Musique
Le groupe de rap phénomène de ces deux dernières années, ne cesse de faire parler de lui. Et ce, malgré son boycott des médias. Le silence serait-il devenu le meilleur outil de promotion dans la musique?

Mélodies aux accents mélancoliques, paroles qui décrivent le quotidien dans la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes… Avec son univers tout de gris et de béton, et un premier album, Que la famille, sorti en 2015, PNL est entré au panthéon du rap français. Le groupe a explosé les records de streaming en France: ses vidéos totalisent plus de 650 millions de vues sur YouTube. Fulgurant: «PNL a renouvelé le genre avec un album qui a mis seulement cinq mois à conquérir son public, désormais introuvable. Et ce, sans promotion», rappelle Mouloud Achour, fondateur du média en ligne Clique.tv et producteur du magazine Clique Dimanche sur Canal+.

Zéro promo, aucune interview, les deux frères de PNL, Tarik et Nabil [surnommés N.O.S et Ademos] cultivent le silence. Une stratégie payante, comme le souligne Mouloud Achour: «PNL se place aujourd’hui au rang d'artistes iconiques comme Daft Punk ou Mylène Farmer. A ce titre, ils ne jouent pas dans la même cour que les rappeurs. »
Si le groupe intrigue par son silence, il passionne par son art… de la provocation. En novembre 2015, attendus pour Planète Rap, l’émission de Skyrock dont ils avaient personnellement décoré le plateau, les deux frères ont décidé... d’envoyer un singe à leur place. Blague potache ou coup d’éclat calculé, ce geste a réjoui leurs fans sur Twitter. Tout en portant à incandescence l’intérêt des médias - qui ne tiennent apparemment pas rigueur au duo de ne jamais leur accorder d’entretien.

PNL cultive le silence 

Car au-delà de la presse française, ultrafan du groupe, les médias internationaux s’emparent du phénomène. Parmi eux, le Guardian, ou encore la revue musicale américaine The Fader, dans laquelle PNL fut le premier groupe français à faire la Une à l’été 2016 - tout en refusant de s’exprimer. Un parti pris salué par Mouloud Achour: «La décision de ne pas parler aux médias a été la meilleure idée de leur carrière. Ils n’ont pas du tout intérêt à parler à qui que ce soit. Aujourd’hui, les vues qu’ils font sur leurs pages sont supérieures à celles de la plupart des médias. Ils n’ont pas besoin d’eux. Ils calculent très simplement comme ça, ce sont des gens très pragmatiques.»
Effectivement, N.O.S et Ademos savent faire fructifier leur business. Farouchement indépendants, ils distribuent leur musique par le biais de leur label QLF records [Que la famille]. Jean-Philippe Denis, professeur des universités et auteur de l’ouvrage Introduction au hip hop management [Editions EMS] analyse: «Quand on observe le système PNL, avec leur label indépendant, leurs places de concert vendues par Digitick et Musicast... on se rend compte qu’ils utilisent des moyens technologiques qui leur permettent d’avoir une force de frappe supérieure à celle des majors.» PNL ne boude pas non plus les partenariats avec des marques: en mars 2016, le groupe faisait le show à la soirée de lancement du magasin Supreme à Paris, marque de streetwear icône de la culture underground.

Rappeurs conteurs

Par ailleurs, si les deux frères ne parlent pas dans les médias, ils savent à la perfection… raconter des histoires. C’est le deuxième étage de la fusée PNL: le storytelling. Avec un coup de maître, la trilogie «Naha-Onizuka-Béné» et Jusqu'au dernier gramme : quatre clips de 8 à 30 minutes, sous forme de feuilleton. Chaque épisode y «tease» le prochain: dans le premier épisode Naha, qui a totalisé plus de 60 millions de vues sur YouTube, on aperçoit des maillots sur lesquels sont inscrits «Onizuka» ou «Béné». La twittosphère s’enflamme et chacun y va de sa théorie.

Le goût de la mise en scène ne s’arrête pas là: deux semaines avant la sortie du troisième opus Béné des affiches à l’effigie de Django Macha (le méchant de la trilogie) étaient placardées dans la Capitale. En-dessous de cet avis de recherche, un numéro. Distribué par BJT Partners, opérateur qui permet de personnaliser son standard téléphonique, celui-ci révèle la chanson Béné. Une opération qui a permis au groupe de se constituer une large base de données… avec laquelle ils ont annoncé leur tournée: Ademo et N.O.S ont envoyé un SMS annonçant leurs dates de concerts à tous ceux qui avaient appelé le numéro précédemment.
Pour Jean-Philipe Denis, c’est aussi ce genre de «coups» qui fait le succès du groupe: «PNL a la capacité de créer un imaginaire comme le font les séries télé. Le vrai talent du groupe est d’avoir poussé au plus loin cette logique. Ces trois clips, le public les attend, comme un épisode de Game of Thrones. Cela montre que la musique n’est plus une fin en soi. 

PNL et les réseaux sociaux

Crise du disque oblige, «on ne peut plus parler exclusivement de musique, on parle de clips qui deviennent des outils de promotion, des musiques qu’on va offrir gratuitement grâce au streaming, poursuit Jean-Philippe Denis. PNL explose grâce à ça et toute l’industrie du hip hop avec.»
De manière générale, explique l’universitaire, «aujourd’hui un artiste peut sortir six à dix projets par an, là où dans l’industrie musicale, on sortait un album tous les deux ou trois ans. On assiste à une accélération prodigieuse, et le cœur de cette accélération est d’être toujours à la une. L’enjeu n’est plus de vendre l’album mais de synchroniser à un instant donné une audience et de la fidéliser.»

Dans le rap, on assiste à un retour à une forme d’intégrité : dans son dernier album, Jay-Z se place dans une logique de confession, PNL raconte la galère. «Ces artistes créent l’émotion en reconnaissant leurs faiblesses, ce qui donne l’impression à leurs fans de faire partie de leur bande», explique Jean-Philippe Denis.
Car si le groupe observe le silence vis-à-vis des médias, il est beaucoup plus bavard avec ses fans. Les deux frères s’adressent à eux directement à travers leurs réseaux sociaux (un million de fans sur Facebook), où ils n’hésitent pas à relayer leurs photos. Et où ils instaurent de vrais dialogues, selon Mouloud Achour: «Quand on voit leur page Facebook ou Twitter, il n’y a pas autant de calculs que l’on veut le penser, les échanges y sont simples et sincères»

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