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Serge Michels, président du groupe Protéines, dénonce dans son dernier ouvrage Le Marketing de la peur (éd. Eyrolles) une «instrumentalisation» des préoccupations des citoyens pour jeter l'anathème sur des marques. Il appelle à des débats pacifiés dans lesquels toutes les parties prenantes seraient représentées.

«Le Marketing de la peur»: c'est un titre fort, mais quelle en est votre définition ?

Serge Michels. Le marketing de la peur, c'est l'utilisation des peurs autour de la santé et de l'environnement, deux valeurs qui touchent tout le monde, avec souvent, derrière cela, des intentions anticapitalistes. On utilise le marketing et la sémantique pour attaquer le système et les entreprises, qui sont, dans la majorité des cas, des grandes multinationales.

 

Qui est ce «on» ?

S.M. Ce sont des lanceurs d'alerte d'un nouveau genre. Auparavant, les organisations de consommateurs jouaient ce rôle. Mais les ONG environnementales sont allées vers plus de radicalité, et surtout ont su occuper le terrain médiatique. Une récente étude que nous avons menée (étude Worldview 2014) montre que 47,2% des consommateurs ne font jamais confiance aux grandes marques alimentaires.

 

En quoi ces «attaques» ne sont-elles pas légitimes ?

S.M. Il n'y a jamais eu autant d'instrumentalisation des sujets liés à l'environnement et à la santé. Simultanément, le terrain a été totalement déserté par les entreprises et les experts, si bien que plus personne ne défend les produits et les technologies. Avant, il y avait des bonnes et des mauvaises études scientifiques débattues au sein de la communauté. Aujourd'hui, elles sont tout de suite mises à la disposition de tous, sans filtre, avant même tout consensus scientifique. Nous sommes arrivés à un système où les prises de décision sont populistes et rarement basées sur des éléments rationnels. Il est du coup très complexe pour une entreprise de mettre sur le marché des innovations trop rapidement suspectées de coups marketing. Dès qu'un débat est soulevé, les politiques légifèrent de façon extrême. Ce n'est même plus le principe de précaution qui prévaut, on assiste surtout à un manque de courage.

 

Au-delà de la critique, que comptez-vous apporter avec ce livre ?

S.M. Je veux soulever le problème et donner des clés aux entreprises pour pouvoir s'en sortir. Mon but est d'alerter: il y a une absence de prise de parole de la part des marques qui est néfaste. L'essentiel des budgets de communication est dévolu à l'activation. Les marques ne veulent pas que leur entreprise soit associée aux débats. Ce qui est étonnant, c'est que les syndicats professionnels, dont c'est la mission, sont aussi très absents. Ce livre s'adresse aux décideurs, aux journalistes... j'aimerais que l'on prenne plus de distance par rapport au marketing de la peur, pour comprendre que derrière il y a des vrais sujets de société.

 

Que recommandez-vous pour déjouer ce «marketing de la peur» ?

S.M. On ne peut pas être transparent sur tout, mais lorsqu'il y a des sujets de débat, il faut les aborder. Car lorsque vous refusez de répondre, cela entretient l'idée qu'il y a un problème. Il faut faire preuve de bonne foi, et si vous pressentez que le sujet va arriver sur la place publique, il faut prendre les devants. Les secteurs des produits d'entretien et des cosmétiques ne sont pas encore sous les feux de la rampe en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens mais ça ne saurait tarder. Il ne faut donc pas prier pour que ça tombe sur le camarade, mais prendre le taureau par les cornes.

 

Vos clients étant justement ces grandes multinationales et ces marques qui se retrouvent souvent attaquées, ne craignez-vous pas que votre prise de position en soit amoindrie ?

S.M. Bien sûr, on dira que je roule pour les industriels. Mais ce qui m'intéresse, c'est le débat que ce livre va susciter. Nous avons le même problème avec les scientifiques, ce n'est pas parce qu'ils ont travaillé pour les industriels que ce qu'ils démontrent est nécessairement faux. Le plus important est de ne pas avancer masqué.

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