Dossier E-sport
L’écosystème de l’e-sport, pour nombre d’annonceurs, reste complexe. Les agences qui ont développé une bonne expertise dans ce domaine en tirent profit.

« L’e-sport est un monde expert et nous-mêmes n’avons pas la prétention de l’être. Il est donc primordial d’être bien accompagné pour réussir à s’intégrer de manière naturelle à cette communauté et arriver avec une certaine légitimité. » Beaucoup d’annonceurs partageront sans doute le constat de Séverine Henry, global associate marketing manager de Nestlé, dont la marque Lion s’est associée à League of Legends. « Quel jeu drive le plus de fans ? Quel est celui qui le plus d’impact ? L’e-sport est un univers très fragmenté, avec de nombreuses compétitions, plusieurs ligues, et pour une marque néophyte, c’est compliqué », confirme Étienne Dupont, directeur marketing de Viber, partenaire aujourd’hui de plusieurs équipes de joueurs professionnels via la webTV Solary. « Aujourd’hui, les gamers ne forment pas une communauté ; chaque jeu en représente une, c’est important à comprendre », pointe aussi Pierre Bellefleur, directeur de clientèle de La Chose, une agence qui est membre de France Esports.

Des agences spécialisées encore rares

Dans cet écosystème encore fragmenté, chacun met en avant ses atouts. En 2015, Mathieu Lacrouts a été le premier à lancer une agence de communication dédiée à l’e-sport. En trois ans, Hurrah est passée de deux personnes à une vingtaine, et de 75 000 euros de chiffre d’affaires à plus d’un million. « On reste, en dehors de l’agence allemande Freaks 4U, la seule agence spécialisée », remarque son dirigeant. Hurrah, qui occupe aujourd’hui un hôtel particulier de 250 m2 à Belleville, s’est distinguée avec des opérations menées pour Lion en France et pour Coca-Cola et Domino’s aux États-Unis. À l’agence, chacun se fait appeler par son surnom de joueur. « On arrive à parler à cette communauté car on en fait partie », note Mathieu Lacrouts, alias Lacs, qui met en avant la capacité de son équipe à faire émerger les bons arguments, ceux qui vont parler aux joueurs. « Il est important de s’appuyer sur des insights forts et de comprendre les joueurs, par exemple le fait que lorsqu’ils jouent, ils ne peuvent pas s’arrêter pour faire autre chose, ou qu’ils ont besoin de boissons dynamisantes pour rester éveillés », confirme Fanny Camus-Tournier, directrice du planning stratégique d’Herezie. Selon elle, la présence des marques est aujourd’hui trop opportuniste et pas assez altruiste. « Elles doivent se demander comment elles peuvent réussir à changer la donne et aider les joueurs », juge-t-elle.

Sans forcément se spécialiser sur le sport électronique, tous les intervenants du marché, notamment les agences agissant dans le monde sportif et l’événementiel, ont compris qu’il fallait se doter d’experts pour investir le secteur. C’est le cas chez Havas Sports & Entertainment, qui dispose d’un « head of eSports » en la personne de Pierre Acuña et d’une équipe de trois personnes dédiée à cette discipline. « Tout le monde se pose des questions, comment y aller, sur quels jeux, avec quelles activations », justifie son président Stéphane Guerry. « Seulement, il faut comprendre que c’est un vrai investissement pour faire du conseil et pour structurer une expérience, avec des retombées à nattendre qu’à moyen terme », estime Pierre Acuña. Chez Lagardère Sports, dont la vocation est de mettre en relation des ayants droit et des marques, on suit aussi de près l’e-sport. « Nous avons été approchés par des organisateurs d’événements, des équipes ou des éditeurs sur la façon dont ils pouvaient professionnaliser leur démarche et s’adresser à des marques moins endémiques que celles qui historiquement gravitaient dans l’e-sport », relève Nicolas Bailly, son directeur marketing.

Former joueurs, influenceurs et managers

Le besoin d’experts a bien été identifié par les promoteurs de Gaming Campus, la première école supérieure dédiée au jeu vidéo. Elle a ouvert ses portes le 2 octobre à Lyon avec une centaine d’étudiants retenus parmi plus de 800 dossiers déposés. L’école va former des joueurs professionnels ainsi que des influenceurs (des joueurs qui créent leur communauté sur des plateformes telles que Twitch), mais aussi et surtout des managers spécialisés en e-sport, un vivier dans lequel les agences pourront puiser. « Les besoins de recrutement sont forts », avance Thierry Debarnot, l’un des fondateurs, qui est allé rencontrer tous les professionnels du secteur avant d’ouvrir l’établissement. Deux agences de communication lyonnaises, Apollo et Zol, sont d’ailleurs devenues sponsors, aux côtés du Crédit Mutuel ou d’Ubisoft, de cette école new look sans cours ni amphi, où tout fonctionne en mode projet.

Chez Biborg, agence spécialisée sur le jeu vidéo avec plus de 50 % de son chiffre d’affaires réalisé avec des éditeurs, on met toutefois en garde contre une trop grande spécialisation. « Être très pointu, être capable d’appréhender les jeux, les équipes, l’écosystème du gaming, d’accord, mais il ne faut pas non plus se couper de la possibilité d’être compris par un public plus large », explique son CEO Bruno Luriot, qui préfère définir sa société d’une cinquantaine de salariés comme « une agence d’entertainment avec une expertise du jeu vidéo ». Réussir à parler à des communautés très engagées, souvent méfiantes vis-à-vis des annonceurs non endémiques, tout en évitant d’être trop « hardcore gaming », voilà la quadrature du cercle.

Il ne semble pas si aisé, finalement, de s’imposer sur ce marché. C’est souvent grâce à un premier budget, à l’instar de Lion chez Hurrah, que l’activité peut décoller sur ce type de marché émergent. C’est le cas aussi chez We Are Social, qui a accompagné le partenariat de Renault Sports avec les joueurs de la réputée Team Vitality. « Renault nous a permis de passer à l’étape supérieure et de nous positionner comme l’un des leaders dans la compréhension de ce territoire-là », note Fabien Gaëtan, creative strategist à l’agence. Il admet toutefois que dans cette économie encore très floue, « ce travail d’agence conseil mené pour Renault, les équipes d’e-sport elles-mêmes essayent de le faire, parfois les licences de jeux vidéo aussi, ou ceux qui organisent les événements ». Rude bataille.

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