Le collectif Adwiser que vous avez cofondé pour concilier communication et développement durable vient de lancer un groupe de travail sur l'humour. Pour quelles raisons ?
Alice Audouin. Plusieurs d'entre nous avaient envie de défendre ce thème afin qu'il soit mieux utilisé. Aujourd’hui, soit les enjeux environnementaux sont trop graves pour en rire, soit on s’en moque en leur donnant un côté « retour aux chandelles »
De Home au Syndrome du Titanic, le développement durable a également fait l'objet de discours sombres et alarmistes dernièrement…
A.A. Le sujet est porté par deux tendances : les initiés parlent aux initiés ou les initiés parlent aux non-initiés en misant, sur une prise de conscience de nature électrochoc. Je ne suis par contre ces films qui ont touché un large public. Le problème n'est d'ailleurs pas qu'ils soient drôles ou non, mais qu'ils s'appuient sur des images choc visant à une prise de conscience immédiate. Pour moi, la véritable prise de conscience passe forcément par le recul, la réflexion, la construction d'un raisonnement long et élaboré.
En quoi l'humour est important ?
A.A. Pour Adwiser, un sujet qui ne supporte pas l'humour est un sujet condamné. Ce n'est pas parce qu'il est grave qu'il faut être sérieux ! Pouvoir en rire, c'est une preuve de bonne santé, de tolérance et d'ouverture. Cela doit être possible, toléré voire encouragé. Je défends également l'humour d'un point de vue pédagogique. Pour mon roman Ecolocash [Editions Anabet, 14 euros], qui s'adresse aux non-écolos voire aux antiécolos, l'humour m'est apparu comme la meilleure solution pour faire passer une pléiade de chiffres et d'idées théoriques. Apprendre en rigolant, c'est l'idéal.
Quelles sont les craintes de ceux qui réfutent l'humour ?
A.A. L'humour permet de dédramatiser un sujet, de le rendre plus accessible. Ceux qui s'en méfient pensent qu'il perd, du coup, en importance. Or, pour moi, c'est ce qui permet au contraire un premier contact, une entrée en matière positive qui prouve que le sujet a été perçu, qu'il intéresse. Aujourd’hui, il existe deux extrêmes dans la population : les écologistes engagés et les réfractaires, qui encadrent un vaste ensemble, sorte de ventre mou qui peut pencher d’un côté ou de l’autre. L'humour peut influencer cette partie de l'opinion.
La publicité traitant de questions environnementales s'est-elle emparée de l'humour ?
A.A. Pas vraiment. Avec Adwiser, nous nous demandons pourquoi si peu de spots drôles abordent aujourd'hui le sujet. Et pourquoi l'humour, quand il est utilisé, est systématiquement à charge. Face au développement durable et son lot de mauvaises nouvelles sur un monde en péril, il y a, en réalité, quatre façons très humaines de réagir : le rejet, le déni, la prise de conscience et l'enthousiasme. Avec l'humour, le rejet et le déni peuvent évoluer. Finalement, ce qu'il faudrait réussir à faire, c'est rire des «climato-sceptiques» et des sentiments qui, au fond, les animent, comme la peur ou l'égoïsme. Si les «anti» ont réussi à se moquer des écolos, ces derniers n'ont jamais réussi à se moquer des réfractaires.
Que pensez-vous de la publicité Volkswagen dépeignant une communauté d'écologistes radicaux vivant à l'âge de pierre pour éviter de rejeter du CO2 ?
A.A. L'humour lié au développement durable repose aujourd'hui sur la caricature des extrêmes : les écologistes verts foncés, les super baba-cools… Le décalage entre la gravité des problèmes et la difficulté de changement des consommateurs n'est pas exploité. C'est dommage parce que c'est le cœur du problème. La caricature renvoie par ailleurs à des stéréotypes qui sont dépassés. Dans un sketch de Stéphane Guillon, la consommatrice de produits bio est moche et sent mauvais. Or, aujourd'hui, les mannequins se procurent ce type de produits. Le danger, c'est que la peinture des extrêmes déteint forcément sur l'image des modérés. L'autre ressort utilisé concerne les contraintes, l'atteinte à la liberté, comme dans le spot de l'Audi TDI Clean Diesel mettant en scène une «green police» à Los Angeles. Tous ceux qui commettent les moindres méfaits environnementaux sont arrêtés comme de gros trafiquants de drogue. Rien n'arrive bien sûr au conducteur de l'Audi. C'est drôle mais, sur le fond, le message est pernicieux. Conduire une voiture, fut-elle «voiture verte de l'année» est en effet un geste plus polluant que ceux condamnés dans le spot. D'une manière générale, sur ce thème, les créatifs manquent d'inspiration. Je relève le pari en préparant, avec une metteur en scène de théâtre, une série de sketches sur l'écologie qui sera diffusée sur le Web.
Justement, comment aborderiez-vous le développement durable dans un sketch ?
A.A. Je le présenterais comme un jeune puceau, moche et stupide. Il est né d'une maman norvégienne qui s'appelle Brundtland, dans une institution inconnue et décatie. Il n'a pas d'acquis, pas de réparti, il se fait traiter d'oxymore et se prend des tomates. Et pourtant, c'est lui le héros de la situation. Le développement durable, c'est un scénario de mal-aimé et de mal-accompagné. C'est un concept rejeté, suspecté, qui n'a pas été enrichi par les intellectuels et les artistes. Pour le défendre, il faut montrer ses faiblesses, arrêter les idéologies et le militantisme. Faire de l'humour, c'est se mettre du côté des faibles.
Les attaques dont il est l'objet aujourd'hui, par exemple de la part d'Elisabeth Badinter, vous font-elles rire ?
A.A. Faire d'une couche lavable un mouvement, c'est drôle. Mais je ris jaune. Les intellectuels laissent les climatologues se faire traiter de guignols sans réagir et même montent au créneau contre l’écologie. C'est inquiétant. On risque de perdre la bataille. Surtout si les écolos réagissent en donneurs de leçon. Le rire, expression du plaisir et de la joie, devient d'autant plus nécessaire.
A quand l'adaptation de votre livre au cinéma ?
A.A. Isabelle Doval et José Garcia, qui tiendra le premier rôle, ont écrit un scénario librement inspiré d'Ecolocash. La sortie est prévue pour la fin de l'année. Ils vont prouver, à leur manière, que comédie peut rimer avec écologie.