Tribune
La période que nous traversons pourrait bien être l'occasion d'inventer un nouveau modèle de collaboration. Il est temps d'inverser le paradigme de la méfiance par défaut et de prendre conscience de notre interdépendance.

Renforcée par la crise, la quête de sens des consommateurs n’a jamais été aussi forte et 77% des gens attendent de la pub qu'elle parle de l'utilité de la marque dans la nouvelle vie quotidienne. Beaucoup d’agences et d'annonceurs l’ont compris et ont su répondre aux attentes avec force, générosité et même créativité. Tout ne «fout pas l’camp» contrairement à ce que dirait monsieur l’indigné !

Malheureusement, force est de constater que le tableau n’est pas toujours aussi rose. Car la peur et l’effet de panique font aussi perdre toute raison à certains, notamment dans nos métiers. Nous, les soi-disant experts du «bullshit» selon l'anthropologue David Graeber, capables de donner des «suppléments d’âme» aux marques pour toucher des consommateurs toujours plus avides d’émotions, d’expériences et de sens, nous sommes vraisemblablement tout aussi capables de perdre tout bon sens, jusqu’à scier la branche sur laquelle nous sommes collectivement assis.

En effet, tandis que nous louons les initiatives solidaires des marques, qui n’a pas entendu parler d’annonceurs demandant aux agences d’en faire encore plus pour moins parce «c’est la crise», d’appels d'offres pour de micro-budgets ou des projets incertains ? Qui n’a pas entendu de coupes budgétaires radicales et immédiates sans la moindre compensation ni préavis alors même qu’un contrat, a minima moral, liait les parties ? Qui n’a pas entendu parler de freelances dont le téléphone ne sonne plus ? Qui n’a pas entendu parler de promesses de CDI signées après débauchage, qui se solderont par un chômage sans allocations ? Qui n’a pas entendu parler de collaborateurs ultra-engagés sur les projets qui travaillent comme des acharnés tout en gérant enfants et maison, étant au bord de la rupture ? A l’inverse, qui n’a pas entendu parler de salariés «contents» de ce repos forcé, peu concernés par l’angoisse du dirigeant et la situation de l’entreprise, car, pour eux, «au pire, il y aura l’assurance chômage» ? La liste pourrait être encore longue.

Solidarité dans les épreuves les plus dures

Alors que nous sommes tous connectés et liés les uns aux autres dans la fortune comme dans l’infortune, force est de constater que nous sommes aussi très solitaires dans les épreuves les plus dures. Serions-nous inconscients, suicidaires, ou aurions-nous décidé d’achever un modèle en souffrance ? Nous le savons tous, cela fait déjà quelques années que notre secteur ne se porte pas très bien. Cela fait un moment déjà que des agences souffrent, serrent les dents, fusionnent ou baissent carrément le rideau comme on dit aujourd’hui. Alors que faire lorsqu’un nouveau coup de massue nous tombe sur la tête ? Devons-nous encore baisser nos prix, geler les salaires, accepter des conditions de travail encore plus rudes dans l’espoir de remporter de nouveaux contrats et fidéliser nos clients nous permettant de tenir jusqu’à la reprise, avec l’espoir d’un vrai rebond post crise ?

Et si le coronavirus était finalement une opportunité pour nous tous, en tant que professionnels ? Ne serait-ce pas l’occasion de penser un nouveau modèle qui servira notre futur, basé sur cette solidarité que tous les Français appellent de leurs vœux ? Faire preuve de solidarité dans nos métiers, c’est déjà prendre conscience de notre chance par la richesse et la valeur de notre interdépendance. En effet, outre nos relations pécuniaires, ce sont nos complémentarités de compétences qui font la créativité, l’efficacité et la justesse du produit fini.

Appliquer les règles de la belle compétition

Nous n’avons pas la prétention d’avoir déjà trouvé le nouveau modèle tant attendu en ces temps chamboulés, où nous devons déjà inventer un nouveau quotidien entre travail et maison/famille, et surtout travailler chaque jour pour assurer la pérennité de l’entreprise qui nous fait vivre. Néanmoins, nous avons quelques pistes de réflexion, garanties sans bullshit, pour retrouver du bon sens au profit de tous, que vous soyez indépendant, agence, studio, annonceur, bureau d’études, cabinet de conseil, groupe, régie…

Inventons un nouveau modèle de collaboration en appliquant, au quotidien, pour tous nos projets et échanges, les règles de la belle compétition : transparence, responsabilité, sincérité. Retrouvons collectivement, agences et annonceurs, le sens de l’empathie pour nos partenaires. Est-ce que ce que je demande est réalisable, de manière qualitative, dans le temps imparti, et ce sans rogner sur l’équilibre vie pro/vie perso ? Le prix demandé/payé est-il raisonnable dans un sens comme dans l’autre ? Est-ce sur ou sous-évalué ? Est-ce que le projet que je propose à mon partenaire a du sens et se fait dans un rapport gagnant-gagnant ? Est-ce que le projet est suffisamment cadré pour ne pas risquer de tout arrêter ou tout défaire alors que nous serons très avancés ? Tout le monde est-il bien en phase avec mon brief et mes attentes en interne ? Est-ce que mes critères d’évaluation et la nature des livrables sont adaptés au stade du projet ?

Soyons clairs dès le départ

Inversons le paradigme de la méfiance par défaut. La rétention d’information nuit à la sincérité des rapports et la clarté des demandes. Dans ces temps difficiles, il n’est dans l’intérêt de personne de prendre des risques au dépend d’un partenaire. Soyons clairs sur nos motivations, nos objectifs, nos contraintes et surtout les conditions de la collaboration, dès le départ. La confiance absolue est en revanche quelque chose de précieux et rare. Si votre partenaire a su la gagner auprès de vous, pourquoi imposer des négociations ou des remises en compétition systématiques ? Un partenaire de longue date a le mérite de connaître les rouages de votre entreprise par cœur, ce qui le fait gagner en justesse et en productivité. Pourquoi suffirait-il d’un changement d’équipe ou de contexte pour enrayer des rouages bien huilés ? Si la remise en question est parfois nécessaire pour ne pas perdre toute créativité face à la routine, peut-être pouvons-nous réfléchir à d’autres méthodes que la menace d’une rupture. Heureusement que tous les couples n’en passent pas par là tous les trois à cinq ans !

Enfin, et c'est peut-être le mouvement le moins naturel mais pourtant le plus essentiel, prenons conscience de notre interdépendance, et sortons d’une concurrence stérile mue par la loi du marché qui nous est imposée. Agences, collaborons, partageons nos compétences et nos trouvailles, organisons des rencontres (par visio évidemment) entre nos différents experts pour les faire grandir. Ce qui rend un créatif plus créatif, un planneur plus expert, un chef de pub/de projet plus efficace, un data analyste plus perspicace…, c’est sa curiosité, sa capacité à lire et apprendre de partout, mais aussi la diversité de ses expériences. Vous serez toujours plus nourris par un profil capable de comparer, voire combiner différentes méthodologies issues de différentes agences par lesquelles il serait passé.

Partageons nos secrets et nos méthodes. C’est ainsi que nous pourrons, collectivement, grandir, se renforcer, se développer et faire face aux challenges d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Et pour ceux qui auraient peur que cette ouverture ne fasse partir leurs talents ou leurs clients chez la concurrence, dites-vous qu’un talent heureux, épanoui, stimulé, avec des perspectives d’évolution, n’aurait pas la moindre raison de vous quitter et de se remettre en situation d’inconfort pour trouver moins bien ailleurs. Il en est de même pour nos chers clients.

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