Télévision
Alors que Libération publie ce mardi 9 novembre le témoignage de huit femmes accusant Patrick Poivre d’Arvor de harcèlement, agressions sexuelles ou viols selon les cas, nous avions publié en mars 2021 une enquête sur l'ancien présentateur vedette, avec un témoignage recueilli par Stratégies qui amène à poser la question : que savait la chaîne ?

Suite à la publication par Libération du témoignage de huit femmes dénonçant les agissements de Patrick Poivre d'Arvor, nous republions notre enquête sur l'ancien présentateur vedette parue initialement le 10 mars 2021. 

 

C’est une histoire racontée au cours d’une soirée professionnelle, quelques mois après l’apparition du mouvement MeToo. Une femme confie qu’elle scrute avec attention le jour où le fameux hashtag sera accolé à celui d’un ancien présentateur de JT. Puis elle « balance » que PPDA, lorsqu’il était présentateur du 20 heures, a tenté de l’embrasser par surprise dans son bureau de la Tour TF1. Quelques années passent. Rien ne sort sur les réseaux sociaux même si, dans le microcosme journalistique, il est bien connu que PPDA est un peu plus qu’un « latin lover ».

Le 19 février 2021, lorsque Le Parisien révèle qu’une enquête préliminaire contre lui a été ouverte, à la suite d’une plainte pour « viols », vous n’êtes pas surpris de lire dans le témoignage de la plaignante un élément qui fait écho à l’histoire que vous avez entendue : la surprise. « Les faits se seraient déroulé rapidement, sans signe annonciateur », écrit le journal. Et puis, il y a un mode d’action qui vous paraît aussi familier : le rendez-vous dans le bureau, le verre d’alcool que se sert la star…

Lorsqu’un nouvel article du Parisien revient le lendemain sur ce modus operandi avec d’autres témoignages et le surnom de « McDo de Patrick » que donnaient les deux assistantes de la star à TF1 en voyant passer ces « visiteuses », selon Le Parisien, vous réalisez que votre interlocutrice, ce soir-là, était au menu. Le présentateur usait alors non seulement de son prestige de présentateur vedette du journal le plus regardé d’Europe, mais aussi d’une logistique et d’un espace professionnels. Alors bien sûr des questions : que savait au juste la direction de TF1 ? Y avait-il eu déjà des mails ou des lettres pour se plaindre du comportement de PPDA ? C’est ce que nous avons cherché à établir.

Extrême assurance

Mais, auparavant, il vous faut recueillir le témoignage précis de celle qui, évidemment, ne garde pas un bon souvenir de sa visite dans ce bureau de l’homme-tronc. Nous l’appellerons Marie. Elle nous l’a livré à la stricte condition qu’il reste anonyme, par peur d’être marquée au fer rouge par cette vieille histoire qui remonte à l’an 2000. « Je l’ai rencontré à l’Efap à 21 ans où il était parrain d’une promotion, se rappelle-t-elle. J’ai tout de suite remarqué qu’il me regardait avec insistance parmi toutes les nanas qui étaient là. Il m’a demandé si j’étais intéressée par la télé et si j’aimerais suivre un journal en direct. J’étais peut-être assez naïve car j’y ai vu un côté paternaliste, d’autant qu’il m’avait dit que je lui faisais penser à sa fille. Son secrétariat m’appelle et trois jours après, me voilà à la rédaction de la chaîne pour le 20 heures. Il me dit : “Super que vous soyez là, on débriefera après !”. Je me souviens que ça grouillait de monde. Je n’avais aucune inquiétude d’être là. J’étais à TF1, c’était en lien avec mes études. À la fin du JT, je suis invitée à traverser la rédaction pour aller jusqu’à son bureau. J’ai attendu un bon moment mais je ne flippais pas du tout. Il me fait entrer, me demande ce que je veux boire et lui se prend un alcool fort. Là, il ferme sa porte à clé. Je suis hyper gênée mais il me dit qu’il aime bien être tranquille après son journal et qu’il n’a pas envie qu’on le dérange. Je ne me souviens plus si on discute et s’il m’a plaqué contre le mur, mais il a essayé de m’embrasser avec une extrême assurance, comme s’il n’y avait pas de discussion possible. Je ne m’y attendais pas. J’étais en confiance. Je l’ai repoussé tout de suite. Mon cœur s’est emballé. J’ai couru comme une malade et j’ai pris le RER dans le mauvais sens. Quand je suis rentrée, j’ai tremblé comme une feuille pendant deux jours. J’ai dormi dans le lit de ma coloc tellement j’avais été choquée. Pour moi, PPDA, c’était comme un père. »

