Tribune
À l'opposé de l'allocution d'Emmanuel Macron le 16 mars dernier, dans laquelle il déclarait la France en guerre, c'est un président de la République beaucoup plus dans l'empathie qui a pris la parole le 13 avril.

L’allocution du président Emmanuel Macron du 16 mars annonçant le confinement généralisé et toutes les mesures qui l’accompagnent, «quoi qu’il en coûte», était destinée à faire peur. Ses vœux ont été exaucés, peut-être même au-delà de ses espérances puisque nombre de salariés qui n’étaient pas en mesure de télétravailler ont néanmoins décidé de ne plus se rendre à leur travail, l’État assurant par ailleurs aux entreprises ou aux salariés eux-mêmes une indemnisation totale ou partielle. C’est ce qui avait ainsi conduit Murielle Pénicaud dans les jours suivants à pousser à la reprise du travail un certain nombre de secteurs, notamment celui du bâtiment, un appel qui n’a été que très peu suivi d’effets compte tenu de mesures sanitaires très contraignantes à mettre en place par les entreprises.

L’allocution du 13 avril joue sur les ressorts exactement inverses puisqu’elle relègue au second plan le discours hyper offensif derrière un discours empathique et compatissant. Les actes de la pièce de théâtre se suivent mais ne se ressemblent pas, ils se juxtaposent sans aucune cohérence entre eux. Tout juste le président a-t-il parlé de «1ère ligne» et de «front», sans jamais les détailler. On n’a clairement pas l’impression d’assister à la même représentation.

Après la déclaration de guerre à un ennemi invisible en mars, nous sommes passés en avril dans un tout autre registre. Nous étions certes en situation d’urgence sanitaire, et le sommes toujours, mais fallait-il réellement parler de guerre ? Plus qu’un débat sémantique, la rhétorique guerrière du chef de l’État a mis à jour trois incohérences.

Indécent et inapproprié

La première incohérence dans l’utilisation du terme de guerre relevait de l’indécence. C’est indécent vis-à-vis de l’horreur réelle des combats que vivent nos soldats, nos militaires qui se battent un peu partout au quotidien et doivent lutter contre un ennemi qui cherche volontairement à les abattre. En l’espèce, contre qui se bat-on ici ? Contre un virus, contre une contingence naturelle en somme. Comme on se défend tant bien que mal face à une tornade ou un tsunami. C’est également indécent vis-à-vis de ceux qui subissent la guerre, les victimes de la guerre, la vraie, celle qui ravage un pays comme la Syrie ou le Yémen. Enfin, c’est indécent vis-à-vis de notre Histoire, de nos morts victimes de la fureur humaine. «Pestes et guerres trouvent toujours les gens aussi dépourvus», disait Camus, mais les premières sont des fléaux tandis que la responsabilité des secondes n’incombe qu’à nous.

La deuxième raison pour laquelle ce terme était inapproprié, c’est qu’il est ridicule. Nous n’avons absolument pas le comportement de personnes vivant en guerre : on mange à notre faim et même plus, on fait du jogging, on regarde la télé et on se réunit pour des apéros virtuels ! Quel point commun avec un pays en guerre ? Certes, le personnel hospitalier a du mérite et ne compte pas ses heures mais il n’opère pas non plus des personnes revenant du front criblées de balles ou d’obus. Restez chez vous, sauvez des vies, c’est le nouvel hashtag à la mode. Soit, mais on ne fait pas la guerre depuis son canapé : sauver des vies est une attitude civique et, en aucun cas, un comportement militaire. Les formules martiales et ampoulées d’Emmanuel Macron étaient celles d’une République narcissique, qui se regarde en train d’écrire l’histoire et qui se met elle-même en scène. Un État qui a perdu de son autorité et qui cherchait ainsi à retrouver de son éclat en nous projetant nous tous comme acteurs d’une guerre ou d’un combat à mener.

L’État tourne sur lui-même

Cette dénomination de guerre était enfin éminemment grave. Que dirons-nous le jour où nous serons vraiment en guerre ? Que l’on parle de la guerre contre le terrorisme oui, on est face à un ennemi intérieur et extérieur, c’est une bataille longue et difficile qu’on a encore parfois du mal à vraiment nommer et qu’on a aussi tendance à oublier. Cette guerre-là passe largement au second plan désormais par rapport à l’épidémie de coronavirus. Par ailleurs, l’état d’urgence n’est pas l’état de guerre et il ne peut en aucun cas justifier de mettre la Constitution entre parenthèses et hors de portée des contre-pouvoirs.

Aveugle et pris de court, l’État tourne sur lui-même : une semaine avant son intervention télévisuelle du 16 mars, le président était au théâtre pour montrer que tout allait bien et qu’il fallait continuer à sortir ; la veille se tenaient les élections municipales où la toute récente ex-ministre de la Santé était candidate ; et le lendemain, rien n'allait plus, c’était la déclaration de guerre. Nous étions passés en deux jours de «nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts» à l’appel du 18 juin.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus en guerre mais toujours aussi démunis face à l’épidémie. Plus que toute autre chose, ce que révèle cette crise sanitaire, c’est la faiblesse d’un appareil d’État improvisateur, qui s’est privé lui-même de toute capacité d’anticipation et de prospective, ce qui ne l’empêche pas de se regarder dans le miroir et de crier au loup. La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires, disait Clemenceau. Le terme de guerre est également trop grave pour être utilisé à tort et à travers dès qu’une crise survient.

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