Dossier Afrique
L’émergence d’une nouvelle génération d’agences vient challenger l’hégémonie des réseaux internationaux sur le continent. La fin d'une chasse gardée.

Casablanca en 2014, trois mois après avoir inauguré leurs bureaux parisiens, la Côte d’Ivoire l’année suivante, Johannesburg en 2016, le Ghana il y a deux mois, et maintenant le Kenya, avec en ligne de mire le Rwanda, l’Éthiopie et Madagascar: en l’espace de quatre ans, Adrien Cusinberche et Guillaume Aoust, les fondateurs de l’agence Blue Lions, ont enchaîné les ouvertures sur le continent africain. Ils ont même installé l’an dernier une succursale à Dubaï pour leurs clients Bic, Essilor et Airbus qui gèrent l’Afrique depuis le Golfe. Avec 50 salariés et 3 millions d’euros de marge brute, voilà désormais un acteur qui menace l’hégémonie des géants mondiaux, à commencer par les français Havas et Publicis.

Le prisme du digital.

Le modèle d’implantation choisi par Blue Lions diffère des pratiques courantes. Pendant longtemps, les réseaux publicitaires ont procédé par affiliation en s’associant à des partenaires locaux sans prise de participation. L’objectif était d’afficher un maximum d’implantations. « Nous, on reste propriétaires de nos bureaux, on les finance, on recrute et on les développe », explique Adrien Cusinberche, qui précise qu’à Abidjan, « Blue Lions est ainsi passé en trois ans de 2 à 18 salariés ». Pour cet ancien de Publicis, qui gérait le budget digital de Renault et Orange à l’international, le choix de l’Afrique est venu simplement: «Je me suis rendu compte assez vite que les clients étaient un peu abandonnés et qu’il n’y avait pas grand-monde pour les accompagner, notamment sur le digital. Les agences locales, qui se sont améliorées depuis, n’apportaient pas les bonnes réponses, et pour les grandes agences, l’Afrique était un peu la dixième roue du carrosse…» L’importance prise par le digital a fait le reste. Blue Lions a ainsi déployé Maybelline en Afrique occidentale et centrale uniquement online, une première pour un lancement chez L’Oréal.

C’est aussi par le prisme du digital qu’une autre agence parisienne, Small is bigger, sans faire le choix d’ouvrir des bureaux locaux, a mis le pied sur le continent noir. «Nous sommes rentrés par la petite porte en intervenant sur le site internet de la présidence du Sénégal, raconte Nicolas Czorny, un ancien de Kassius associé aujourd’hui à Brian Tenoudji dans cette agence basée à Paris. Cela fait maintenant trois ans qu’on travaille avec eux et l’éventail des projets s’ouvre.» Ils ont désormais la mission d’orchestrer la campagne digitale d’un candidat à une élection nationale dans un autre pays d’Afrique francophone et ont décroché leur premier client privé au Sénégal, le fournisseur d’accès à internet WAW. «Un travail d’immersion dans la culture locale est nécessaire, avec des allers-retours sur place et une phase d’analyse, et ensuite nous pouvons aller sourcer sur place des créatifs qui ont une vraie expertise du continent africain», explique Nicolas Czorny, appliquant ainsi le modèle collaboratif décliné en France par son agence.

À ces nouveaux explorateurs venus de l’Hexagone s’ajoutent des conquérants d’Afrique du Nord. Le groupe de communication marocain WB Africa, déjà implanté au Maghreb, a commencé à se déployer à Abidjan et à Dakar en recrutant Mélanie Blond, aujourd’hui revenue en France comme conseillère presse de Xavier Bertrand à la présidence de la région Hauts-de-France. Ce choix procédait de la même lecture que chez les Français : entre les grands réseaux publicitaires et les agences indépendantes locales, il y a de la place pour de nouveaux entrants plus à l’écoute des clients que les grands et plus équipés que les pure players locaux. Même analyse pour l’agence algérienne All In. Première du pays à exporter son savoir-faire, elle s’est installée en début d’année à Abidjan - où elle a gagné le budget d’un opérateur téléphonique - et ambitionne d’ouvrir à Dakar. «Il y a encore cinq ans, analyse Ramine Sidi Saïd, l’un de ses dirigeants, on pouvait gagner des marchés en s’appelant Publicis, mais les clients se sont aperçus que ça ne suffisait pas et cela a profité à une nouvelle génération dont je fais partie. Maintenant, il y a pas de mal de pitchs que nous gagnons face à des McCann ou des Publicis.»

