C’est une proposition de loi pas comme les autres. Repéré par Contexte, le texte co-signé notamment par les députés François Ruffin, Clémentine Autain ou Philippe Gosselin demande « le droit d’uriner en paix ». En cause, le nouveau format publicitaire lancé par le bien nommé Littlecorner en 2018 : des écrans publicitaires au petit coin. Du digital out of home qui va trop loin, dénoncent les députés.
« Depuis 2015, 2 500 de ces écrans ont colonisé 1 200 urinoirs, dans 25 villes françaises. Comme l’explique le génial inventeur de ces merveilles : "Les toilettes sont un des derniers lieux où l’attention du public est encore captive, avec un ciblage optimal (sexe, horaires, typologie de lieu…) et un taux de mémorisation de 85 %..." » écrivent-ils. « Alors, certes, avec ce droit d’uriner en paix, nous attaquons le problème par le petit bout de la lorgnette, mais aussi par le sommet de l’iceberg publicitaire. Ils vont jusque-là ! Et le long chemin, le long chemin pour la libération de notre imaginaire, doit commencer par un premier pas. Fut-il modeste. » Au-delà de l’idée, nous retiendrons aussi le style du texte, que voici :
Mesdames, Messieurs,
« Grâce à Littlecorner.com, impossible de passer à côté de votre publicité. Votre marque deviendra la meilleure. »
Qui n’apprécie pas ce rare moment de tranquillité : pisser ? Ces minutes de repos, quand dans la joie du besoin qui s’accomplit, en même temps que la vessie se libère, l’abdomen reprend son souffle, l’esprit respire, s’apaise ?
Dans le « petit coin » de ce café parisien, j’étais donc en train d’uriner quand, surprise, stupeur : à vingt centimètres de mes yeux, posé au-dessus de la vespasienne, un écran m’impose ses certitudes. « Impossible de passer à côté de votre publicité ». Et en effet : comment échapper à ce message, lumineux, en couleur et en mouvement, qui s’affiche au-dessus de chaque urinoir, sur chaque porte de ce sous-sol ? Difficile d’y échapper, à moins de fermer les yeux et de risquer un accident liquide...
Tandis que défilaient les annonces pour Uber, Bnp-Paribas, le Fnac, j’ai songé : « Même ici ! Même ici, les publicitaires envahissent notre temps de cerveau disponible ! Comme Poutine ! Ils viennent nous traquer jusque dans les chiottes ! Même ce contentement millénaire, et même plus, qui nous vient de la nuit des temps, même ça, ils vont réussir à le salir ! »
Mon sang de législateur n’a fait qu’un tour : il fallait bouter la publicité hors des W.C. ! Sérieusement, car c’est un enjeu écologique : que nos vies soient arrachées au consumérisme, ou au moins que des pans de nos vies soient préservés de cette invasion.
L’invasion des écrans
Ces dernières années, dans les gares, les centres commerciaux, les stations de métro, les pompes à essence, les écrans publicitaires saturent l’espace public. Petit à petit, les écrans numériques s’installent également dans les rues. À Caen, à Rennes, à Nantes, de nouveaux contrats prévoient l’installation de panneaux numériques par dizaine. Ailleurs, à Paris, à Lyon, à Saint-Quentin-en-Yvelines, les sociétés de publicité extérieure mènent un lobbying intense pour en poser.
Le « Digital Out-Of-Home » (DOOH), voilà le nom donné par le secteur à cette offensive, avec un budget qui a doublé en trois ans. « C’est une révolution pour les annonceurs de pouvoir programmer eux-mêmes leur campagne, de façon centralisée et de pouvoir y associer des ciblages data » explique Marie Le Guével, directrice générale d’une entreprise spécialisée en « branding et retargeting ».
Car on les regarde. Mais ils nous regardent aussi ! Dotés de capteurs, ces écrans nous scrutent avec des caméras, ou avec des capteurs thermiques, de quoi mener une analyse fine : le message est-il reçu ou non? Sur quelle « cible » ? Ce Big Brother nous espionne dans les rues, dans les transports... et jusque dans les toilettes !
C’est une véritable prolifération qui est en cours. Avec un gaspillage, que la loi énergie climat n’a nullement entravé : un écran de 2 m² consomme au moins 7 000 KWh/an. Soit la consommation d’un couple avec enfant. Une gabegie tellement évidente que, dans ses analyses prévisionnelles, le distributeur d’électricité RTE parle de consommations « superflues »... À la fabrication, ce n’est pas mieux : l’ADEME estime qu’il faut 7 tonnes de matériaux rien que pour un écran de 1 m², et au moins 550 kg de CO².
Sans compter la pollution lumineuse. Les écrans numériques, à base de DEL, émettent une lumière particulière, dans la partie bleue du spectre. D’après l’Anses elle-même, « la lumière bleue est reconnue pour ses effets néfastes et dangereux sur la rétine, résultant d’un stress oxydatif cellulaire. » (1)
Un premier pas
Mais revenons-en à nos toilettes.
