Où en est la communication intégrée aujourd'hui? Débat post-Cannes Lions entre Erik Vervroegen (Publicis Worldwide), qui a siégé au jury Titanium & Integrated, et Andrea Stillacci (Herezie), maître d'œuvre du projet «Integraal» à l'AACC.

Vous étiez au jury Titanium & Integrated cette année aux Cannes Lions. La communication intégrée est-elle importante et pourquoi ?


Erik Vervroegen. J'ai passé quatre jours avec Dan Wieden [le cofondateur de Wieden & Kennedy], qui a inventé le Titanium. L'essentiel du débat a porté sur la différence entre Integrated [campagnes intégrées] et Titanium [idée créative innovante]. Certains travaux sortent en Titanium mais pourraient parfaitement être récompensés en Integrated.

 

Cela n'a pas beaucoup de sens, alors...


E.V.
Il faut poser la question aux organisateurs du festival... Pour moi, une campagne intégrée est une campagne qui joue avec plein de médias. Il n'y a pas un média plus fort que les autres. C'est une idée qui utilise tout ce qui est à notre disposition aujourd'hui pour nous exprimer. Voilà. C'est mon idée; d'autres ne seront pas d'accord. Je n'ai pas «la» réponse.
Andrea Stillacci. Pourquoi la France a-t-elle du mal dans cette catégorie? Il y a un triangle agence médias, agence créative et client. Or la réglementation en France fait que ce triangle n'a pas la même fluidité que dans d'autres pays...
E.V. Franchement, je pense que c'est pareil partout. A Cannes, on voit des boulots magnifiques... qui sont des exceptions! Le talent n'est pas le seul ingrédient. Ce talent doit s'exprimer au bon moment, avec un client qui est prêt pour ça. En France, on n'a rien à envier à personne. Les Etats-Unis ont tout simplement plus d'argent! C'est aussi simple que ça. Plus d'argent pour faire plus de choses. En France, les budgets sont restreints.

 

C'est donc une question de moyens?

 

E.V. Pas une question de talent en tout cas. En France, le talent est là. Tout le monde est prêt en France. Mais les combinaisons ne sont pas toujours au rendez-vous. Il ne faut pas rêver: les gens qui mettent encore dans leur case study «2 000 tweets et 600 millions de vues», ça ne bluffe plus personne.

A.S. Dans votre expérience des campagnes intégrées, quel est le rôle des agences médias?
E.V. Je ne saisis pas trop la question... Tu mets un peu d'argent pour commencer et après ça part tout seul. C'est principalement de l'«earned media». Je ne regarde pas comment utiliser les médias. Je pense d'abord à trouver un truc qui a du sens et après j'utilise les médias. Quand on est clair sur les contraintes que l'on doit gérer (le problème, le budget et le temps), la réponse peut être une application, un film viral, ceci, cela. Je ne cherche pas à cocher les cases. Je regarde l'équation. Je m'intéresse aux médias mais ce n'est pas le départ de la discussion. Je suis entièrement d'accord avec le fait que des médias mal utilisés puissent nuire à l'idée.

 

Un membre du jury Titanium & Integrated a expliqué que cocher les cases ne suffit plus, il faut quelque chose de plus...


E.V. Il en a toujours été ainsi. En fait, on revient aux fondamentaux. La publicité doit être polie. On s'invite chez les gens, on propose un spectacle de qualité. Ce n'est pas nouveau mais en revanche tout a changé: les médias, ce sont les gens. Il faut leur proposer quelque chose qu'ils vont partager d'eux-mêmes. Dans une campagne 360 degrés, une grande idée se diffuse et se développe d'elle-même. Les gens parlent, tweetent, postent, échangent, partagent, etc. Et personne ne paye pour cela.

A.S. Mais pour déclencher le feu, il faut des allumettes!
E.V. Il faut surtout une bonne idée. Il faut commencer avec quelque chose dont les gens ont envie de parler, quelque chose qu'ils ont envie de partager. Sans cela, il n'y a rien. Regardez Dove qui a gagné le Grand Prix Titanium: ça touche les gens au plus profond de leur âme. Ça va être de plus en plus difficile de s'en sortir à Cannes avec des choses qui ne sont pas complètement intègres. On a tous fait des choses «self-interest»: tout ça, c'est terminé.

 

Qu'est-ce qui prime : l'idée ou l'intelligence de l'architecture média?


E.V. Ce sera toujours l'idée. Il y a eu une période de flou, on ne savait pas si la technologie n'allait pas devenir plus importante que l'idée. Aujourd'hui, on est clairement revenu à l'idée.
A.S. Faisons un parallèle avec la musique. Si je regarde la stratégie du groupe Daft Punk, il n'y a pas d'idée créative au sens où on l'entend à Cannes mais il y a des stratégies médias très créatives. Une créativité média ne peut-elle pas améliorer encore le déploiement de l'idée?
E.V. Quand le chanteur Beck ne s'en sort pas et ne sait pas comment lancer son nouvel album, et qu'une agence, un free-lance, quelqu'un lui trouve l'idée : donner sa meilleure chanson aux gens  avant même de l'interpréter. C'est une idée, avant la technologie et l'orchestration.
A.S. Une agence médias créative n'est-elle pas un plus?
E.V. Je n'en sais rien, je ne suis pas en contact avec les agences médias. Je comprends parfaitement ce que vous dites mais je n'ai pas cette connaissance.

