Même avec un marché de l’emploi qui commence à patiner, les entreprises peinent toujours à recruter. Aussi, la cooptation apparaît-elle de plus en plus comme une martingale. L’essayer, c’est souvent l’adopter.

Après une année 2022 euphorique, la baisse du nombre d’offres d’emploi des cadres a atteint 21 % en 2023, selon le cabinet Robert Walters, ce qui ramène le marché à un niveau similaire à celui de 2018. Pourtant, les candidats sont toujours confiants quant aux opportunités d’emploi dans leur secteur (76 %), 55 % d’entre eux souhaitant changer de job dans les douze mois pour un meilleur salaire (94 %), voire un autre management (46 %).

Selon la Dares, même en recul de 7 % par rapport au deuxième trimestre, on comptait toujours 353 000 postes vacants au troisième trimestre 2023. Aussi, la cooptation s’impose-t-elle de plus en plus dans la boîte à outils des entreprises. « On n’en parle pas assez, déplore Solal Botbol, cofondateur de Beev, spécialisée dans l’installation de bornes de recharge et la gestion de véhicules électriques, comme de toutes les bonnes pratiques RH. »

« Le recrutement n’est pas un long fleuve tranquille », résume Pierre Bailly, qui va soigner sa marque employeur, Histoire d’Or, avec une campagne de communication en mars-avril. Ce responsable recrutement et projets RH de l’une des marques de Thom Group a mis en place la cooptation depuis trois ans. « J’ai toujours été dans le recrutement de profils pénuriques, raconte Noëlla Gavier, directrice des ressources humaines chez Welcome to the jungle, acteur français de la marque employeur et du recrutement, coopter est fréquent dans les entreprises en forte croissance, pour accéder à des candidats qui ne sont, précisément, pas sur le marché. »

Pas un secteur ne se passe de cet instrument d’embauche. La cooptation est tendance. Pour preuve, les chiffres fournis par Basile, plateforme digitale qui optimise le recrutement par cooptation, qui voit le nombre d’utilisateurs doubler depuis l’an dernier, passant de 115 000 fin 2022 à 203 000 salariés fin juin 2023. « Les entreprises ont compris que ce qui était un ʺnice to have ʺ est devenu un ʺmust haveʺ, un incontournable », explique César Recher, cofondateur de Basile. D’où l’intérêt du groupe HelloWork qui l’a racheté en 2022. Pourtant Basile reste un nom méconnu. « La plateforme se développe en marque blanche, ajoute César Recher. Toute solution va être ʺbrandéeʺ aux couleurs du client. » Et sont ciblées tout particulièrement les entreprises de plus de 1 000 collaborateurs, avec plusieurs centaines de recrutement par an. Carrefour, Safran, Mazars ou bien encore Thom group ont adopté ce système.

Glisser un CV entre deux portes… la pratique est ancienne. Selon les données de Basile, 80 % des clients avaient déjà un programme. Mais, l’heure est à la professionnalisation. Et pour cause. « 95 % des propositions faites à des candidats issus de la cooptation sont acceptées, analyse Charlotte Gouiard, directrice du recrutement chez Mazars, contre 70 % pour des candidats approchés autrement. » Pour Mazars, l’équation est simple. Lancé en mars 2023, 3 500 noms ont été cooptés, 180 recrutés, contre 60 précédemment. L’objectif : au moins un recrutement sur cinq à l’avenir. Et Sébastien Joarlette, consultant en excellence managériale chez Oresys, cabinet de conseil indépendant, de souligner : « 64 % des candidats sont de meilleure qualité, avec un taux de rétention sur la durée trois fois supérieur aux candidats classiques. En effet, le sentiment d’attachement s’en trouve renforcé. »

Inflation folle

« En 2022, c’était du grand n’importe quoi, commente Christophe Amouroux, président de Twelve Consulting, cabinet conseil spécialisé dans les métiers de la santé, banque et assurance. Certaines boîtes ont lancé des montants incroyables, qui pouvaient atteindre les 15 000 euros. La monétisation de la cooptation est une pratique courante, à la limite de l’éthique. » Dans la même veine, celle d’une inflation folle des primes, on cite régulièrement Datadog ou bien encore certains grands cabinets d’audit. Christophe Amouroux a fait un tout autre choix : zéro rémunération. « Rien, pas d’argent ». Pas de quoi faire fuir les collaborateurs pour autant. Son taux de turn-over est de 15 %, quand la profession du conseil tourne à 28 %. Une position qui n’est pas isolée. 5 % des entreprises font ce choix, avec un don à une association à la clé. À raison ? « La récompense arrive en troisième position des leviers de motivation à coopter », explique César Recher. Une sur sept opte pour un avantage en nature : vélo électrique, restaurant, voire des bons cadeaux comme chez Decathlon. Variable, selon la difficulté à trouver le collaborateur, la prime tourne autour des 2 000 euros.

Mais ne risque-t-on pas, en cooptant, de recruter celui qui nous ressemble au mépris de la diversité ? Pierre Bailly emploie le terme fort de « consanguinité ». Demain, tous des clones ? Un argument que balaie Jeanne Marquis : « Ce dispositif permet de mettre dans le pipe des profils atypiques, qui ne cochent peut-être pas toutes les cases, mais le ʺculture fitʺ est bon », explique la talent acquisition specialist de Memo Bank, banque qui s’adresse au marché des PME en Europe. Autrement dit, l’état d’esprit du futur collaborateur et la culture de l’entreprise sont alignés. Mais une condition revient pour optimiser le process : l’animation. Ainsi, début janvier, Memo Bank va doubler la prime. « Les collaborateurs ont la tête plongée dans le quotidien, note Jeanne Marquis. Il faut les motiver. » Rarement plus de 30 % s’appuient sur la cooptation.

Trois questions à Gautier Kertudo, avocat spécialisé en droit social, associé au sein du cabinet Barthélémy

Êtes-vous de plus en plus souvent sollicité pour la mise en place d’un dispositif de cooptation ?

Notre cabinet compte 150 avocats répartis sur tout le territoire. Et on a tous des clients qui nous ont demandé de les aider en ce sens. C’est valable dans tout type d’entreprise privée, de la très petite à la grande - des structures hospitalières privées, par exemple. Les sollicitations sont en hausse. On en enregistre davantage depuis deux ans. Le procédé est très courant dans le monde des avocats, d’ailleurs. Nous-mêmes l’utilisons.

N’y a-t-il pas un certain formalisme à respecter ?

Nous recommandons de passer par une charte ou une décision unilatérale de l’employeur (DUE). On vient alors fixer les conditions de versement – il n’existe aucun plafond -, de la cooptation. Quels salariés concernés ? Quels postes visés ? Quand verser la prime ?… Tout cela sur un document de deux pages, même si cela pourrait très bien se faire sur papier libre. Il y a plus à gagner à le formaliser, cela sécurise.

Quels seraient les risques à ne pas cadrer le dispositif ?

Même si je n’ai pas – pour l’heure - vu de dossier de redressement de l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) par rapport à la cooptation, et à la création d’une prime, le formalisme via une DUE permet d’éviter tout problème en cas de contrôle. C’est la même chose pour les cadeaux ou avantages. Et il y en a de toutes sortes, comme un accès à des formations. Sur ce point, l’Urssaf serait à même de creuser la proportionnalité entre la valeur du cadeau et l’enjeu, par exemple.