1. L'envol des sociétés médias
Cette décennie fut celle où les sociétés médias devinrent mondiales. En France, Edouard Balladur avait privatisé les chaînes de télévision. L'offre publicitaire s'envolait et pour la première fois, les tarifs de ce média pouvaient se négocier. La société de Gilbert Gross, qui devint Carat à cette époque, dut se transformer de fond en comble.Quel intérêt à obtenir un rabais de 30% sur un spot s'il se trouvait avant ou après une émission à l'audience décevante ? Carat dut se doter de ressources de médiaplanning et ne plus se contenter d'acheter. Son patron s'appuya sur un trésor de guerre accumulé depuis vingt ans pour recruter à prix fort une grande partie des directeurs médias des agences classiques. Les grandes sociétés médias naissaient. Un peu plus tard, les Saatchi lancèrent Zenith Media, la première société médias d'envergure outre-Manche.
Ce n'est qu'au tournant des années 1990 que ces sociétés prirent leur essor aux Etats-Unis. Il y avait eu quelques précurseurs, telle Media Vest. Mais, dans ce pays, la plupart des annonceurs craignaient les conséquences de la séparation entre la création et les médias. Avec le temps, le modèle économique européen finit malgré tout par s'imposer.
Travaillant à l'époque avec sept agences de publicité, Procter & Gamble décida de regrouper tous ses achats dans deux d'entre elles, l'une s'occupant de l'achat d'espace sur les grands networks et l'autre sur les chaînes câblées. De nombreux annonceurs suivirent alors le même chemin. Les grandes agences durent se résoudre à se séparer de leurs départements de médiaplanning pour les intégrer dans les structures d'achat d'espace. L'industrie des sociétés médias devenait mondiale.
Ces entreprises sont puissantes et incontournables. Et pourtant, si Internet avait pris son essor vingt ans plus tôt, je ne suis pas sûr qu'elles auraient existé dans leur forme actuelle, en tous les cas aux Etats-Unis. Car à l'heure d'Internet, séparer le média du message, le contenant du contenu, est une aberration. Ce qui a fait dire à Jim Stengel, l'ex-patron du marketing de Procter & Gamble: «Il y a vingt ans, nous avons fait le mauvais arbitrage.»
2. Le développement de l'intégration
L'intégration, cette discipline qui consiste à orchestrer toutes les autres disciplines, n'est pas née aux Etats-Unis. Mais là encore dans des pays de taille moindre, en France, aux Pays-Bas ou en Afrique du Sud. Dès les années 1970, on parlait d'intégration dans ces pays. Chez Dupuy Compton, ma première agence, il y avait un département de promotion des ventes, un département de marketing direct, un département de design et un département de publicité médicale…
Le concept d'intégration n'est donc pas neuf. Il a mis du temps à traverser l'Atlantique, car la taille du marché aidant, les agences américaines, hyperspécialisées, se sont construites en silos. Les diverses disciplines ne s'y rencontraient pas. Wunderman et Young & Rubicam par exemple, bien qu'appartenant au même groupe, n'avaient pas de clients communs… Seule exception: Ogilvy, car David Ogilvy était au départ un homme de marketing direct. Il n'est donc pas étonnant que son agence finit par être le fer de lance du concept d'intégration aux Etats-Unis, en prônant une «intégration à 360°»…
L'intégration n'a jamais été autant d'actualité qu'aujourd'hui. Car le digital en est un moteur incomparable. C'est à la fois le point de départ et le point d'arrivée de toutes les interactions possibles entre les multiples disciplines.
3. La professionnalisation du corporate
Depuis des décennies régnait L'Omnium, une filiale de Havas qui se consacrait à la publicité financière, au lobbying et aux relations presse. C'était l'archétype de la communication institutionnelle à l'ancienne. Puis le marché s'est organisé autour de TBWA Corporate, Euro RSCG C&O, Publicis Consultants et quelques autres. De par leur professionnalisme, ces grandes agences ont donné leurs lettres de noblesse aux activités de «Corporate PR» en France. A la différence des Etats-Unis où, là encore, les activités sont cloisonnées, ces agences sont proches de leurs sœurs publicitaires: TBWA, Euro RSCG et Publicis. Cela donne aux annonceurs et aux agences de notre pays un savoir-faire unique dans l'orchestration des trois niveaux produit-marque-corporate. McDonald's par exemple a commencé à orchestrer ces trois niveaux dès la fin des années 1990.