 

Est-ce qu'il arrive qu'à partir d'un brief, on décide de réaliser une campagne intégrée ? Cela peut-il se décréter?


E.V. Jamais. Ça ne veut rien dire. Quel est le problème du client? De combien de temps dispose-t-on? Avec quel budget? Ce sont les trois points clés. Tout part de là. Si je suis dans l'urgence, je fais ce qu'il faut. Si j'ai du temps et un client en face de moi avec lequel commence un dialogue, ce sera probablement, naturellement, une solution intégrée. Aujourd'hui, il n'y a pas une grande campagne qui puisse zapper le 360 degrés: une vision globale de la marque avec une grande idée au-dessus et suffisamment forte pour pouvoir descendre et tout irriguer.
A.S. C'est l'élément clé. Lors de la première édition d'Integraal, on parlait de Nike avec Eric Quennoy et Mark Bernath [les deux patrons créatifs de Wieden & Kennedy Amsterdam]. «Write the Future», c'est une idée. L'arborescence de cette idée a été extraordinaire mais il faut du temps.
E.V. Et de l'argent! Ce film a nécessité douze mois de post-production. On est tous d'accord là-dessus: avec du temps et de l'argent, la solution est forcément multimédia avec une grande idée.
A.S. Quand vous travaillez avec les annonceurs, l'interlocuteur est-il le même du début à la fin?
E.V. Cela dépend. Cela prend du temps d'installer un rapport de confiance. Souvent, on construit quelque chose avec un client et il s'en va. Alors, on reprend tout à zéro... J'ai tout vu: en direct avec de grands clients et ça a donné des choses bien, parfois pas... Il n'y a pas de recettes. Prenez Honda et Wieden & Kennedy Londres. L'agence recevait Grand Prix sur Grand Prix avec ce client. Excellente agence, magnifique direction de la création, client courageux... Du jour où le client est parti, on n'a plus jamais entendu parler ni de Honda ni de Wieden & Kennedy Londres ! Sans un bon client, sans un bon rapport avec un client, rien n'est possible. Rien.

 

Pas de recettes, vraiment?


E.V. Il y a bien sûr le minimum olympique: respect, bonne direction artistique, pas n'importe quoi. Mais on sous-estime souvent le facteur chance à Cannes. De temps en temps, il n'y a pas d'explication. Ce n'est pas parce que ça gagne à Cannes que c'est bien, même si c'est bien en général. Neuf fois sur dix, dans des catégories comme Titanium & Integrated, c'est bien. En print, en radio, c'est un peu différent. Mais il faut que les gens comprennent que ce n'est pas une fin en soi. Je sais ce qui est marqué sur mon front mais ça n'a jamais été pour moi une fin en soi. Et si tu te dis: «C'est ça qui marche, allons-y!», c'est l'échec assuré.

 

Pas de recettes, donc, mais y a-t-il des tendances ou des modes, comme l'advertainment ou le format long?


E.V
. Si c'est une bonne idée, c'est une bonne idée. L'année prochaine, ce sera peut-être le bon vieux 30 secondes... La seule tendance que je vois, c'est que le niveau monte et que la façon dont on s'adresse aux gens évolue dans le bon sens. Ce n'est plus «pouet pouet!» ou vulgaire. La tendance, c'est le respect, des gens payés pour délivrer des messages avec un maximum de politesse, de responsabilité, d'intégrité.De plus en plus de clients comprennent que la créativité est un élément essentiel pour gagner la guerre. Cela progresse naturellement. Je pense que dans cinq ans, il y aura à Cannes autant de créatifs que de non créatifs. Il y a dix ans, c'était à 90% des créatifs qui faisaient la foire et quelques clients qui se demandaient qui ils étaient. Aujourd'hui, c'est très sérieux. Les clients sont très contents d'avoir un prix parce que cela veut dire quelque chose. Je suis peut-être naïf mais je vois cela comme le bout du tunnel: les planneurs, les commerciaux, les créatifs, les clients, tous travaillent ensemble, ça se mélange et des trucs magnifiques se passent. Avec les clients qui ne veulent pas s'intéresser à la qualité du travail et restent scotchés aux tests, rien ne se passe.

 

(encadré)

 

Integraal AACC

 

En février dernier, l'AACC, le Club des annonceurs et l'Udecam annonçaient le lancement d'Integraal. Développé à l'initiative d'Andrea Stillacci, président de la délégation publicité de l'AACC, ce format tripartite agences de création-agences médias-annonceurs vise à comprendre, au travers de retours d'expériences, les enjeux de la communication intégrée, forme considérée comme la plus performante qu'une marque puisse déployer pour atteindre ses publics. Un premier rendez-vous a eu lieu le 1er mars autour des deux directeurs de la création de l'agence Wieden & Kennedy Amsterdam (Eric Quennoy et Mark Bernath). Prochain rendez-vous le 2 juillet autour du directeur marketing de The Guardian, Richard Furness.

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