La décision du gouvernement de réduire les aides à l’apprentissage suscite une vive polémique. Alors que ce dispositif a largement fait ses preuves en matière d’insertion professionnelle, les entreprises, les jeunes et les organismes de formation s’inquiètent des conséquences de cette mesure.

Dans les tuyaux depuis quelque temps, la décision a été annoncée le 1er octobre par Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale : les aides de l’État en faveur de l’apprentissage vont être diminuées afin de participer à l’effort d’économies budgétaires (1 milliard d’euros d’économies estimées). Concrètement, l’aide directe à l’embauche va baisser de 6000 à 4500 euros et le plafond d’exonération de cotisations sociales va être relevé (de 0,5 Smic à 0,79). Le Premier ministre a déclaré regarder « si certaines aides à l’apprentissage ne (pouvaient) pas être reciblées » afin d’éviter les « effets d’aubaine ». Selon un récent rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), le coût des aides à l’apprentissage a été multiplié par 3,4 entre 2018 et 2022.

Les réactions à ces annonces n’ont pas tardé, notamment du côté des chefs d’entreprise. « 70 % des contrats d’apprentissage sont signés dans les PME. C’est une très grande réussite qui a contribué à la baisse du chômage ces dernières années », a assuré François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) dans une interview au Journal du dimanche. « C’est, depuis 40 ans, la seule politique publique qui a eu un effet massif sur l’emploi, et notamment sur l’emploi des jeunes », renchérit Éric Chevée, le vice-président de la Confédération auprès de Franceinfo. Attention à ne pas « casser cette dynamique », a même alerté Patrick Martin, président du Medef. « On est parfaitement conscients des contraintes budgétaires très fortes, mais ce serait un peu paradoxal après le succès rencontré par l’apprentissage à tous les niveaux de qualification », a-t-il déclaré.

Le représentant des apprentis de France-Anaf Aurélien Cadiou (lire interview ci-contre) est plus nuancé. Il estime, effectivement, que des entreprises et surtout de nombreuses écoles supérieures ont profité de l’« effet d’aubaine » lié à la mise en place de l’aide directe à l’embauche. Il prône une réforme de l’aide pour qu’elle incite les entreprises de moins de 250 salariés (et non toutes comme c’était le cas) à embaucher spécifiquement des jeunes éloignés de l’emploi (en décrochage scolaire, issus des Quartiers prioritaires de la politique de la ville-QVP, etc.).

Égalité des chances 

Les acteurs de la formation en alternance, eux aussi sont très inquiets. « Réduire les aides à l’alternance, c’est affaiblir l’avenir de nos jeunes, de nos entreprises et, au final, de notre économie tout entière », alerte Yann Gabay, cofondateur d’Oreegami, un organisme de formation dans le secteur du digital dont la mission est de révéler les talents pour favoriser l’égalité des chances. « L’alternance est un investissement rentable qui permet aux jeunes, notamment ceux issus de milieux modestes, d’accéder à des études supérieures et à des emplois stables », souligne le dirigeant de cet organisme qui intervient auprès de nombreuses entreprises du secteur de la communication (Havas Media Network, Dentsu, GroupM, TBWA, Publicis Media), notamment pour le compte de France Travail. En phase avec la position du président de l’Anaf, il s’insurge : « Mettre tous les contrats d’apprentissage et de professionnalisation dans le même panier, c’est une aberration ! » L’alternance permet à des élèves n’ayant pas les moyens de payer les études supérieures d’y accéder, souligne-t-il.

Une position partagée par Roland Gomez, PDG de l’entreprise de travail temporaire Proman qui emploie 5 000 collaborateurs. « L’apprentissage est le système qui permet à tous les jeunes qui ne sont pas très à l’aise dans le cursus scolaire classique d’apprendre de façon pratique et de découvrir progressivement les différents environnements de travail, tout en étant pris en main en entreprise par le maître d’apprentissage », vante le patron de l’entreprise familiale, lui-même ancien apprenti en BTS Force commerciale. Il se réjouit aussi du changement d’image de ce type de formation. « À une époque, le statut d’apprenti n’était pas très valorisé. Heureusement, ce n’est plus le cas », se réjouit-il.

Yann Gabay dénonce aussi l’attitude de certaines écoles de commerce, aux frais de scolarité déjà élevés, qui en ont profité pour les augmenter. Au niveau macro-économique, il craint que ces économies n’en soient pas vraiment… « Ces économies vont se transformer en charges pour l’État, car de nombreux jeunes vont se retrouver au chômage », alerte-t-il. Deux jeunes sur trois trouvent un emploi dans les six mois qui suivent leur apprentissage, souligne une étude réalisée en octobre 2023 par la Fédération Syntec. Cette étude va plus loin, elle calcule le rapport entre coûts (16,85 milliards d’euros) et bénéfices (18,31 milliards d’euros) de l’apprentissage en France. Les raisons de ce solde positif ? Des coûts sociaux évités par une meilleure insertion sur le marché du travail (5,7 milliards d’euros), la hausse des cotisations sociales (7,7 milliards) et des recettes publiques via l’augmentation du pouvoir d’achat des apprentis (3,3 milliards) ainsi que les coûts de formation évités (1,8 milliard d'euros). « Malgré la très forte montée en puissance du dispositif, l’apprentissage parvient à demeurer une dépense sociale non seulement très intéressante pour les apprentis et la société dans son ensemble, mais également très profitable pour les finances publiques », conclut-il.

Trois questions à Aurélien Cadiou, président de l’Association des apprentis de France (Anaf)

Quelle est la position de l’Anaf concernant les aides à l’apprentissage ?

Notre souhait, c’est que cette aide revienne à un niveau plus correct, mais aussi qu’elle soit étalée sur deux ans, le temps de la formation et, enfin, qu’elle soit plutôt destinée aux jeunes qui en ont réellement bessoin. Il faut que cette aide incite les entreprises à embaucher des jeunes qui ont plus de difficultés à accéder au marché du travail parce qu’ils sont en décrochage scolaire ou parce qu’ils sont issus des QVP (Quartiers prioritaires de la politique de la ville). Par ailleurs, nous demandons aussi depuis longtemps à ce que l’aide soit soumise à la formation du maître d’apprentissage. Nous sommes favorables à une régulation par la qualité de la formation.

Ces mesures ont-elles une incidence sur la rémunération des apprentis ?

Le gouvernement prévoit en plus de rajouter des charges salariales pour les apprentis. Pour que les apprentis continuent à percevoir le même salaire net, le gouvernement envisage une hausse du barème de rémunération. Concrètement, cela veut dire que les entreprises qui ont recours à l’apprentissage vont subir une double hausse.

Quel impact ces mesures d’économie vont-elles avoir sur les apprentis eux-mêmes ?

On a multiplié par trois le nombre d’apprentis, mais on a laissé de côté des jeunes qui ont le plus besoin de l’apprentissage car ils sont éloignés de la scolarité ou de l’emploi. D’une façon plus générale, on oublie toujours l’apprenti ; la question de sa situation économique ou sanitaire n’est jamais abordée. Depuis 2018, on a l’impression que l’apprentissage est perçu par le gouvernement comme une solution pour les entreprises et pas comme une chance pour les jeunes qui en ont besoin !

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