À l’occasion de la 71e édition des Cannes Lions (17-21 juin), Stratégies a interrogé treize créatifs français, qui partagent leur coup de cœur parmi la production publicitaire du monde entier de ces derniers mois.

« Greatest Hates Vol. 3 » de Liquid Death (fait en interne)

Pays : États-Unis

Le choix de Fabienne Fiorucci Fouï, directrice de la création d’Artefact 3000

« Liquid Death réinvente le marché de l’eau avec sa typographie gothique et sa tête de mort sur ses canettes de style 8.6. À la tête de cette marque, un ancien créatif d’agence qui garde la conception de sa com "in house", à base de gros brainstormings arrosés d’eau plate ou légèrement aromatisée. En 2023, la marque a sorti des idées presque toutes les semaines : avec des rock stars en vue, dont le batteur américain de Blink-182, Travis Barker, époux de Kourtney Kardashian, des vidéos super craftées ou encore un packaging en forme de cercueil. Si je devais citer une seule campagne, ça serait la sortie de l’album "Greatest Hates Vol. 3", qui transforme les commentaires de haters en chansons des années 80. C’est l’extension d’une campagne existante où la marque va encore plus loin cette fois-ci, avec dix titres dont « F*ck Whoever Started This », dont le clip délirant met en scène des puritains qui dansent et attachent un livreur de pizza et une canette Liquid Death à un pieu avant d’y mettre le feu. Infernal. »

« Boring is essential » d’Arnold Worldwide pour PNC Bank

Pays : États-Unis

Le choix de Marion Bouillaguet, directrice de création associée de Big Success

« Quand j’ai vu cette publicité, j’ai tout de suite pu imaginer le brief : l’une des plus grosses institutions bancaires américaines demande à son agence de mettre en avant son pragmatisme financier dans une grande campagne de publicité. Et la réponse immédiate des créatifs : "Boooring !". Elle est là l’idée, juste sous nos yeux, elle s’impose parce qu’elle est évidente. C’est ce que j’aime dans cette campagne, elle n’essaye pas de rendre sexy quelque chose qui ne l’est pas, elle assume pleinement ce qu’elle est dans une sorte de "coming out" de l’ennui. Oui je suis boring, et alors ? Ça donne un film drôle, porté par l’acteur Chris Diamantopoulos, délicieusement décalé, et ça permet de faire passer un message un peu assommant d’une façon qui ne l’est pas du tout ! Est-ce que ce n’est pas ça une bonne publicité, au final ? »

« Life is not an Ikea catalogue » de l’agence TRY pour Ikea

Pays : Norvège

Le choix de Jérôme Diez, directeur de la création de Josiane

« Tout y est. Un insight fort (avec Ikea, tous les appartements finissent par se ressembler, la seule différence, c’est la vie qu’on y met dedans), un discours qui parle de notre époque et qui se permet subtilement d’avoir un point de vue dessus (arrêtons de faire croire que nos vies sont parfaites), une réalisation simple, épurée et pourtant si juste. Le tout, pour un coût de production que j’imagine très raisonnable. On pense toujours qu’il faut faire du spectaculaire, du bizarre ou avoir des célébrités pour émerger. Cette campagne prouve que lorsque l’on a le bon point de vue sur la marque, sur l’époque et qu’on a un annonceur prêt à prendre le risque de malmener un peu sa marque (ce n’est pas tous les jours qu’on voit du vomi et de l’urine de chien dans une publicité), on obtient une des meilleures campagnes de ces dix dernières années. Bravo à Ikea d’avoir eu le courage d’oser l’autodérision et de montrer ses clients sous leur plus mauvais jour. »

« CeraVe with Michael Cera… Ve » d’Ogilvy pour CeraVe

Pays : États-Unis

Le choix de Marie-Eve Schoettl, executive creative director de Publicis Luxe

« Ça commence par un jeu de mots débile, une homophonie pour être exacte. Une influenceuse beauté accole le nom de l’acteur de SuperGrave au logo de CeraVe. "Michael CeraVe… Mon Dieu, s’interroge l’influenceuse, est-ce possible ? Michael Cera serait-il le créateur de la marque CeraVe ? Mais oui, c’est évident, avez-vous remarqué son glow ?" La rumeur se propage au point où le groupe CeraVe doit faire un démenti : "Nous développons nos produits avec des dermatologues. Pas avec Michael Cera." Fin de l’histoire ? Pas du tout. Lors d’un entretien hilarant avec la youtubeuse Bobbi Althoff, Michael Cera multiplie les sous-entendus et les déclarations ambiguës ("I am not saying I own CeraVe. But look at the name. I mean, I might have some skin in the game"). Entrent en scène la grande famille des complotistes et des debunkers. C’est dans le couloir publicitaire du Super Bowl que le canular trouve sa résolution. CeraVe diffuse une publicité qui parodie les films de beauté : on y voit des scientifiques sexy, il y a des crash-tests surréalistes, de la chimie poétique… Le tout est porté par Michael Cera en égérie irrésistible qui murmure à l’oreille des dauphins. La campagne réussit à embarquer la Terre entière aux confins du second degré grâce à une orchestration géniale taillée sur mesure pour la Gen Z. »

