Dans un secteur devenu mature et très concurrentiel, comment arriver à exister et s'offrir une signature publicitaire différenciée ? C'est tout l'enjeu auquel se trouve confronté le fournisseur d'accès à Internet (FAI) Free.
En effet, celui-ci s'apprête à entrer dans le mobile, mais longtemps après les concurrents Orange, SFR et Bouygues Telecom. Il faudra donc clignoter fort. Or le directeur général d'Iliad, le holding de Free, Maxime Lombardini, ne s'est pas privé de critiquer sa campagne, jugeant trop «geek» et décalé son personnage publicitaire, Rodolphe.
Son agence Saatchi & Saatchi, qui travaille également pour Bouygues Telecom, annonçait au même moment la fin de sa collaboration avec Free. Entre les deux clients, Saatchi a donc fait son choix.
Nul doute que si l'opérateur lance une compétition d'agences, comme cela semble probable, il y aura du monde sur les rangs. Mais pour quelle proposition créative ? Un discours disruptif ou au contraire un ton globalisant ?
Les deux stratégies coexistent déjà dans les télécoms et les fournisseurs d'accès. Avec ses campagnes, Orange tente de parler au plus grand nombre tout en s'affranchissant de la technologie. «La marque utilise Internet et le mobile pour mettre au point des opérations plus originales, comme celle avec Sébastien Chabal», remarque Georges Mohammed-Chérif, patron de Buzzman, l'agence à qui l'on doit ladite opération.
Une révolution côté prix plutôt que côté pub
Parler «techno» est en effet un exercice compliqué. Exemple : pour faire oublier Noos et ses déboires, Numericable avait d'abord misé sur une campagne parlant «câble» et «fibre».
Mais la marque a reconnu avoir raté le coche vis-à-vis des consommateurs. Depuis, elle a humanisé son discours en laissant les abonnés prendre eux-mêmes la parole dans une campagne McCann Paris avec Eyeka.
Côté disruptif, on se souvient de l'arrivée du MVNO (opérateur de réseau mobile virtuel) Simyo avec une campagne de Buzzman il y a un an : l'agence avait alors choisi le comédien trisomique Pascal Duquenne comme porte-parole de la marque. Désormais en deuxième phase de recrutement, Simyo sort une copie plus commerciale avec l'agence Dufresne Corrigan Scarlett.
Globalement, le secteur semble s'être assagi. Ainsi, par le jeu de la fusion avec SFR, les campagnes originales de l'agence V pour Neuf ont disparu. Free compte-t-il s'aligner sur le marché ?
Cependant, la révolution chez Free est peut-être plus à attendre côté prix que côté publicité. En effet, après avoir créé un «standard» du marché («Le tout compris à 29,99 euros»), l'opérateur évoque la possiblité d'y mettre fin. Un peu comme si Darty renonçait à son «contrat de confiance»…
OUI. Luc Wise, directeur général de V
«C'est parce que le marché des FAI s'est consolidé qu'on a besoin de discours novateurs, non conventionnels, pas trop établis. Free aurait intérêt à conserver un ton décalé, qui sied bien au côté trublion, empêcheur de tourner en rond, que l'on retrouve avec son personnage Rodolphe, mais aussi dans les précédentes campagnes «crétin.fr» ou «La meilleure offre depuis…» Mon expérience avec Neuf et 118 218 me fait dire qu'on aurait tort d'opposer un ton décalé à la notion d'efficacité.»
OUI. Alexandre Hervé, directeur de la création de DDB Paris
«La téléphonie mobile est un exercice créatif compliqué. Il faut s'adapter aux offres concurrentes. L'autre difficulté, c'est que l'on ne vend pas seulement un produit, mais un ensemble de services qu'il est difficile de faire entrer dans un spot de 30 secondes ou sur une affiche 4x3. Les marques devraient peut-être passer davantage par Internet que par le film TV ou le print. C'était la belle idée de Bouygues Telecom avec «Le Répertoire de Matthieu» : s'éloigner de la techno pour exprimer ce qu'il y a derrière le téléphone, des gens qui communiquent.»
OUI, MAIS. Frédéric Raillard et Farid Mokart, coprésidents de Fred & Farid
«La convergence mobile-Internet-télévision fait partie intégrante de nos vies. Les publicités pour ces secteurs doivent désormais être abordées comme des «blockbusters» dont le but est de toucher le plus grand nombre. Exactement comme l'eau ou l'électricité. Free peut très bien garder un ton décalé tout en adoptant un ton de leader, à l'instar d'un acteur qui n'a pas encore eu son grand rôle, mais qui va pouvoir le jouer maintenant.»
OUI, MAIS. Patrick Corrigan, président de Dufresne Corrigan Scarlett
«À la base, la demande de créativité est motivée par un souci légitime d'émergence et de recherche rapide de notoriété. Mais le consommateur est tellement gavé par une surenchère – même créative – de messages télécoms que nous devons lui donner une bonne raison de s'intéresser au discours de la marque. C'est lui, désormais, qui dicte le degré de créativité. Il ne s'agit donc plus de surprendre pour se faire remarquer, mais de surprendre pour se faire comprendre. Ou pour convaincre de sa supériorité technique ou économique.»