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Au lieu de suivre les phénomènes de société ou de consommation, la publicité peut-elle en être à l'origine ? Ses artisans répondent.

Tendance. Un terme devenu à la fois le plus galvaudé et le plus prisé qui soit. Non pas la tendance « hype », branchée, parisienne, mais plutôt la vraie tendance, la sociétale ou l'artistique, qui finit parfois en tendance de consommation. Celle dont on s'aperçoit seulement quelques années plus tard qu'elle a transformé nos habitudes ou qu'elle est passée dans le langage courant. Le Saint-Graal des marques, des designers et… des publicitaires.

La publicité, justement, est-elle à l'origine, à l'avant-garde ou à la remorque d'une tendance ? Qui nourrit qui ? Qui inspire qui ? Comment arrive-t-on des seins nus sur la plage à une Myriam placardée sur les murs parisiens en 1981 et annonçant qu'elle va enlever le bas ? Comment différencier aujourd'hui la création artistique d'Andy Warhol et sa production publicitaire ? (lire ci-contre)

Prenez un publicitaire. Imaginez-le allant voir un film ou un concert, lisant un article ou un livre. Bref, humant l'air du temps, à l'affût des modes, des mythes et des fantasmes du moment. Agitez-le dans un shaker, saupoudrez d'un soupçon de créativité et vous avez normalement devant vous celui qui imaginera la prochaine campagne qui vous fera découvrir la dernière tendance avant même que vous l'ayez perçue. Une recette imparable ? Pas toujours. Mais parfois, le mélange prend. Exactement comme dans l'art.

« Mais justement, la publicité est un art », soulignent Frédéric Raillard et Farid Mokart, coprésidents de Fred & Farid. Pour eux, pas de fausse modestie : « Avoir la bonne intuition vis-à-vis de ce qui se passe dans la société et en faire la synthèse, c'est un talent, celui du publicitaire », ajoutent-ils. Selon eux, la publicité n'est pas une méthode, encore moins une technique. « Le rôle de la pub est de capter la tendance, de la démocratiser et donc de l'amplifier. Mais cette tendance existe déjà en amont. Il suffit d'observer », précise pour sa part Pascal Grégoire, cofondateur de La Chose.

Dernière grosse tendance captée par la publicité : les causes mondiales. Grâce à Fred & Farid, celles-ci portent désormais un nom, « Massive Good ». L'agence vient d'orchestrer un grand projet autour du système de microdon reversé à l'association Unitaid. Des personnalités américaines de tous horizons, comme Spike Lee, Samuel L. Jackson, Paul Auster ou Bill Clinton, ont d'ailleurs répondu présents. « Sur ce terrain, les marques et les publicitaires ont pris le relais des gouvernements », confirme Christophe Coffre, directeur de la création chez Saatchi & Saatchi. Même emballement pour la campagne « Tck, tck, tck. Time for Climate Justice » orchestrée par le réseau Euro RSCG Worldwide, son label The Hours et portée par soixante-cinq artistes internationaux. Au final, 15 millions de signatures et plus d'un million de téléchargements du titre musical, Beds are burning.« Dans ce cas-là, le discours politique a muté en discours publicitaire, puis artistique », analyse Alexandre Sap, PDG du label The Hours.

Allers-retours

Société, art et publicité sont d'ailleurs tellement imbriqués que, de l'un à l'autre, il n'y a souvent qu'un pas. On ne compte plus le nombre de grands réalisateurs de publicité devenus des grands réalisateurs de cinéma. « Grâce à la pub, beaucoup ont sauté la case du court métrage, rappelle Christophe Coffre. Certains artistes sont d'ailleurs peu reconnaissants vis-à-vis de la publicité. Les mannequins, par exemple, lui doivent tout… »

Dans la musique également, l'influence des marques se fait peu à peu sentir. Prenant le relais des maisons de disques, un boulevard s'ouvre pour la publicité. Le meilleur exemple est  Apple avec ses campagnes et leurs bandes-son faisant émerger de nouveaux talents. Dans ce domaine, le duo Fabrice Brovelli-Christophe Caurret, chez BETC Music, a également de beaux faits d'armes à son actif, avec entre autres l'empreinte musicale d'Air France signée par les Chemical Brothers en 1999.

Leur dernière réussite date de janvier 2010 : la bande-son de la campagne « Epargne » du Crédit agricole, avec le groupe Two Door Cinema Club. Le jeune trio irlandais, dont le premier album est sorti début mars chez Kitsuné, fait depuis beaucoup parler de lui.