Et le choix de Matthieu Elkaim, co-président et chief creative officer d’Ogilvy Paris

« Ce n’est pas très correct de mettre en avant un travail de son réseau, certes, mais s’il y a une campagne internationale qui m’a rendu jaloux cette année, c’est bien celle-ci. Tout part d’un jeu de mots. D’une blague assez nulle. De vraiment pas grand-chose. On imagine tellement ce moment où je ne sais qui dit dans une réunion : "Et si on prenait Michael Cera comme ambassadeur pour notre prochaine campagne CeraVe ?" Et ça se termine au Super Bowl. La campagne est un carton. CeraVe ne prétend pas sauver la planète ou régler quoique ce soit qui dysfonctionne dans ce monde, non, elle vend une crème hydratante développée par des dermatologues. Une campagne hyperdrôle pour une marque de crème très sérieuse et premier degré. Et ça marche. L’enseignement, selon moi, réside dans la capacité de l’agence à tirer le fil d’une idée, aussi simple et basique soit elle, pour finir par la rendre implacable, efficace, créative et "pop culturelle". »

« The Banned Book Club » de FCB pour la Digital Public Library of America (DPLA)

Pays : États-Unis

Le choix de Philippe Boucheron, directeur de la création d’Australie.GAD

« Les interdictions de livres aux États-Unis sont l’une des plus grandes menaces pour la liberté d’expression. La Digital Public Library of America (DPLA) a lancé The Banned Book Club afin de garantir l’accès des lecteurs aux ouvrages interdits dans certaines régions des États-Unis. Grâce au ciblage géographique, DPLA a créé des bibliothèques virtuelles dans des communautés à travers les États-Unis. Les lecteurs peuvent visiter le site TheBannedBookClub.info pour savoir quels sont les livres qui ont été interdits près de chez eux. Ils peuvent ensuite télécharger les livres gratuitement sur n’importe quel appareil portable via l’application d’e-reading The Palace Project. L’ancien président Barack Obama et la Fondation Obama soutiennent l’initiative. On a souvent tendance à opposer le support papier et le numérique alors qu’une belle idée peut les faire cohabiter. »

« For Every Kind » d’AMV BBDO pour RSPCA (Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals)

Pays : Royaume-Uni

Le choix de Magali Faget, fondatrice et directrice de la création de Mlle Pitch

« En tant que directrice de la création d’une agence de publicité spécialisée grande cause, il fait sens pour moi de mettre en avant une campagne solidaire marquante. J’ai choisi un film sur la maltraitance animale qui fait chanter Respect d’Aretha Franklin à tous les animaux, qu’ils soient de compagnie ou d’élevage. Une idée créative maligne qui aborde par les leviers de l’humour et de la musique un sujet habituellement traité dans le registre de l’émotion culpabilisante. Viral, simple et tellement british, j’adore ! Et on retient ce message : "Every animal deserves our kindness". »

« Find Your Summer » de Lola MullenLowe pour Magnum

Pays : Royaume-Uni, Turquie

Le choix de Jean-François Sacco, cofondateur et directeur de la création de Rosa Paris

« D’abord une jolie idée : chaque rayon de soleil devient le prétexte à la dégustation d’une glace. Pas besoin d’attendre l’été pour profiter d’un Magnum. Mais au-delà de l’idée, cette campagne est parfaitement exécutée. Un film en noir et blanc magnifique, avec des images qui s’étirent lentement au rythme du plaisir consommé. C’est sensuel, beau et voluptueux et surtout ça donne envie. Le print qui l’accompagne est lui aussi sublime, classieux. En choisissant de ne pas montrer des corps suintants et transpirants sous le soleil, Magnum renouvelle le genre en mettant une bonne claque aux conventions du secteur. »

« Make Yourself Comfortable » de The Martin Agency pour Hanes

Pays : États-Unis

Le choix de Solène Madec, CEO et cofondatrice de Belle

« Cette campagne, c’est un vrai coup de cœur à l’agence. D’abord, parce qu’elle réussit le pari de nous parler de sous-vêtements, le produit le plus banal du monde, avec un œil neuf. Faire un clip aussi rythmé au son du mythique Heart of Glass de Blondie pour vendre des slips et des caleçons, c’est déjà en soi une prouesse pour la catégorie. Stratégiquement, c’est brillant : la marque redéfinit la notion de "confort" générique au secteur, d’un bénéfice physique "bien dans mon slip" à quelque chose de plus émotionnel et libérateur. Clin d’œil à l’héritage historique de Hanes, le film raconte l’invention du confort à une époque où les vêtements servaient surtout à corseter et brider les corps. Il paraît que le brief initial c’était : "THAT’S A HANES AD ???" et je trouve ça diablement inspirant. »

