Création
La décision de Publicis Groupe de couper les budgets consacrés aux compétitions créatives pendant un an a fait grand bruit. Un choix qui bouscule un marché accro aux distinctions...

Telle une punition imposée au milieu du brouhaha d’une classe de CM1, la décision d’Arthur Sadoun, nouveau président du directoire de Publicis Groupe, est tombée comme un couperet: plus de prix pendant un an. Pendant 365 jours, les créatifs consignés de Publicis, Leo Burnett, Saatchi&Saatchi, Marcel, Digitas… vont travailler pour autre chose que la gloire, ouvrant grand la porte aux autres agences… «La chasse est ouverte!», se serait ainsi exclamé en se frottant les mains un patron concurrent sur la Croisette, selon le magazine Advertising Age.

«Le CV d'un créatif se résume aux awards pour certains directeurs de création. Donc faire une pause d'un an risque de générer une fuite des créatifs», estime un directeur artistique. «C'est bien de repenser le métier mais là, [Arthur Sadoun] fait fuir les mauvaises personnes, à savoir les créatifs, et il ne pourra pas en attirer d'autres. Ça va même plus loin… Que va devenir le positionnement d’un Marcel qui avait le rôle de hotshop, de vitrine créative du groupe qui faisait gagner des prix à de jeunes teams? Pas de prix, pas de visibilité, pas de carrière», tranche un directeur de la création. Fuite dont le groupe a d'autant moins besoin que son attractivité créative n’est pas au beau fixe… Suite à la fusion avec Publicis Conseil en janvier dernier, les directeurs de création de Nurun auraient ainsi appelé une bonne partie des créatifs de Paris (la quasi totalité de ceux de BETC notamment) pour les débaucher, en proposant même à certains de tripler leur salaire… en vain.

Un coup au cœur de métier

Il faut dire que depuis la passation de pouvoir, les créatifs ne sont pas sereins quant à leur avenir dans un groupe qui semble plus intéressé par le développement de Viva Tech ou d’une intelligence artificielle que par son cœur de métier: la publicité. «C'est la suite logique de l'arrivée d'Arthur. C'est hyper symbolique. Il n'aime ni la création ni les créatifs. Si c'est vraiment pour un an, ça n'a jamais tué personne de ne pas avoir de prix, mais je pense que cette décision est définitive», considère un ancien directeur de création du groupe. «Même avant son annonce l'ambiance était malsaine, avec moins de création pour plus de profit», confirme un créatif d'une agence du groupe. 

Toutefois, certains voient dans cette décision une aubaine pour les créatifs qui «n'auront plus la pression des prix» et pourront «se concentrer plus en profondeur sur les clients, construire des belles campagnes sur du plus long terme car ils seront moins dans le one shot gratuit et court-termisme. Une belle campagne bien faite fera toujours plus parler d'elle et de ses créatifs qu'un Lion remporté grâce à un ghost». Revenir aux valeurs premières de la création en somme.

Sauf que les créatifs ne sont pas les seuls à s’interroger. En interne, on s’inquiète sur le fait que de gros clients du groupe sont très attachés aux trophées: «Certaines marques n’y prêtent pas attention mais le directeur marketing de Renault, par exemple, veut devenir annonceur de l'année à Cannes dans deux ans… C'est mal parti! Et les clients de Marcel qui viennent pour l'impertinence créative et briller aux prix risquent de ne pas s'y retrouver.» Accor ferait aussi partie du lot. Ceux-là ont toutefois la possibilité de financer eux-mêmes les awards s’ils le souhaitent, la volonté du nouveau président étant avant tout de faire des économies.

Place à la concurrence 

Décision compréhensible étant données les sommes astronomiques dépensées (jetées par la fenêtre diront certains…) par les agences dans les compétitions créatives… Rien qu’à Cannes, Publicis Groupe aurait déboursé 20 millions d’euros cette année pour repartir avec… 41 Lions et des frais supplémentaires pour financer les Lions de ses clients! Mais voilà, si les Cannes Lions ont la réputation de «s’en mettre plein les poches», les autres festivals de taille plus modeste vont aussi subir les effets de ce retrait de Publicis… Le Club des directeurs artistiques, les Effie Awards, les Top Com...

Aux Epica Awards, où 50% des inscriptions viennent d’agences indépendantes depuis quelques années, le directeur éditorial Mark Tungate explique que «l’impact ne sera pas aussi significatif qu’on pourrait le croire», espérant toutefois un revirement de situation: «On espère que le groupe fera une exception vu que nous avons un modèle différent avec un jury composé uniquement de journalistes. La réaction générale suite à cette décision prouve en tous cas que ce que certains pensaient n’être que de la frime est encore important pour les publicitaires.»

Côté Grand Prix Stratégies, les inscriptions des agences du groupe Publicis (Marcel et Publicis Conseil en tête) ont représenté environ 10% du chiffre d’affaires total des inscriptions en 2016. Un manque à gagner pour ces awards qui laisse toutefois plus de place à la concurrence, en particulier aux agences indépendantes. «L’avantage c’est que pendant un an, les jurys seront moins trustés par le groupe Publicis et le lobby sera moins fort. Ça laisse plus de chances aux agences de taille moyenne», veut croire un directeur de la création.

Pour l’heure, les créatifs de Publicis cherchent des échappatoires –convaincre les clients de payer ou inscrire via des sociétés de production– pour continuer à créer de belles campagnes sans être contraints de quitter le 133 trop vite. Comme quoi…

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