Société
Et si le salut de notre planète résidait dans une communication optimiste qui responsabilise les publics, y compris dans leurs rapports aux marques ? L'écologiste et entrepreneur Paul Hawken, auteur de l'ouvrage Drawdown, milite en ce sens.

Les consommateurs croient de moins en moins dans la pub et même dans les marques, pourtant 69% des gens pensent que les entreprises sont mieux placées que les Etats pour changer le monde*. Et si dans la faille entre ces deux constats, se situait la renaissance possible du métier de publicitaire ? Et si la profession utilisait son talent, son imagination, son humour, et même sa naïveté pour répondre à cette question passionnante : « Qu’est-ce que je pourrais faire aujourd’hui pour améliorer les choses ? »

Les publicitaires sont parmi les mieux placés pour adresser les messages des marques à leurs publics. Mais au regard des défis de notre époque, pour préserver la planète et inverser les tendances mortifères qu’elles soient écologiques ou sociales, la profession doit également être messagère du public envers les marques. Pour inciter définitivement ces dernières à agir.

Paul Hawken, écologiste et entrepreneur est l’auteur du livre Drawdown-The Most Comprehensive Plan Ever Proposed to Reverse Global Warming. Dans son ouvrage à paraître en France en avril 2018, l’écologiste présente des mesures concrètes et chiffrées, pouvant émaner de tous, afin de renverser la courbe du réchauffement climatique. Il démontre aussi que ces solutions ne sont pas plus chères à mettre en œuvre que ne l’est la lutte contre les effets du réchauffement, et qu’elles sont même des potentielles sources de profit.

Bien que les actions des grandes entreprises soient au centre du débat, Paul Hawken incite les populations à influencer les choix des multinationales, car selon lui c’est la seule manière de parvenir à renverser la vapeur. Et si, au fond, le salut de notre planète (et de beaucoup de nos problèmes sociétaux) résidait dans une communication optimiste qui responsabilise les publics, y compris dans leurs rapports aux marques ? Paul Hawken aide à valider ce postulat nouveau. Une source d’inspiration pour faire des choses qui changent les choses…

Votre livre, qui présente des solutions concrètes, chiffrées et inattendues pour inverser la courbe du réchauffement climatique, est très original et optimiste dans un contexte de fin du monde annoncée… Vous parlez bien de résoudre le problème, pas simplement de ralentir le phénomène. Comment êtes-vous arrivé à cette réflexion ?

Paul Hawken : L’idée m’est venue en 2001, lorsque le troisième rapport du GIEC [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat] est sorti. Comme tous les rapports précédents et ceux sortis depuis, il était plus pessimiste que le précédent. Parce qu’il s’agit d’une science consensuelle, le GIEC a tendance à modérer les prédictions des impacts futurs du réchauffement climatique. Les pays disposant de grandes ressources en énergie fossile ont minimisé ce que disaient les meilleurs climatologues. Mais il n’y a pas de science du consensus ! La science est probante. Cette même année, L’Université de Princeton à travers son initiative Carbon Mitigation, a publié quinze solutions qui pourraient stabiliser les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Mais de ces quinze solutions, la seule solution à la portée des gens était d’héberger des panneaux solaires sur nos toits ou de conduire moins. Aucune des solutions proposées ne pouvaient permettre aux villes, aux collectivités, aux ONG, aux agriculteurs ou aux entreprises de faire des choses. C’est alors que j’ai suggéré à des amis de grandes ONG environnementales de dresser la liste de toutes les solutions existantes, pour calculer les coûts de ces bilans carbone afin de déterminer si les mises à l’échelle de ces solutions pouvaient renverser la courbe du réchauffement climatique dans un délai raisonnable.

Durant cette période, une série d’articles catastrophistes ont été publiés, dont Terrifying New Math de Bill McKibben. Ce qui a choqué bon nombre de gens y compris parmi mes camarades. J’ai commencé à entendre les gens dire « game over », j’ai eu une prise de conscience différente. C’était peut-être « game on » dorénavant. J’ai donc décidé de créer une organisation et de faire de la recherche même si nous n’avions pas les moyens ou les soutiens à l’époque. Le projet Drawdown se compose aujourd’hui de 70 boursiers de recherche venant de 22 pays, de plus de 120 conseillers éminents et bien informés et de plusieurs dizaines d’experts scientifiques externes. L’objectif de notre organisation est de cartographier, mesurer et modéliser les cent solutions les plus importantes pour inverser le réchauffement climatique.