« Sounds Right » d’AKQA pour Museum for United Nations

Pays : Danemark

Le choix de Nicolas Gadesaude, directeur de la création de The Good Company

« Ce qui me marque le plus souvent à Cannes, ce sont les idées évidentes. Celles dont on se dit qu’il fallait qu’elles existent, celles qui manquaient presque jusque-là. Par essence, elles sont simples, se racontent en une phrase, et on est surpris qu’elles n’aient pas été faites avant. On sait aussi qu’on ne les oubliera pas. Cette idée pour Le Museum for United Nations entre dans cette catégorie pour moi. Elle est efficace, poétique et utile. L’idée, c’est quoi ? C’est que la nature touche ses royalties, elle aussi, lorsqu’on streame des sons de la nature. Si on file la métaphore, il est logique de considérer la nature comme une artiste, c’est la base de la création au sens large. "Sounds Right", c’est du good pas larmoyant et directement efficace via un média que tout le monde a dans son téléphone. Le craft apporté à l’exécution est au niveau de l’idée. C’est juste et beau, et pas juste beau. Cette campagne d’AKQA est une bonne candidate à un prix selon moi. »

« Alive » d’Erich and Kallman pour Auto Glass Now

Pays : États-Unis

Le choix d’Anne-Laure Naumowicz, directrice de la création d’Elvis

« Ce qui est bon dans ce métier, c’est qu’on cherche à longueur de journée des idées de campagne en considérant 1 000 critères de positionnement, de ciblage, de pertinence, d’émergence, de tonalité, d’engagement, d’utilisation de la data, de creative tech, en montrant au passage qu’on maîtrise l’IA et qu’on veut changer le monde. Et puis soudain, on tombe sous le charme d’une idée stupide. Brillamment stupide. À savoir : des passagers de voitures sans pare-brise aux visages déformés par le vent, qui se rendent compte de tout sauf de l’absence du fameux pare-brise. J’adore l’audace d’Auto Glass Now qui, face à des concurrents qui misent tout sur la technique de répétition (ces leaders du secteur qui réparent et remplacent, pour ne pas les citer), fait le pari d’un improbable comique de situation. Cette campagne délirante signée Erich & Kallman San Francisco est dans l’absurde le plus complet, doublé d’une exécution aussi basique qu’efficace, dont l’absence de trucage assure un humour sans filtre (ni pare-brise, vous l’avez compris). Ça rafraîchit les idées. »

« The only face mask kids should put on » de Marcel pour Kiehl’s

Pays : États-Unis

Le choix de Céline Angelini, fondatrice et CEO de Marie-Antoinette

« La réactivité. C’est ce qui fait la force de cette campagne. L’agence Marcel n’a pas attendu que le phénomène des "Sephora Kids" prenne encore plus d’ampleur pour agir aux côtés de la marque internationale de skincare Kiehl’s. Le sujet était trop important. Une agilité qui n’a aucune conséquence sur la créativité et la qualité de la campagne. Au contraire. Marcel nous rappelle avec habileté ce qu’être jeune doit signifier : profiter. Parce que prendre soin de soi à 6, 8 et même 12 ans, c’est avant tout se faire plaisir avec une glace à l’italienne qui dégouline ou se rouler dans le sable pour construire le plus beau des châteaux. Des messages adressés par une conception-rédaction digne des plus grands, couplés à des visuels éloquents. Une campagne si efficace que même la communauté scientifique s’en est emparée pour souligner le combat de Kiehl’s. Créatif et expert : le combo parfait ! »

 

« Humans Called Cat » d’Adam & Eve DDB pour Mars Petcare

Pays : Royaume-Uni

Le choix de Leah Morse, directrice associée en charge de la création d’Hungry & Foolish

« L’humour en création, on adore. Il sera d’ailleurs célébré cette année avec sa propre catégorie à Cannes. Mais l’humour requiert une justesse d’écriture et d’exécution. Pour vanter l’irrésistibilité de ses snacks pour chat, Dreamies propose un cas que j’adore avec "Humans Called Cat". Au lieu d’utiliser une statistique forte pour valoriser la supériorité de ses snacks, Dreamies s’en sert pour lancer une théorie totalement délirante : si 95 % des chats adorent les Dreamies, alors les 5 % restants ne doivent pas être des chats mais des humains qui s’appellent Cat. On assiste alors à une grande étude loufoque pour retrouver ces humains ayant un prénom avec le diminutif anglais "Cat" pour valider la théorie. C’est le bon dosage du too much, la marque assume totalement l’autodérision, et le résultat est une campagne totalement WTF comme on les aime, qui réussit également à proposer une pub pour de la petfood… avec zéro chat. Mémorable. »

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