’ici 2020, BNP Paribas fermera 200 agences, BPCE 400, LCL plus de 250, la Société Générale 300. Selon la Fédération bancaire française, 1 466 agences ont baissé le rideau depuis 2010. Poussé par le digital, le phénomène accélère : sur la même période, le nombre de Français fréquentant plusieurs fois par mois leur agence est tombé de 52 à 20%, selon BVA. « Les banquiers sont face à un problème : les clients à faible patrimoine veulent de l’humain, mais ils ne sont pas rentables, à l’inverse des fortunés », note Jean-François Levionnois, directeur général adjoint du cabinet. Que faire alors ? Laurent Bertin, le monsieur digitalisation d’Accenture France, « imagine des agences intelligentes, tournées vers du conseil assisté par les outils ». Sophie Heller, chief operating officer retail banking & services de BNP Paribas, mise, elle sur « un conseiller généraliste, gérant un écosystème d’experts qu’il active selon les besoins client. » Pour l’instant, les banques « sont au milieu du gué », tempère Accenture. « Elles ont un butoir en 2020 », ajoute BVA. D’ici-là, Altice devrait rejoindre Orange dans la banque : deux rivaux qui maillent déjà le territoire…
S'adapter aux agrégateurs de comptes
Dès janvier, les banques doivent se conformer à la DSP2 pour ouvrir leurs données à des tiers. Cela veut dire que des agrégateurs de comptes tels que Linxo ou Bankin deviendront des intermédiaires dans la gestion de compte en ligne ajoutant la possibilité de faire des transferts, éloignant potentiellement les banques de leurs clients. Ou offrant plus de visibilité, comme le pense La Banque Postale. Là aussi, les institutions s’y mettent : Société Générale a repris Fiduceo, BPCE a lancé Banxo… Laurent Bertin d’Accenture prévient, « il faut coller aux codes des Gafa ». À ce jour, ils ne sont pas une menace. Pour combien de temps ?