Ne leur parlez plus de médias tactiques! En une poignée d'années, le paysage de ce marché, qui avait tout d'une jungle foisonnante, a vu ses contours se redessiner. Concentration, consolidations: le marché a franchi un cap dans sa maturité.
«L'aspect tactique paraissait pertinent lorsque ce petit monde bouillonnant était constitué d'une multitude de start-up, constate Éric Trousset, directeur du pôle investissements publicitaires de Kantar Media. Puis l'appellation a fini par devenir pénalisante.» Stéphane Marrapodi, l'un des acteurs historiques du marché, qui a fondé le Syndicat des médias tactiques et dirige la société Tapage Média, se souvient: «Au départ, ce marché avait des airs de laboratoire, et a permis de trouver de vraies solutions de communication. Puis, au fil des années, certains supports ont démontré leur pertinence, d'autre non. Les entreprises ont fini par se concentrer, et l'on est passé de l'artisanat à l'industrie.» «Dans l'appellation médias tactiques, il y avait un côté "fun", avec des opérations ludiques et ciblées, toutes choses que nous avons d'ailleurs conservées, note Florian Gibault, patron de Tac-Tic Média. Mais aujourd'hui le marché est plus solide et permet de monter de plus grosses opérations, à un moment où les annonceurs sont de plus en plus exigeants sur le retour sur investissement.»
En quête de légitimité, les acteurs préfèrent que l'on parle d'eux comme de «médias de proximité» ou «médias contextuels», ou encore qu'on les appelle tout simplement des afficheurs. C'est le cas d'Affigolf qui, comme son nom l'indique, couvre 50% des golfs français, de Futura Média, spécialiste de l'affichage numérique dans les centres commerciaux et les pharmacies, ou du réseau Médiatables, qui dispose d'un réseau de 16 000 tables dans un millier de cafés. «Nous faisons partie de l'Union de la publicité extérieure, c'est un parti pris, explique Muriel Aït-Kaci, directrice générale déléguée de Médiatables. Il fut un temps où il existait un Syndicat des médias tactiques, mais les acteurs n'avaient rien à voir les uns avec les autres. On ne peut mutualiser ni la communication ni les études entre des acteurs qui font des boîtes à pizza publicitaires et des tables de bistrot.»
Au plus près de l'acte d'achat
Des contours disparates qui rendent ce marché difficile à appréhender. Chez Kantar Media, on ne peut plus vraiment fournir de chiffres. «Lorsque le Syndicat des médias tactiques existait, explique Éric Trousset, nous pouvions disposer de certaines données, mais ce n'est plus le cas. Ces médias n'ont pas encore su se fédérer pour avancer sur les mesures d'audience et d'efficacité.»
Aujourd'hui, selon Matthieu Habra, directeur général de Posterscope, le marché représenterait «entre 1,5% et 2,5% du marché de la communication extérieure, qui lui-même représentait 7 milliards d'euros en 2008. Disons que le marché pèse entre 38 et 50 millions d'euros.»
«Historiquement, poursuit-il, ces supports médias ont créé de nouveaux univers de communication dans des univers habituellement fermés: les centres commerciaux, les cafés, hôtels et restaurants, les campings, les facs, les pharmacies ou encore les stations de ski. Ces emplacements privilégiés leur permettent de devenir des médias contextuels, au plus près de l'acte d'achat.»
Pour investir plus encore davantage les lieux de consommation, les acteurs du marché se diversifient en même temps qu'ils se concentrent. Et développent de nouvelles activités: ils sont ainsi de plus en plus nombreux à se lancer dans l'événementiel. C'est le cas de la société Quadriplay, fondée en 1999 par Jean-Charles Mathey, ex-président de NRJ Group. «Nous avons l'expertise pour quantifier nos cibles, et identifier les lieux ou nous allons surperformer sur ces cibles», estime Mathieu Sibille, conseiller du président de Quadriplay. Tapage Média a également développé un pôle de marketing de rue, qui représente aujourd'hui 40% de l'activité du groupe. «La crise a redistribué les cartes: les annonceurs utilisent désormais beaucoup l'événementiel», analyse Stéphane Marrapodi. La société Non Stop Média, elle, a développé, en plus des classiques sous-bocks publicitaires et autres cartes postales, une activité d'«organisation d'événements urbains» ainsi qu'une cellule de réflexion marketing baptisée Conceptory.
À l'assaut des populations mobiles
«Nous ne sommes plus seulement dans le retour sur investissement (ROI) mais aussi dans le Retour sur attention (ROA), explique Michael Illouz, directeur associé de Non Stop Média. Nous avons affaire à un public difficile et averti, auquel il s'agit de raconter des histoires, en mêlant vidéos virales et médias de proximité.»
On l'aura compris: le marché, s'il se cherche parfois encore, avance vers la maturité. Les experts croient en tout cas très fortement à son potentiel, comme Jean Minost, directeur du département hors foyer («out of home») d'Havas Media: «La tendance est au développement de ce type de médias, car les annonceurs recherchent de plus en plus la proximité. Le terme de média tactique, qui a ghettoïsé ces sociétés, est d'ailleurs de moins en moins pertinent, puisque les annonceurs ne veulent plus raisonner ainsi et établissent plutôt une différence entre médias du foyer et médias hors foyer.»
D'autant que les populations mobiles attirent énormément les annonceurs. «Ces cibles CSP+ et urbaines sont de moins en moins touchées par les médias du foyer, ce qui donne de plus en plus de poids aux médias de proximité», souligne-t-il. Va-t-on assister à un déferlement de ce que l'on appelait les médias tactiques? Jean Minost plaide la modération: «Ces médias conserveront un impact tant qu'il n'y aura pas de surmédiatisation de l'espace public.»