SUPPLÉMENT RÉGIONS

La décentralisation des entreprises incite depuis quelques années les grands réseaux du secteur à revenir en région. Les agences régionales, plus proches de leurs clients et plus réactives, profitent de cette tendance pour développer leur activité et conquérir de nouveaux marchés.

Après des années de recentralisation de leurs activités autour de leurs bureaux parisiens, les grandes agences de communication ont repris depuis quelque temps le chemin des régions. En 2021, Publicis a inauguré à Wasquehal, près de Lille, son campus 5.9 qui regroupe l’ensemble de ses activités jusqu’alors séparées. La même année, Havas Paris lançait Havas Territoires, une offre qui propose des packages de services de communication aux acteurs économiques décentralisés. Comment les agences indépendantes s’adaptent-elles à cette recomposition du marché ? « Lentement mais sûrement, tout est en train de se reterritorialiser, à commencer par les annonceurs, constate Jean-Marc Atlan, président de l’agence lyonnaise Ekno. Pour les grands acteurs économiques, il est nécessaire d’avoir des relais d’opinion locaux afin de développer leur influence territoriale. »

Des disparités régionales

Toutes les agences installées en région ne sont évidemment pas logées à la même enseigne ; leur potentiel dépend largement de celui du lieu où elles se trouvent. La présence historique d’acteurs du retail ou de la VPC qui se sont reconvertis dans l’e-commerce offre une assise solide aux professionnels de la communication installés dans les Hauts-de-France, souligne Étienne Demouy, dirigeant de JBL Com & Cie et président de l’association régionale Place de la communication. À l’inverse, le champ couvert par l’Union des conseils en communication (UCC) Grand Sud regroupe des territoires très disparates, avec quelques pôles d’attractivité (Aix ou Toulouse) et des territoires dont l’économie est plus fragile (Marseille, l’ancienne région Languedoc-Roussillon). « En région, Lyon est un cas particulier : c’est une terre d’entrepreneurs, il y a beaucoup d’industries et d’entreprises de taille intermédiaire ; le marché est autoporteur », se réjouit Jean-Marc Atlan.

Si la clientèle installée en région constitue une base solide pour les indépendants issus de ces territoires – notamment en phase de création –, celle-ci occupe de moins en moins de place au fur et à mesure de la croissance de l’agence. Les plus petites agences réalisent ainsi une grande part de leur activité grâce à des budgets locaux ou régionaux, mais ce n’est plus le cas dès lors qu’elles atteignent une certaine taille (au-delà d’une vingtaine de salariés). « La plupart des agences de taille intermédiaire du Grand Sud réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires en dehors du territoire », indique Julien Roset, président de l’UCC Grand Sud. À titre d’exemple, son agence Just Happiness (22 salariés) réalise 60 % à 70 % de son chiffre d’affaires en national ou à l’international. « Les frontières se sont estompées », résume-t-il. Un phénomène qui s’est accéléré au moment du covid, quand les salariés parisiens sont partis massivement télétravailler en région. Même constat pour Matthieu Forget, président de AsUWish, un groupe d’agences normandes qui compte 70 collaborateurs et réalise 74 % de son CA (5 millions d’euros) hors de la région.

Mais ces agences régionales rejettent aussi une éventuelle compétition avec les grands réseaux parisiens. « La clientèle du CAC 40, qui constitue le cœur de leurs budgets, ce n’est clairement pas notre sujet, poursuit Matthieu Forget. Nous visons la strate d’entreprises intermédiaires qui est délaissée à la fois par les groupes et par les petites agences locales. »

Une grande agilité 

Comment ces agences à implantation régionale se développent-elles dans un secteur dont le centre de gravité est clairement basé dans la capitale ? « Quand le marché est bousculé, les indépendants arrivent mieux à s’adapter que les grands acteurs, estime Étienne Demouy pour Place de la communication. Les agences en région ont plus d’agilité que les grands groupes ; elles innovent et développent de nouvelles compétences plus facilement. » Un atout que revendique aussi Didier Janot, fondateur d’Horizon bleu à Reims, qui se présente comme un « assembleur de talents » : « Notre principal atout, c’est l’agilité, nous avons une capacité de réponse quasi instantanée. »

Les enjeux RSE des entreprises sont aussi de belles opportunités de développement pour les agences régionales. « Tout le monde doit baisser son impact carbone, si je réalise une production à 30 km, ça a moins d’impact qu’à 400 km ou à l’étranger, rappelle Étienne Demouy. Ce sont d’ailleurs des points que nous mettons systématiquement en avant dans nos réponses aux consultations. »

Autre opportunité pour les agences en région, les annonceurs ont eu tendance ces dernières années à fragmenter leurs appels d’offres. Cette baisse du montant global du marché a limité l’intérêt des groupes de communication, dont les charges fixes sont plus élevées. « Elle a permis à des acteurs de taille plus modeste de répondre à des lots de compétitions d’annonceurs de taille plus importante », observe Étienne Demouy.

Quelles sont les perspectives de ces agences régionales ? « Dans une période de mutation technologique comme aujourd’hui, cela fragmente les savoir-faire et crée des opportunités », analyse Jean-Marc Atlan pour Ekno qui a déjà acquis il y a dix-huit mois l’agence intégrée de bioMérieux, l’un de ses gros clients, et en mars 2024, l’agence de RP Amalthea. « Les agences en région ont connu des années difficiles avec le covid, souligne pour sa part Didier Janot. Elles se sont réorganisées, mais il va falloir à nouveau se remettre en cause pour suivre les évolutions technologiques. Je crains qu’il y ait encore pas mal de dinosaures en région. » Une analyse que partage Matthieu Forget. « Pour survivre à ces vagues de mutation, il est nécessaire d’atteindre une taille suffisante. Or, un certain nombre d’agences en région ne le pourront pas, cela va créer des opportunités. Se concentrer sur des clients locaux dans le cadre des mutations en cours, ce serait une erreur stratégique », pronostique le président d’AsUWish.

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