Autre bel exemple chez Publicis Conseil en 2009, avec la campagne de BNP Paribas pour le crédit immobilier. La marque avait en effet choisi pour l'illustrer la chanteuse britannique VV Brown en reprenant jusqu'au processus créatif du clip musical de l'artiste. Un clip qui a accéléré la médiatisation de la chanteuse, désormais en pleine ascension.

Pour d'autres, c'est en faisant des allers-retours que la créativité se nourrit. « Le monde de la publicité semble parfois saturé, éprouvant des difficultés à se renouveler. C'est pourquoi il nous paraît aussi important de produire des projets purement artistiques, comme le dernier film Womens are heroes - Paris du photographe JR, dont le travail est justement aux antipodes de la publicité », soulignent les deux producteurs de Cosa, Julien Rigoulot et Julien Pasquier. Une vision sans cesse renouvelée qui vient de les amener à produire le très réussi clip d'Izia Higelin pour Petit Bateau et BETC Euro RSCG.

Veille permanente

Ces succès sont le résultat d'une veille permanente. Et pour cela, nombreux sont les publicitaires qui remercient aujourd'hui Internet. « Nous avons tous nos propres antennes, mais la Toile est un énorme vivier », souligne Pascal Grégoire, de La Chose. « Le Web nous permet de dénicher encore plus de nouveaux talents, et donc de nouveaux auteurs pour la télévision et la publicité », soulignent Christophe Tomas et Jean-Charles Felli, producteurs associés chez Save Ferris.

« Internet est un média d'expérience qui fait appel à l'imagination, un peu comme la radio, souligne Matthieu de Lesseux, coprésident de l'agence DDB Paris. Cela me nourrit quand je découvre des choses aussi intéressantes que le site We choose the Moon, qui propose de revivre en temps réel la mythique mission Apollo 11, ou encore les musicales Black Cab Sessions. » Autre bel exemple sûrement porteur : la dernière version du site de la marque Wrangler avec le mannequin que l'on habille ou déshabille au gré de sa souris.

Retour de bâton du Net : certaines tendances actuelles se « viralisent » tellement vite sur les nouveaux médias que la publicité donne parfois l'impression d'arriver très en retard. Tant mieux, diront certains. « La publicité n'a pas vocation à créer la tendance. Rebondir sur une tendance déjà existante, c'est aussi entrer en empathie avec le consommateur », tempèrent Franck Botbol et Hugues Cholez, directeurs associés du studio médias Arthur Schlovsky.

Ce serait là une autre différence avec l'art : pour exister, la publicité n'a pas besoin de créer la tendance, d'être à l'avant-garde. « Une bonne pub est celle qui arrive à l'heure. Ni trop en avance ni trop en retard », confirme Frédéric Girard, directeur international du planning stratégique de Grey Paris. Chez Saatchi & Saatchi, Christophe Coffre ironise : « On nous reproche déjà de créer de faux besoins. Alors, quant à créer des tendances… »

 

Anne-Lise Carlo

 

Les créateurs de tendance

La dernière campagne pour Suchard va-t-elle créer une tendance ? En prônant le « retour du plaisir », la marque fait émerger un nouveau discours à contre-courant du moralisme ambiant. Sera-t-elle suivie ? En effet, si certaines publicités ouvrent de nouvelles pistes et de nouvelles tendances, on ne s'en aperçoit qu'après…

Quand Andy Warhol a créé sa Factory en 1964 à New York, le roi du pop art avait déjà les mains dans la publicité depuis une dizaine d'années. Difficile de déterminer clairement qui a nourri l'autre. De même, pour l'école publicitaire anglaise des années 1970-1980. Les frères Ridley et Tony Scott ont démarré par des publicités marquantes avant de basculer sur grand écran. Même chose pour Adrian Lyne, Hugh Hudson, entre autres. La même année, en 1986, sortaient d'ailleurs deux productions mythiques et tellement synchrones : le film Neuf Semaines et demie et la publicité pour Levi's de l'agence anglaise BBH avec son célèbre strip-tease dans la laverie automatique rythmé par le magique Marvin Gaye.

« Les idées naissent d'une minuscule collision », résumait le célèbre publicitaire Philippe Michel, fondateur de l'agence CLM BBDO. De la provocante Myriam au « Buvez, éliminez » de Vittel, ses créations sont restées dans l'imaginaire collectif. Les publicités de l'illustrateur Jean-Paul Goude ont, elles aussi, changé la stratégie publicitaire, avec l'avènement des imaginaires de marque et même de pays comme lors du défilé du bicentenaire de la Révolution française.

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