S’il est difficile d’apprécier la croissance des acteurs de la communication santé, une chose est sûre, ils entrent dans une zone de turbulences, entre émergence de l’IA, annonceurs devenus prolixes et boom des canaux de diffusion.

Sans thermomètre, difficile de prendre la température… Pour les agences du secteur de la santé, c’est tout le problème. Contrairement à des acteurs comme les instituts d’études, la trentaine d’agences spécialisées dans le médical ne partage pas leurs données, même celles, une vingtaine, adhérant à l’AACC Santé. « J’ai essayé de réaliser cette collecte mais je n’arrivais pas à avoir les chiffres », regrette le Dr Thierry Kermorvant, président de la délégation santé jusqu’en mars et directeur général de VML Health (WPP), nouveau nom de VMLY&R Health depuis le rapprochement de Y&R avec Wunderman Thompson en début d’année. « C’est un souci pour apprécier notre croissance par rapport au marché », déplore Alain Sivan, qui dirige les activités santé d’Omnicom en France (TBWA Adelphi et DDB Health). Pour savoir comment se portent les agences, on en est donc réduit à des conjectures. D’après le Dr Kermorvant, l’activité serait « très hétérogène » d’une agence à l’autre. S’agissant de sa propre agence, il note qu’après une période faste post-covid, 2023 a connu un ralentissement, avec un rebond depuis cet été, 2024 s’annonçant stable.

Directeur associé d’Addiction Agency (3,5 millions d’euros de CA pour 25 personnes et une spécialité, les campagnes de sensibilisation aux pathologies, par opposition aux campagnes produit), Mathieu Galloux table sur « environ 10 % de croissance » cette année. L’agence d’influence santé Havas Red Health, joint-venture entre Havas Paris et Havas Life qui fêtera ses 3 ans en janvier, est passée de deux à dix personnes et sa marge a progressé de près de 60 % l’an dernier, preuve que le marché peut encore accueillir de nouveaux acteurs. « Nous connaissons une croissance soutenue depuis cinq ans, de 10 % par an en moyenne », note David Reguer, président de l’agence social media RCA Factory, qui pèse près de 3 millions d’euros de CA avec une équipe de 25 personnes. « Nous avons réalisé en 2023 un CA de 1,1 million d’euros en nette progression par rapport à 2022 (700 000 euros) qui avait été une "annus horribilis" », constate Frédéric Maillard, président de l'agence Fmad. « Nous sommes en croissance par rapport à 2023 qui était déjà une très bonne année », remarque Alain Sivan d'Omnicom, grâce notamment à l’activité internationale qui voit les équipes parisiennes du réseau réaliser des campagnes globales diffusées dans le monde entier, jusqu’aux États-Unis.

En croissance ou non, dans un secteur que tous s’accordent à reconnaître comme dynamique, ces acteurs sont confrontés à un changement de pied de leurs clients, devenus plus prolixes depuis le covid. « Les industries pharmaceutiques ont pris conscience qu’elles devaient parler », note Fabienne Hennequin, directrice générale adjointe de DDB Health. Du coup, on voit débarquer dans les couloirs du métro, remarque Olivier Martin-Dupray, cofondateur d'Addiction Agency, des campagnes de prévention orchestrées non plus seulement par les pouvoirs publics mais aussi par les laboratoires eux-mêmes. Cette agence a ainsi déployé cet été en affichage une campagne de Gilead de prévention du VIH. Selon Frédéric Maillard (Fmad), les industriels n’hésitent plus à mutualiser leurs moyens pour communiquer. La récente campagne de son agence sur la polyarthrite rhumatoïde [PR], « La PR, elle nous gonfle », sous l’égide d’une association de patients et d’une société savante, a été cofinancée par douze laboratoires. Dans un autre ordre d’idées, les agences de relations publics comme Havas Red Health accompagnent désormais les dirigeants ou les collaborateurs des entreprises du secteur de la santé sur les réseaux sociaux tels que LinkedIn ou, note Julie de Folleville, directrice générale de RCA Factory qui voit elle aussi affluer ces demandes, X (ex-Twitter) ou TikTok.

