Agences Média
Président depuis un an de Dentsu France, Pierre Calmard est un statisticien épris de lettres et de livres. Il mène une expérience de transformation radicale de l’entreprise en flex office.

Il y a quelques années, dans une table ronde sur le transhumanisme, Pierre Calmard nous promettait une vie de 200 ans. On le taquine un peu : « Vous y croyez toujours ? ». « Je crois à l’irruption de la technologie dans la biologie, répond-il. La biotech a produit l'ARN messager et peut aussi guérir des cellules malades ». Et de rappeler Nietzsche et sa volonté de puissance : « Ce qui vit a la volonté de perdurer », dit-il.

Encore faut-il s’adapter, se transformer… Depuis septembre, Dentsu France occupe rue de Wagram l’ancien siège de WeWork, qui y a laissé ses services (cuisine, café…). Après deux plans de 40 et 60 départs et une perte de plus de 10 millions d’euros en 2020, les 800 salariés de l’entreprise sont en flex office, avec près d’un bureau pour deux. Ainsi en a décidé le patron, nommé il y a un an, après une consultation interne qui montrait que les trois quarts des salariés voulaient deux à trois jours de télétravail, quitte à perdre un bureau fixe (pour deux sur trois). « On doit être capable de regrouper quasiment 80% des effectifs, précise-t-il. Un peu plus de la moitié sont des postes fixes mais il y a aussi des espaces communs : des petits canapés, des salles de réunion… » Les salariés ont, en outre, accès à tous les WeWork du monde, et il y en a 17 à Paris. 

Visionnaire

Un accord permet à chacun de déterminer lui-même le nombre de jours de télétravail (de un à quatre), sous réserve de l’accord du manager et de dénonciation par l’une des parties. « Cela force tout le monde à l’intelligence collective », assure Pierre Calmard. Mais n’est-ce pas défavorable aux femmes qui sont susceptibles de recourir davantage au télétravail pour s’occuper des enfants, quitte à entraver leur carrière? « Toutes les semaines, les gens sont là mais ils ne sont pas là tout le temps », répond le dirigeant, « comme on n’a pas fait ce mouvement sous la contrainte, ils le font naturellement et avec plaisir. On a préservé 25 heures par mois de temps personnel par salarié, en lui évitant les transports. »

Thierry Jadot, qui l’a précédé, voit en Pierre Calmard un « visionnaire sur les usages, les outils numériques et sur l’innovation pour délivrer des services de qualité ». Il relève aussi chez ce cofondateur d’Isobar « une grande lucidité sur les métiers d’agence et leur avenir, y compris sur leur perte de valeur ». Passionné à la fois de philosophie et de science-fiction – Isaac Asimov et Frank Herbert en tête -, l’ancien khâgneux devenu ingénieur statisticien a placé l’hybridité au cœur de sa vie. Il transporte son bureau dans son ordi mais écrit dans un carnet et lit des livres en papier.

Pionniers

Quel avenir pour Dentsu ? « Nous voulons être les pionniers de l’ère post-publicitaire », entrevoit-il. Au-delà des pertes de budgets ou des comptes qui ont arrêté d’investir en plein covid (Accor, Flying Blue…) il s’attaque au silotage « qui s’oppose à l’intelligence collaborative » et vend trois entités à ses managers : Dentsu consulting, MKTG sur le sport et le pôle santé. Le déménagement est l’occasion d’une transformation radicale. Sur la production aussi : nouvelles écritures, prise en compte de la publiphobie, mesure de l’empreinte carbone… Un an après, les comptes sont repassés dans le vert.

Mais comment concilier la défense des intérêts des annonceurs et le soutien affiché au projet de fusion TF1-M6 qui vise à relever les prix de la télévision ? « Notre job est d’arriver à garder un équilibre et de juguler l’inflation qui risque d’arriver », dit-il. L’intérêt des annonceurs est, pour lui, de conserver la pluralité des acteurs tout en combattant la puissance des Gafa qui peuvent mettre la main sur des droits entiers des médias. « Je fais la prédiction que les télévisions n’auront pas d’autre choix que d’arriver sur des systèmes d’enchères, comme les Gafa, augure-t-il. Leur grande force avec l’algorithme est de ne pas fonctionner sur des marchés de gré à gré dont l’équité n’est pas garantie. » Et Dentsu est justement en position de force dans le programmatique.

Pour lui, les annonceurs n’ont pas pris la mesure du renversement du marché. Son premier client, le gouvernement et ses ministères, emploie 120 salariés. « Notre métier est de conseiller sans parti pris la communication de l’État à travers les médias », souligne-t-il. Mais que faire quand des chaînes emploient ou ont employé Éric Zemmour ? Pierre Calmard n’hésite pas à pointer le « mélange des genres » d’Havas qui oriente des budgets vers « des contenus destinés à faire de la politique ». À 53 ans, le patron de Dentsu France dit prendre en compte la diversité des opinions mais revendique son indépendance : « On est extrêmement vigilant à assurer la pertinence des contenus qui portent les publicités, lesquelles financent ces contenus. » Le dirigeant, qui est à la recherche d’un « projet plus grand » que le business, rêve d’une entreprise « harmonieuse » et durable malgré des temps éphémères…. Nietzschéen.  

Parcours 

1968. Naissance à Téhéran

1986. Hypokhâgne-khâgne scientifique à Janson-de Sailly

1988. Ensae, ingénieur statisticien

1991. HEC, master intelligence marketing

1993. Médiamétrie, directeur service des nouveaux médias

1999. Isobar, directeur général

2007. Netbooster, DG

2011. IProspect France, CEO

2017. Dentsu Aegis Network

Octobre 2020. Dentsu France, président

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