Les déboires outre-Atlantique de WeWork poussent à se poser des questions sur le coworking et son développement en France. Effet de mode transitoire ou alternative durable sur le marché du travail ?
La chargée de communication de WeWork enchaîne les interviews. Mission déminage. Une vraie traque à « l’amalgame » pour celle qui défend en Europe les couleurs de ce leader américain du coworking, bureau partagé en français, mis à mal aux États-Unis et au Canada. « L’information est mal traitée, s’agace-t-elle. Par pur sensationnalisme, les titres sur WeWork comportent toujours le terme faillite, pour le démentir dans le corps de l’article. Et si le titre est en accès libre, le reste ne l’est que sur abonnement. Ce n’est pas un déni, le mot d’ordre pour nous est ʺbusiness as usualʺ. »
Créée en 2010, arrivée à Paris en 2016, WeWork présente tous les ingrédients d’une success story : 700 bureaux dans le monde - avec un pic à 800 en 2020 -, dont une dizaine à Paris, 20 milliards de dollars injectés par le japonais Softbank… Son cofondateur haut en couleur, Adam Neumann, débarqué en 2019, a même laissé la trace de son caractère fantasque dans une série, WeCrashed, sur Apple TV+. Mais la machine s’est grippée : une entrée en Bourse ratée et l’annonce, début novembre, du recours au chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites pour les États-Unis et le Canada. Une situation qui n’a rien d’affolant au pays d’Elon Musk ou de Mark Zuckerberg. « Une simple recherche sur Google donne une liste d’entreprises connues qui ont été sous “bankruptcy” [en faillite] à un moment ou à un autre, tempère Jabril Bensedrine, fondateur de The Triana Group, installé à New-York, et en sont sorties renforcées. » D’ailleurs, ce businessman fait toujours confiance à WeWork, en plus de son bureau fixe, en propre.
Cet optimisme n'est pas toujours partagé de ce côté-ci de l’Atlantique. « WeWork ? C’est la fausse bonne idée, commente Jacques Tibéri, rédacteur en chef du Low-Tech journal, et qui, auparavant, a géré de l’immobilier professionnel. Les chiffres n’ont jamais été bons. Mais avec un bon storytelling et un manque flagrant d’analyse sociologique, le concept a pu paraître génial. Soumis à l’expérimentation, cela se casse la figure. On aurait pu le prédire. » Les chiffres d’occupation que l’on peut retrouver en ligne tournent autour des 70 %. « Comment voulez-vous que cela tienne si seuls les free-lances les fréquentent, interroge Odile Duchenne, directrice d’Actineo, l’Observatoire de qualité de vie au travail. L’idée originelle de vouloir mélanger des gens d’univers différents n’est pas rentable. »
Dans le cadre d’un projet de travail hybride, avec un et quatre jours de télétravail déclarés, Dentsu s’est installé il y a deux ans au 67 avenue de Wagram, à Paris, au coeur du réseau de WeWork en France. Une adresse prestigieuse assortie de la possibilité de profiter de tous les WeWork de France. Toutefois, Jérémy Raccah, directeur associé de GIF Immobilier, consultant en immobilier d’entreprise, martèle que l’offre est disparate : « Emplacement, emplacement, emplacement ! C’est la première chose que l’on apprend dans l’immobilier, qu’il soit d’habitat ou professionnel. Or WeWork s’est étendu dans beaucoup de zones secondaires. »
Le prix d’appel – souvent de 500 euros par poste de travail à Paris - peut vite s’envoler. Une salle de réunion ? Un café ? Un repas ? Un office manager ? Et l’addition grimpe. Une formule intéressante, mais pas pour tout le temps. « Le coworking est adapté pour des entreprises en pleine croissance, détaille Jérémy Raccah, mais n’a plus vraiment de sens en phase de stabilisation. » Selon le baromètre Actineo, réalisé en mai 2023, seuls 7 % des collaborateurs qui travaillent au moins une fois par mois en dehors de leurs bureaux optent pour du coworking. Autrement dit « peanuts ». « Les gros paquebots n’ont pas trouvé de rentabilité financière », commente Odile Duchenne.
Bureaux opérés
La tendance est toutefois bonne pour IWG, multinationale spécialisée dans les espaces de travail : +14 % de chiffre d’affaires au premier semestre 2023. « Cela n’a jamais été aussi haut », note Christophe Burckart, directeur général de l’entreprise forte de 3500 sites, dont 612 nouveaux signés en neuf mois, et un trafic en hausse de 22 % entre 2022 et 2023. Et en régions, les ouvertures se multiplient (Brest [Finistère], Carquefou [Loire-Atlantique], Dax [Landes]…). « Dans chaque secteur, des entreprises rencontrent des difficultés, sans remettre pour autant en cause le potentiel du marché. »
Wojo, Kwerk, IWG et ses différentes marques ont repensé leur offre. Dorénavant, on parle de « bureaux opérés ». « Le terme de coworking avait un petit côté repoussoir, confie Lawrence Knights, cofondateur de Kwerk. C’était très polysémique. Aussi, on l’a zappé – pas pour la cosmétique - mais pour travailler la prestation. » On se croirait à l’hôtel. Ces grands noms de l’immobilier gèrent maintenant les fournisseurs, la décoration, le mobilier, le sport, la cafétéria, le restaurant, l’informatique… Et ça marche. « 25 % de nos contrats sont conclus pour des longues périodes, explique Stéphane Bensimon, fondateur de Wojo, à savoir 20 mois. Aller au bureau ne doit pas être pénible. L’hybridation demeurera. Même si un effet de balancier est perceptible, le rythme de cinq jours sur cinq au bureau ne reviendra pas. Selon JLL, experte américaine en immobilier, la formule devrait compter pour 30 % des bureaux à l’horizon 2030. » Le taux actuel est de 5 %. Le coworking nouvelle version serait aussi un levier d’attractivité pour recruter des jeunes talents. « Le format coche presque toutes les cases », assure le patron de Wojo.
Peut-on parler de fin du coworking ?
Le coworking sera toujours adapté aux free-lances et aux startuppers qui ne veulent pas s’engager sur le long terme. Mais le télétravail ne séduit pas de nouvelles populations de salariés des grandes entreprises. Le retour en arrière est de mise. De même pour le coliving, dont les tentatives n’ont pas eu l’impact attendu.
Qu’est-ce que le « coliving » ?
Le concept reprend l’idée du coworking, qui est de chercher à rompre l’isolement. Et là, permettre à des familles de partager un espace de vie et de loisirs. Un format d’inspiration américaine, de la Côte Ouest. On pourrait le qualifier « d’auberge espagnole du cadre ». L’intérêt ? Répondre à des problématiques de logement avec des prestations hôtelières associées. Sont visés les familles expatriées, les trentenaires, les télétravailleurs… Mais le schéma reste encore marginal. Les acteurs du secteur comme WeWork précisément l’ont progressivement abandonné, d’ailleurs.
La mise de côté du coliving, en plus des mésaventures de WeWork pour le volet bureau, signifie-t-elle que l’hybridation tangue ?
Une forme de nostalgie par rapport à une façon de vivre moins individualiste s’exprime au travers de l’intérêt porté à l’hybridation du travail, ou de la vie tout court. Pour développer le lien social, de façon temporaire. Mais le process ne prend pas pour les collaborateurs dispatchés dans différents lieux. Avec l’expérience, on s’aperçoit des limites du coworking et du télétravail mal organisés. Tout n’est pas télé-travaillable. Et le coworking ne répond pas aux aspirations actuelles, d’où l’évolution de la proposition faite sous cette appellation.