Les réseaux entre croissance organique et acquisitions.

En face, les réseaux internationaux ont senti la menace et commencé à se réorganiser. C’est le cas chez Havas. CEO d’Havas Africa, l’Espagnol Jorge Irizar Alonso a été chargé il y a sept ans d’investir l’Afrique sub-saharienne. «Avant, on avait comme les autres deux ou trois affiliations à droite et à gauche, raconte-t-il. Aujourd’hui, nous sommes installés dans plus de vingt pays. Nous avons procédé avec un parti-pris fort: pas d’acquisition, uniquement de la croissance organique en nous appuyant, pour le back-office, sur le groupe Bolloré déjà bien implanté.» Ce réseau 100 % Havas continue de grandir au rythme de «trois à six agences par an, avec la volonté d’être partout», explique l’Espagnol basé à Barcelone qui manage l’équipe parisienne de quinze personnes dédiée, à Puteaux, au continent africain. Au total, Havas Africa compte 350 salariés et travaille pour Airtel, Emirates, Canal+, Orange, Unilever ou Bank of Africa. Très orienté sur les médias, le réseau totalise 60 millions d’euros d’achats hors Afrique du sud. Le groupe français a aussi créé son Havas University. Elle a déjà formé une dizaine de professionnels africains qui constituent sa nouvelle génération de managers sur place.

Choix stratégique différent, en revanche, pour Publicis. Sous l’impulsion de Kevin Tromp, qui a récemment quitté le groupe, Publicis s’est déployé en Afrique depuis sa base de Johannesburg en procédant par acquisitions. C’est ainsi qu’il a mis la main, il y a cinq ans, sur une pépite locale: le réseau AG Partners développé depuis 1991 par la Française Isabelle Aimonetti dans toute l’Afrique francophone, avec seize agences réparties dans quatorze pays. Avec les autres filiales, «le groupe Publicis en Afrique, c’est 58 agences réparties dans 34 pays et 3 500 personnes, avec des clients comme Nestlé, Western Union, L’Oréal, BNP, Bel ou Orange, et une organisation par hubs client qui offrent toutes les solutions métiers», détaille celle qui est aujourd’hui basée à Auteuil et que l’on surnomme « la madame Afrique» de Publicis. «C’est un continent porteur, analyse-t-elle avec son autre casquette de conseillère au commerce extérieur pour l’Afrique, c’est un marché énorme avec des croissances fortes et il est normal qu’il continue d’attirer les convoitises, avec l’arrivée régulière de nouveaux acteurs aux côtés d’agences locales très fortes.»

De fait, des enseignes indépendantes comme Caractère au Sénégal, Voodoo, 6e Sens ou People Input à Abidjan sont aussi des «clients» sérieux pour les réseaux internationaux. Benoît Pellevoizin, qui dirige aujourd’hui la stratégie de l’agence Sid Lee, a retiré de son expérience africaine avec son employeur précédent, Fred & Farid, une leçon : «Pour réussir en Afrique, il faut y aller sans conditions. Il ne faut être ni afro-pessimiste ni afro-optimiste, mais afro-inconditionnel, il n’y a pas d’autres solutions. Si l’on joue le jeu à fond, ça peut marcher.» Preuve que les chausse-trapes restent nombreuses, Fred & Farid, qui avait tenté de s’implanter à Abidjan avec le budget Orange pour une partie de la région, s’y est cassé les dents. D’autres ne regrettent pas leur expérience africaine, à l’image de Christian Cappe, le fondateur de l’African Cristal Festival, une manifestation créée en 2013 qui rassemble aujourd’hui chaque année à Marrakech 400 festivaliers accrédités. «Il y a une telle volonté d’avancer et d’apprendre qu’on se sent forcément poussés», résume-t-il, enthousiaste.

 



 

 

Havas se développe en Algérie

Le group Havas a annoncé le 16 octobre l'acquisition de 49 % des parts de deux sociétés algériennes : Ganfood, agence de communication globale orientée conseil et création qui devient Havas Creative Alger, et HVS, agence média qui prend le nom d'Havas Media Alger. La première a été créée en 2003 par de jeunes Algériens passionnés de design, de graphisme et de création. Ses clients : Heineken, Peugeot, Sanofi, Lafarge, Société générale, etc. HVS, fondée en 2009, intervient dans le conseil média et l'achat d'espace. Elle dispose aussi d'un portefeuille de clients internationaux et locaux : Lactalis, Emirates, Hygienix, LG, Mango, IFRI, JDE, etc. 

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