La crise n'a pas eu la peau du tourisme d'affaires, segment de l'événementiel qui regroupe les voyages de récompense (incentive) et les opérations de stimulation des salariés et des réseaux. Un tourisme d'affaires dont le nom même est remis en cause, accusé de véhiculer une image erronée de l'incentive, assimilé à un moment de détente.
«C'est un très mauvais terme: il ne s'agit pas de tourisme mais de communication. Je préfère parler de voyage événementiel. Nous utilisons les mêmes outils et les mêmes partenaires que les voyagistes, mais pas dans le même esprit. Nous apportons du contenu et de la valeur ajoutée», explique Michel Bensadoun, président de l'Association des agences de communication événementielle (Anaé) et directeur associé de l'agence la Fonderie.
Quel que soit le nom qu'on lui donne, cette technique a repris du poil de la bête en 2011. «L'année écoulée a été plutôt satisfaisante, comparée aux trois précédentes, durant lesquelles nous avons assisté à un quasi-arrêt de ce type d'opérations, qui apparaissaient dispendieuses ou ostentatoires», analyse Gérard Denis, président de Denis & Co.
Pourtant, le chiffre d'affaires est resté «stagnant voire en légère baisse», selon le président de l'Anaé. Philippe Fournier, président de l'agence MCI France, confirme ce diagnostic, tout comme Valérie Levasseur, présidente de Connect Factory (groupe Aegis Media), qui déclare: «Nous sommes loin d'avoir retrouvé les niveaux d'avant crise.»
Néanmoins, certaines agences, comme Le Public Système ou Ormès, ont mieux vécu l'année écoulée. «Pour nous, 2011 s'est très bien passée, avec plus de la moitié du résultat issu de l'incentive. Nous assistons à un vrai retour des annonceurs, qui ont compris quel impact positif pouvait avoir ce mode de communication, après plusieurs années de projets annulés ou reportés», estime ainsi Sylviane Girardo, directrice associée du Public Système.
Chez Ormès, les voyages long-courriers ont augmenté de 20%, preuve que les entreprises renouent avec les destinations exotiques. «Nous avons ouvert deux nouveaux bureaux à Nice et Lyon et embauché dix personnes. Et, surtout, nous n'avons pas réduit la voilure malgré la bourrasque économique en conservant l'intégralité de nos équipes», se félicite Vincent Schlegel, directeur du développement.
Deux exemples qui ne suffisent pas à occulter le fait que la crise continue de toucher le marché de l'incentive. Premier effet négatif: les délais entre le brief et la mise en place de l'opération se sont fortement réduits, passant de un, voire deux ans, à quelques semaines.
Une compression temporelle qui pèse sur les équipes, obligées de travailler sous pression. Et qui entraîne les agences, des PME, à régler elles-mêmes les prestataires, ce qui revient à faire des avances de trésorerie à la place de leur client, souvent de grands groupes, voire des mastodontes du CAC 40.
Pour s'adapter à la réduction des délais, Ormès s'est réorganisé sur le modèle des groupes de publicité. «Nous avons scindé les équipes en deux: réflexion stratégique d'un côté, création et production de l'autre. Ce qui nous permet d'optimiser en amont avant de délivrer l'opération», détaille Vincent Schlegel.
Seconde conséquence de la crise: les budgets rétrécissent, avec une baisse d'environ 20% en moyenne. Mais pas les exigences des clients, qui réclament le même niveau de service tout en payant moins... «Les opérations récurrentes ne sont pas trop touchées. Mais pour le gros de l'activité, on nous demande des prestations identiques pour un budget amputé», déplore Sylviane Girardo.
Un phénomène que Gérard Denis appelle «l'effet cliquet»: une fois la baisse enclenchée, on ne revient pas en arrière. «Les budgets qui ont été réduits il y a trois ans sont la norme aujourd'hui», assure le président de Denis & Co.