Depuis 2015, 2 500 de ces écrans ont colonisé 1 200 urinoirs, dans vingt-cinq villes françaises. Comme l’explique le génial inventeur de ces merveilles : « Les toilettes sont un des derniers lieux où l’attention du public est encore captive, avec un ciblage optimal (sexe, horaires, typologie de lieu…) et un taux de mémorisation de 85 %... » Alors, certes, avec ce « droit d’uriner en paix », nous attaquons le problème par le petit bout de la lorgnette, mais aussi par le sommet de l’iceberg publicitaire. Ils vont jusque-là ! Et le long chemin, le long chemin pour la libération de notre imaginaire, doit commencer par un premier pas. Fut-il modeste.
Mesdames, Messieurs,
« Grâce à Littlecorner.com, impossible de passer à côté de votre publicité. Votre marque deviendra la meilleure. »
Qui n’apprécie pas ce rare moment de tranquillité : pisser ? Ces minutes de repos, quand dans la joie du besoin qui s’accomplit, en même temps que la vessie se libère, l’abdomen reprend son souffle, l’esprit respire, s’apaise ?
Dans le « petit coin » de ce café parisien, j’étais donc en train d’uriner quand, surprise, stupeur : à vingt centimètres de mes yeux, posé au-dessus de la vespasienne, un écran m’impose ses certitudes. « Impossible de passer à côté de votre publicité ». Et en effet : comment échapper à ce message, lumineux, en couleur et en mouvement, qui s’affiche au-dessus de chaque urinoir, sur chaque porte de ce sous-sol ? Difficile d’y échapper, à moins de fermer les yeux et de risquer un accident liquide...
Tandis que défilaient les annonces pour Uber, Bnp-Paribas, le Fnac, j’ai songé : « Même ici ! Même ici, les publicitaires envahissent notre temps de cerveau disponible ! Comme Poutine ! Ils viennent nous traquer jusque dans les chiottes ! Même ce contentement millénaire, et même plus, qui nous vient de la nuit des temps, même ça, ils vont réussir à le salir ! »
Mon sang de législateur n’a fait qu’un tour : il fallait bouter la publicité hors des W.C. ! Sérieusement, car c’est un enjeu écologique : que nos vies soient arrachées au consumérisme, ou au moins que des pans de nos vies soient préservés de cette invasion.
L’invasion des écrans
Ces dernières années, dans les gares, les centres commerciaux, les stations de métro, les pompes à essence, les écrans publicitaires saturent l’espace public. Petit à petit, les écrans numériques s’installent également dans les rues. À Caen, à Rennes, à Nantes, de nouveaux contrats prévoient l’installation de panneaux numériques par dizaine. Ailleurs, à Paris, à Lyon, à Saint-Quentin-en-Yvelines, les sociétés de publicité extérieure mènent un lobbying intense pour en poser.
Le « Digital Out-Of-Home » (DOOH), voilà le nom donné par le secteur à cette offensive, avec un budget qui a doublé en trois ans. « C’est une révolution pour les annonceurs de pouvoir programmer eux-mêmes leur campagne, de façon centralisée et de pouvoir y associer des ciblages data » explique Marie Le Guével, directrice générale d’une entreprise spécialisée en « branding et retargeting ».
Car on les regarde. Mais ils nous regardent aussi ! Dotés de capteurs, ces écrans nous scrutent avec des caméras, ou avec des capteurs thermiques, de quoi mener une analyse fine : le message est-il reçu ou non? Sur quelle « cible » ? Ce Big Brother nous espionne dans les rues, dans les transports... et jusque dans les toilettes !
C’est une véritable prolifération qui est en cours. Avec un gaspillage, que la loi énergie climat n’a nullement entravé : un écran de 2 m² consomme au moins 7 000 KWh/an. Soit la consommation d’un couple avec enfant. Une gabegie tellement évidente que, dans ses analyses prévisionnelles, le distributeur d’électricité RTE parle de consommations « superflues »... À la fabrication, ce n’est pas mieux : l’ADEME estime qu’il faut 7 tonnes de matériaux rien que pour un écran de 1 m², et au moins 550 kg de CO².
Sans compter la pollution lumineuse. Les écrans numériques, à base de DEL, émettent une lumière particulière, dans la partie bleue du spectre. D’après l’Anses elle-même, « la lumière bleue est reconnue pour ses effets néfastes et dangereux sur la rétine, résultant d’un stress oxydatif cellulaire. » (1)
Un premier pas
Mais revenons-en à nos toilettes.
Depuis 2015, 2 500 de ces écrans ont colonisé 1 200 urinoirs, dans vingt-cinq villes françaises. Comme l’explique le génial inventeur de ces merveilles : « Les toilettes sont un des derniers lieux où l’attention du public est encore captive, avec un ciblage optimal (sexe, horaires, typologie de lieu…) et un taux de mémorisation de 85 %... » Alors, certes, avec ce « droit d’uriner en paix », nous attaquons le problème par le petit bout de la lorgnette, mais aussi par le sommet de l’iceberg publicitaire. Ils vont jusque-là ! Et le long chemin, le long chemin pour la libération de notre imaginaire, doit commencer par un premier pas. Fut-il modeste.