Des femmes oppressées

Dans Code Source, le podcast du Parisien sorti après les révélations du journal, Benoît Daragon explique : « Ce qui est arrivé à Florence a pu arriver à d’autres femmes qui, elles, n’ont pas été victimes de viols – on n’a pas trouvé d’autres plaintes pour viol concernant Patrick Poivre d’Arvor – mais il y a des femmes qui ont été oppressées, qui ont vécu des moments très gênants avec PPDA ». Le journaliste cite le cas des stagiaires d’été qu’il invite à rejoindre son bureau et à qui il pose des questions personnelles, comme de savoir si elles ont un compagnon. Du même coup, beaucoup de journalistes déconseillent aux nouvelles recrues de rentrer dans son bureau et même prendre l’ascenseur avec lui. « Ce n’est pas seulement un Don Juan, c’est quelqu’un dont il faut se méfier », déclare le reporter de la cellule « Récits » du Parisien. Son confrère Jean-Michel Décugis, raconte de son côté comment, apprenant qu’un livre allait sortir accusant PPDA de viol, il découvre qu’il s’agit en réalité du livre de Florence Porcel, Pandorini, paru en janvier 2021, transposant son accusation sur un monstre sacré du cinéma. Son autrice est écrivaine et journaliste de vulgarisation scientifique. La sortie du livre est précédée d’une plainte que juge « absurde et mensongère » l’avocat de Patrick Poivre d’Arvor, Me François Binet, (il n’a pas répondu à nos appels). Sur Facebook, l’ex-présentateur se dit « révolté par la manière dont on cherche à [l]’utiliser pour assurer la promotion d’un roman ». En apportant cette affirmation sans équivoque : « De toute ma vie, je n’ai jamais obligé quiconque à une relation sentimentale, ni bien évidemment à une relation sexuelle. » 

Agacement de TF1

Hubert Coudurier, le directeur de l’information du Télégramme qui lui a consacré une biographie en 1996, se souvient que se posait déjà la question de savoir s’il était possible d’évoquer « à demi-mots » son côté « womanizer »« Je l’ai fait un peu, ça m’a valu un certain agacement de sa part ainsi que de TF1, dirigée alors par Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte ». Mais l’homme met aussi en garde contre toute conclusion hâtive et rappelle que l’affaire Brion (#BalanceTonPorc) s’est soldée par une condamnation en première instance de son accusatrice. « Le journaliste Edward Behr n’a-t-il pas montré dans “La mémoire recouvrée [Une Amérique qui fait peur]”, que des enfants qui avaient menti pouvaient envoyer leurs parents en prison ? Aujourd’hui, les accusations deviennent un peu systématiques et c’est parfois l’occasion de se créer une certaine notoriété », estime-t-il.