Bien que nous ayons eu un discours public sur le réchauffement climatique depuis plus de quarante ans, personne n’avait mesuré les 100 premières solutions pour agir sur le réchauffement climatique. Le but du livre aujourd’hui est de présenter les résultats, de décrire les solutions de manière informée et accessible.

Il y a une grande défiance des consommateurs envers les marques, cependant tout le monde s’accorde à dire que les entreprises sont plus à même de changer le monde que les Etats. Pensez-vous que le changement viendra des entreprises ou des gouvernements ?

Ni l’un ni l’autre… le changement vient des gens. Nous sommes tellement habitués à penser que le changement est « top-down ». Mais je considère que le véritable changement vient du milieu, car il n’est pas perçu immédiatement par les acteurs du « haut ». Les grandes entreprises ne changent que lorsqu’elles réalisent qu’il y a ou qu’il y aura un coût pour leur réputation, leur recrutement et leurs revenus si elles ne changent pas. En cela, les grandes entreprises prennent leurs repères en se basant sur les consommateurs, les gens.

Les solutions dont vous parlez peuvent rapporter beaucoup d’argent aux entreprises qui les mettront en œuvre. Il ne s’agit pas du tout de non-profit, au contraire vous assumez qu’il s’agit d’innovations « for-profit ». Avez-vous chiffré ce gain pour les entreprises, comme vous avez chiffré l’économie en CO2 ?  

Nous avons calculé l'impact du carbone en nous basant sur des données scientifiques évaluées par des pairs. Nous avons calculé les économies nettes de coûts et d'exploitation sur 30 ans en nous fiant aux chiffres des institutions les plus respectées au monde : l'Agence internationale de l'énergie, la Banque mondiale, la FAO, le GIEC, Bloomberg Energy, etc. Ce que cela indique, c'est qu’en l’état actuel des choses et dans la plupart des domaines, investir dans ces solutions revient moins cher que le coût des problèmes. Continuer à faire du business tel qu’il existe est devenu un moyen de perdre de l'argent, pas d’en gagner. Il s'agit là d'une bonne nouvelle pour les entreprises qui comprennent et saisissent cette opportunité.

En nommant la solution, on la rend accessible. En parlant de « Drawdown » (inversement de la courbe du réchauffement climatique), et plus de « réduction » des émissions de CO2, vous changez la conversation. Vous donnez un nom à la solution, et vous donnez aux gens un objectif avec un but à atteindre. Devons-nous arrêter toute forme de communication catastrophiste, qui met l’accent sur le problème, et communiquer uniquement des solutions ? Serait-ce selon vous la meilleure manière d’inciter les gens au changement ?

La communication « catastrophiste » qui a imprégné la communauté climatique ne fonctionne pas. Elle créé une réaction de combat ou de fuite. La science sur le changement climatique est incroyable, elle est magnifique. C’est certainement la plus belle problématique que l’humanité n’ait jamais créé. J’aborde la science du changement climatique comme un cadeau, pas une malédiction. Les connaissances sur le réchauffement climatique et ses impacts potentiels créent d’énormes avancées dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’agriculture, du logement, de l’urbanisation, des matériaux etc. Ce que le projet Drawdown souligne, c’est que l’humanité travaille sur ce cas. Le plan auquel nous nous référons dans le sous-titre du livre (Drawdown—The Most Comprehensive Plan Ever Proposed to Reverse Global Warming) n’est pas notre plan. Nous ne faisons que mettre la lumière sur un plan activé par l’intelligence collective, celui activé par l’humanité. C’est une histoire différente, qui écarte la tristesse et le malheur. C’est une vision optimiste mais réaliste, une histoire d’innovation, de créativité et de générosité.

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