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La Coupe du monde de rugby, qui s’ouvre ce week-end en Angleterre, met en avant une discipline qui bénéficie de valeurs extrêmement positives. Les marques et les sponsors en raffolent. Une image que ce sport doit cultiver pour se préserver des travers du professionnalisme.

Il ne reste que quelques minutes à jouer ce samedi 5 septembre. Sur la pelouse du Stade de France, alors que l’équipe d’Ecosse est menée 19 à 16 par le XV de France, l’arbitre accorde une pénalité aux Ecossais. Trois points qui leur permettraient de décrocher un match nul. Mais ils préfèrent tenter l’essai pour remporter la rencontre. Le choix enthousiasme les 47 200 spectateurs, en majorité des Français, de l’enceinte dionysienne qui applaudissent cette décision sportive. L’Ecosse ne marque pas et le XV tricolore l’emporte. Ainsi va le rugby: les supporters encouragent aussi les adversaires. Le fair-play n’est pas un vain mot. A la veille de l’ouverture de la Coupe du monde (18 septembre-31 octobre en Angleterre), l’Ovalie se présente sous ses meilleurs atouts. Esprit d’équipe, solidarité, convivialité, respect sont les piliers d’une discipline particulièrement appréciée par les marques et les sponsors.

Solidarité, terroir, convivialité...

Sur le terrain des valeurs, le rugby marque les essais et plaque ses adversaires. Selon une enquête réalisée en 2014 par Kantar Sports (voir ci-dessous), ce sport est le premier sur les critères de solidarité, authenticité, combativité, engagement. Il est aussi considéré comme le plus fédérateur. «Le rugby à XV est principalement associé à trois familles de valeurs, indique l’institut. A celles qui sont propres aux sports collectifs (solidarité, convivialité, fédérateur), à la dimension physique (engagement, combativité, audace, respect), et aux valeurs humaines (populaire, authenticité).»

Cet «esprit d’équipe», c'est la signature de la Société générale. Partenaire du rugby français depuis 1987 et sponsor de premier rang de la Coupe du monde, la banque surfe sur les valeurs de ce sport (lire l'entretien). Comme GMF, qui a signé son premier contrat de sponsoring avec la Fédération française de rugby il y a trente ans. «La solidarité, le terroir, la convivialité… tout cela nous convient, confie Julie-Alexandra Bertolino, directrice marketing communication de GMF. Cet état d’esprit colle parfaitement à nos valeurs, et nous faisons confiance aux institutions afin qu’elles restent intactes.»

Les droits TV ont doublé, à 74 millions d'euros annuels...

Une précision utile car le rugby connaît depuis quelques années les travers du sport professionnel. L’argent bouscule la tradition. Les droits TV du championnat de France ont doublé, passant à 74 millions d’euros annuels. Et la médiatisation galope. Selon Sportlab, l’intérêt des Français pour le Top 14 (le championnat de France) est devenu aussi fort (28%) que celui pour la Ligue 1 de football. Parallèlement, des clubs comme le Racing Club de Toulon jouent la carte de la starification lors des recrutements de joueurs. Enfin, le dopage ou l’équité sportive ne sont plus des sujets tabous. Bref, le risque pour le rugby de se couper de ses racines et de ses valeurs existe.

«Depuis la mise en place du professionnalisme, des codes ont clairement été transgressés, affirme Laurent Depret, reporter à RMC Sport et spécialiste du rugby. Deux mondes antinomiques s'opposent: celui du rugby amateur et ses valeurs d’éducation, et celui du monde marchand aux objectifs économiques. Cela se voit dans le jeu où le don de soi tend à disparaître. Le rugby aujourd’hui est un produit proche du storytelling.» Pourtant, il semble que dans l’esprit du public, le rugby préserve son image. «Les valeurs du rugby bougent, mais à la marge seulement, affirme Gilles Dumas, coprésident de Sportlab. Le rugby profite d’un ADN très fort où l’équipe reste plus forte que l’individualité. Le rugby est incapable de sortir des stars. Les seules sont retraitées, comme Sébastien Chabal, ou  dirigeants, tel Bernard Laporte.» L’esprit d’équipe serait donc sauf.

... mais le rugby a su préserver son image

«Le rugby se professionnalise de plus en plus, mais nous sommes encore très loin du football, juge Véronique Valès, directrice de la communication de Gedimat. Toutefois, je reconnais que les joueurs sont moins accessibles et plus protégés par leurs clubs.» Fournisseur de la Ligue nationale de rugby, Gedimat cherchait un sport collectif. Le rugby, outre un coût plus abordable que le football, présentait d’autres avantages pour toucher ses clients artisans et masculins: «C’est un sport d’engagement, mais pas forcément violent», explique la dirigeante de l’enseigne de matériaux de construction. Sur ce point, les Français estiment que le rugby est même de moins en moins violent: selon Sportlab, le taux est passé de 56% en 2004 à 15% en 2012.

Difficile de trouver des traits négatifs attribués au rugby! D’après les sondages réguliers de TNS Sofres pour la Société Générale, seuls 1 à 2% des Français associent le rugby à la violence, au dopage, à l’argent et même à un surplus de publicité des sponsors. «Le seul point négatif serait la complexité des règles, pouvant laisser penser que ce sport est réservé à des initiés, relève Gilles Portelle, directeur général d’Havas Sport & Entertainment. Le grand avantage du rugby est sa capacité à répondre à de nombreux objectifs, comme, par exemple, la transmission familiale pour GMF, la performance pour BMW, ou l’accompagnement des supporters pour Orange.» Trois clients de l’agence de marketing sportif.

Visibilité toute l'année

Le rugby a également su construire la notoriété de ses compétitions. La discipline offre aux marques une visibilité durant toute l’année. Le feuilleton du Top 14 intéresse désormais autant les Français que le Tournoi des Six Nations. Quant à la Coupe du monde, tous les quatre ans, elle constitue un événement autant suivi que les Jeux olympiques ou qu’une Coupe du monde de football, selon Sportlab. TF1, diffuseur officiel du Mondial (qui a revendu une partie des droits à Canal+) ne s’y est pas trompé: un spot de 30 secondes diffusé à la mi-temps d’un des matchs de poule de la France est quasiment aussi cher (160 000 à 175 000 euros) que pour ceux des Français au Mondial de foot l’an dernier au Brésil (185 000 euros).

Valeur ajoutée spéculative

Face au football, qui fait figure de «méchant», le rugby profite clairement d’une valeur ajoutée spéculative. «L’image du rugby s’est construite en contraste avec celle du football, analyse Boris Helleu, maître de conférence à l’Université de Caen et spécialiste du sport business. Mais il faut se poser la question de la véracité de ces valeurs. Sport rabelaisien par excellence, aujourd’hui, on excuse tout au rugby.» L'ultime aléa est sportif. Le parcours du XV de France en Angleterre lors de la Coupe du monde sera primordial. Une élimination des équipiers de Thierry Dussautoir avant les quarts de finale serait considérée comme un échec industriel en pénalisant la montée en puissance économique de la discipline... et plomberait l’ambiance de la troisième mi-temps.

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