Exigence de créativité

Autre évolution, « les laboratoires pharmaceutiques sont de plus en plus exigeants sur le niveau de créativité », pointe Frédéric Maillard. « On ne peut plus se contenter de mettre papy et mamie sur la plage, souriant parce qu’ils ont pris leur médicament », dit-il. C’est tout le sens de la création en juin du réseau Jacques chez Havas, sous les auspices d’un certain Séguéla qui, à 90 printemps, s’est souvenu qu’il était titulaire d’un diplôme de pharmacien. « Le réseau est focalisé sur la créativité dans le monde de la santé. Il compte déjà deux agences à New York, avec 400 personnes, une à Londres avec une cinquantaine d’employés, et nous lançons l’Amérique latine, l’Inde puis Paris début 2025 », détaille Loris Repellin, président d’Havas Health, entité forte déjà de deux réseaux, Havas Life et Havas Lynx. Le rôle de Jacques ? « S’assurer que tout ce qui sort soit assez bon pour porter son nom », précise le dirigeant. La créativité est, aux yeux des annonceurs, le moyen de toucher une cible large en dépit de budgets limités. Le nouveau quatuor nommé à la tête de l’AACC Santé (Fabienne Hennequin de DDB Health, Olivier Martin-Dupray d’Addiction Agency, Marc Perrin-Lagogué, DGA de Creafirst et Valérie Vouligny, strategic director de Life AH), rebaptisé le Club santé, veut d’ailleurs mettre en avant l’idée que « la créativité drive le business », pour reprendre l’expression de Fabienne Hennequin. « À nous de démontrer la valeur qu’on apporte », plaide la dirigeante de DDB Health. Dans un contexte où la non-rémunération des compétitions reste la règle, cela permettra peut-être de faire bouger les annonceurs sur ce sujet.

« Aujourd’hui, on commence à faire du mediaplanning en santé ». Prononcée sur le ton de la boutade par Olivier Martin-Dupray, parce que la pratique n’est pas nouvelle, la phrase traduit bien la situation nouvelle à laquelle le secteur est confronté. « Avant, il existait des canaux très identifiés selon les cibles. Aujourd’hui, un praticien va aussi bien sur des réseaux sociaux que sur LinkedIn. C’est à nous de nous approprier les codes de ces nouveaux médias », affirme-t-il. Sur les réseaux, des influenceurs et créateurs de contenus sont apparus ces dernières années. Il s’agit parfois de personnes atteintes d’une affection qui drainent derrière elles une communauté de patients très impliquée. Ces relais sont autant de moyens de diffusion pour les annonceurs. « Le canal des influenceurs est très efficace sur certaines pathologies et certaines audiences. À chaque brief, on le prend en considération, même si ce n’est pas toujours la réponse qu’on va apporter », remarque Mathieu Galloux. « Et, du digital, on passe souvent à un événement organisé autour du patient », indique Julie de Folleville en citant des masterclass réunissant depuis deux ans, pour Sanofi, des créateurs de contenu intervenant sur le sujet du diabète.

Autre média émergent, le podcast, avec des sociétés qui se montent comme Medshake, un studio de production de podcasts santé. La plateforme qu’il a créée (podcast-sante.com) recense aujourd’hui plus de 500 podcasts, avec une « explosion l’an dernier du côté des professionnels de santé », note la cofondatrice Marguerite de Rodellec.

Medical writers 

La révolution de l’intelligence artificielle constitue un autre sujet brûlant pour les agences. « On l’utilise de plus en plus, même si on peut encore mieux faire », constate Vincent Bodoria, managing partner de Publicis Health. « En matière de création, l’IA permet d’être plus précis dans ce que l’on souhaite montrer ou réaliser et d’apporter des réponses plus rapidement. Dans la partie production, elle offre la possibilité d’aller plus vite. L’IA intervient à ces deux étapes de la chaîne de valeur », note le dirigeant. Toutefois, explique-t-il, elle n’est pas encore utilisée pour améliorer la performance via le croisement des données médias comme d’autres entités de Publicis peuvent le faire.

Thierry Kermorvant, qui vient de poster sur LinkedIn son tout récent certificat de « prompt engineering » décerné par la Vanderbilt University, parle d’une IA pour les clients et d’une autre pour l’agence. Dans le premier cas, cela peut consister en outils pour former ou informer les médecins, des chatbots IA ou des FAQ intelligentes. L’IA générative peut aussi être utilisée pour traduire des verbatims de patients ou de médecins de façon artistique. En Espagne, VML Health a ainsi réalisé une campagne pour Gilead, « Paintings of hopes », qui consistait à exposer des tableaux composés à partir des témoignages de femmes atteintes d’un cancer du sein. Le but était d’inciter les pouvoirs publics à améliorer le remboursement des thérapies. « Quant à l’IA pour nous, celle que nous utilisons au quotidien, la maîtrise du prompt par les medical writers facilite le travail de recherche et de rédaction. C’est un outil pour être plus efficace et plus créatif », note Thierry Kermorvant.

Face à ces évolutions, les agences indépendantes semblent moins armées que les réseaux, notamment en termes de moyens pour se former aux nouvelles technologies. C’est le constat d’Éric Phélippeau, qui a revendu sa société By Agency pour se consacrer à temps plein comme directeur général du festival FestiComSanté. Le phénomène de globalisation des budgets pèse aussi sur les petites structures, qui ont des difficultés pour se faire référencer dans les gros laboratoires si elles n’appartiennent pas à un réseau international. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’avenir pour les indépendants, mais l’accès au marché est plus restreint », estime-t-il.

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