Quoi qu’il en soit, c’est un environnement bien particulier qui caractérise l’approche de celui qu’on appelle encore, au début du siècle, le séducteur. « Il y a le défilé de jeunes femmes, le harcèlement par textos et, plus grave, la menace au non renouvellement de CDD », rappelle Benoît Daragon, qui a également sorti le témoignage d’une certaine Juliette, 44 ans, que PPDA a essayé d’embrasser dans son bureau de TF1. « Si tu veux rester à TF1, il va falloir être gentille », dit-il à celle qui sera finalement embauché malgré ses refus. France Inter, Closer, Voici, 20 Minutes ont publié des témoignages voisins. Qui lors d’un voyage de presse en Afrique du Sud. Qui dans sa boîte de production. Sur Twitter, Clémence de Blasi raconte des « dizaines d’appels insistants et des questions très très intimes », après un entretien pour la revue Charles. « J’ai laissé courir avant d’apprendre que le grand homme avait appelé la rédaction du mag pour leur dire que je n’étais pas professionnelle, qu’il fallait me virer. »

Pas une plainte

Vient donc la question centrale : que savait TF1 de ce manège ? Sa direction de l’époque a-t-elle fermé les yeux par souci de ménager la star aux audiences en or, restée présentateur du 20 heures de 1987 à 2008 ? Maylis Carçabal, directrice de la communication du groupe, rappelle qu’il est difficile de répondre alors que « le PDG, le directeur de l’information, le DRH et le dircom ont changé ». Ronald Blunden, directeur de la communication de 1995 à 2001, assure que « tout le monde à TF1 se tenait à distance de ce qui était perçu comme appartenant à la vie privée de PPDA, d’autant que cela pouvait alimenter les potins mais qu’il n’y avait pas de scandale susceptible de nuire à l’image de la chaîne. » Quant à Frédéric Ivernel, ex-DRH entre 2001 et 2006, il souligne qu’il « n’y a jamais eu une plainte, un témoin ou une lettre anonyme qui soient arrivés à la direction des ressources humaines de TF1. S’il y avait eu un dossier PPDA , je l’aurais su. » D’ailleurs, souffle-t-il, la meilleure preuve de son absence, c’est que cela n’a jamais été évoqué quand Nonce Paolini s’est séparé du présentateur qui avait décidé lui-même de la date de son départ. Sauf si la négociation n'a pas eu besoin d'aller jusque-là. Quid du fait qu’il aurait uriné dans le divan de Claire Chazal comme le prétend Le Parisien ? « C’est peut-être vrai, ça me passait au-dessus », répond-il.

À TF1, Maylis Carçabal signale que les temps ont changé. « On a formé des référents, au-delà des RH, à toutes les formes de harcèlement et de discrimination, souligne-t-elle. Le groupe a signé la charte contre le harcèlement et les agissements sexistes et l’initiative #StOpE de Marlène Schiappa contre le sexisme en entreprise. Et la mise en place d’une plateforme d’outils a été accélérée avec le phénomène MeToo ». L’abus de pouvoir, le sentiment de toute puissance rencontreraient rapidement des obstacles.

Reste un baiser forcé qui relève de l’agression sexuelle, comme l’a confirmé la Cour de cassation en 2019. À condition qu’il y ait contrainte, menace, surprise ou violence. « Je ne pense pas qu’il avait l’impression de faire du mal », souligne Marie, qui ne retient pas un comportement violent mais « gentil » d’apparence. « Le mec, à aucun moment, je crois, il ne s’est posé la question : est-ce qu’il y a consentement… »

Série de plaintes dans les médias

 

PPDA n'est pas le seul à être poursuivi pour des faits d'agression sexuelle dans les médias. Ces dernières semaines, Gérard Louvin, ex-directeur des divertissements de la Une, a été accusé de viols sur mineur de 15 ans par son neveu. Dominique Boutonnat, président du CNC et producteur à succès pour de films comme Polisse ou Intouchables, est mis en examen pour agression sexuelle par son filleul de 22 ans alors même que le CNC est engagé dans une campagne de sensibilisation aux violences sexuelles dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel. Jean-Michel Baylet, PDG propriétaire de la Dépêche, ancien ministre et président du Syndicat de la presse quotidienne régionale, entendu pour des accusation de viols sur mineur. A chaque fois, les accusés nient les faits. Quant à Darius Rochebin, présentateur de LCI, le journal le Temps a mis à jour des comportements de harcèlement sexuel que dément l'intéressé. TF1 attend le rapport interne de la Radio-Télévision suisse pour se prononcer. 

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