Pour affronter cette nouvelle donne, les agences sont contraintes de fusionner pour devenir plus fortes. C'est ce qu'a fait Chaïkana fin 2011 en acquérant Atouts Forces, agence spécialisée dans la banque et l'assurance. «Les clients veulent des agences avec une structure financière saine», estime Olivier Renault, co-fondateur de Chaïkana.
Certaines agences adaptent leurs programmes pour rentrer dans les nouveaux budgets version peaux de chagrin. «Il existe des manières de créer un “effet waouh!” avec moins de moyens. On peut choisir une destination prestigieuse, mais pas durant la haute saison. Et louer un hôtel d'une catégorie inférieure. Par exemple, aller à Abu Dhabi en été et dans un hôtel moyen», décrypte Valérie Levasseur.
Et comme si la crise ne suffisait pas, voilà que le gouvernement vient de promulguer une loi de financement de la Sécurité sociale qui pourrait aggraver la situation du secteur de l'incentive (lire l'encadré). Or, pour Michel Bensadoun, «l'incentive est un formidable outil de motivation, qui crée du lien. Très peu d'autres actions de communication remplissent ce rôle. Elle permet de recréer la cohésion dans l'entreprise et d'en rappeler les fondamentaux. Cette loi risque de modifier la typologie des événements.»
Pour Philippe Fournier, l'année qui commence peut se révéler difficile pour la profession. Pour trois raisons: en période électorale, les décisions d'organiser des événements sont souvent reportées, la situation économique globale n'a pas l'air de s'arranger et la nouvelle taxe va mécaniquement réduire les budgets. Las! A peine convalescent, l'incentive pourrait donc rechuter rapidement.
(sous-papier)
La loi qui menace l'incentive
L'État va-t-il tuer l'incentive? Dans leur perpétuelle quête d'argent, les pouvoirs publics ont fait voter une loi de financement de la Sécurité sociale qui, par ricochet, risque d'affecter durement le marché des agences spécialisées dans l'incentive. Une circulaire interministérielle du 9 novembre 2011 (n°DSS/5B/2011/415) indique que «tout avantage ou somme versé à un salarié par une personne n'ayant pas la qualité d'employeur en contrepartie d'une activité accomplie dans l'intérêt de ladite personne est une rémunération au sens des règles qui assoient le calcul des cotisations de sécurité sociale». Traduction: un constructeur auto qui récompense des concessionnaires par un voyage d'incentive va devoir payer des charges supplémentaires. Pour les opérations de stimulation, par exemple, aucune contribution n'est due jusqu'à 10% de la valeur du smic mensuel brut par salarié (1398,37 euros) et par opération. La contribution libératoire passe à 20% sur la partie comprise entre supérieure à 10% et inférieure à 70% du smic mensuel. Elle rejoint le droit commun sur la fraction supérieure à 70%, soit environ 50 % de charges supplémentaires. «Ce décret, s'il venait à être appliqué, signifierait un surcoût entraînant de fait la disparition de ce type de réunion», déclarait en avril dernier Olivier Renault, cofondateur de Chaïkana. Depuis, vent debout contre cette loi, les professionnels, Anae (Association des agences de communication événementielle) et Snav (Organisation nationale des professionnels du voyage), bataillent pour aménager le texte. «C'est le client qui va payer cette taxe. Une démarche contraignante, car il doit remplir des déclarations, et dissuasive en raison de son impact financier», estime Michel Bensadoun, président de l'Anaé. «L'incentive est un dégât collatéral imprévu de cette loi, qui engendre une inquiétude auprès des clients qui ont tendance à geler les opérations prévues pour 2012», regrette Valérie Levasseur, de Connect Factory. «Quelques gros voyages ont déjà été annulés à cause de cette loi», renchérit Vincent Schlegel, d'Ormès. Alors que l'incentive sortait tout juste du tunnel de la crise, ce nouveau cadre législatif risque de l'empêcher de rebondir.