Il y a dix ans, les responsables communication en entreprises et les directeurs des ressources humaines (DRH) ne juraient que par lui : l'intranet, outil magique et polymorphe cristallisant à lui seul les enjeux d'un management moderne où la communication venait cimenter la cohésion sociale.
Depuis, les intranets se sont multipliés, démultipliés, jusqu'à l'extrême. Au point de congestionner les circuits d'information d'entreprises impuissantes à en faire l'inventaire. Dans certains groupes, ils se comptent par dizaines, voire par centaines.
Le bilan est accablant : fiasco sur le plan de l'audience, inefficacité au regard des objectifs, déliquescence des messages et gabegie financière. « Trop de contenus, sans hiérarchie, avec souvent une surenchère technologique, notamment les Web TV, de simples gadgets… Il est temps de repenser les intranets en misant sur la qualité plus que sur le volume », tranche Olivier Breton, président d'All Contents.
De là à couper les robinets… Il semblerait que les entreprises n'y soient pas encore prêtes. « La demande reste soutenue, très décentralisée et même plutôt débridée. On est encore dans la tendance : une idée, un intranet », explique Éric Tazartez, patron de Publicorp. Le « taux d'équipement » maximal des entreprises a beau être atteint, la fièvre inflationniste ne retombe pas.
Pourtant, le constat est unanime : il va bien falloir rationaliser. Décision d'autant plus essentielle qu'elle ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur la finalité de l'intranet. À quoi sert-il ? À qui s'adresse-t-il ? Comment doit-il se construire et s'animer ?
Dans la 10e édition de son enquête annuelle, l'Observatoire de l'intranet (société Arctus) montre que les sites internes sont voués à revêtir une dimension d'intelligence collective de plus en plus marquée, au détriment de leur fonction informative. Les applications de services et les fonctionnalités métiers devraient gagner du terrain dans les bases documentaires, qui constituent encore la composante majeure des versions actuelles. Fini, l'approche « data centric », vive l'« user centric » !
Un déplacement du centre de gravité qui nécessite un gros travail sur l'attractivité des sites. Il leur faut intégrer les fonctionnalités dynamiques offertes par le numérique : contenus enrichis et animés, capsules audio et vidéo, applications dynamiques, « profiling » (ensemble des techniques qui permettent de collecter et d'exploiter les données personnelles ou profil), informations et services « en push »…
Une variante de l'Internet d'aujourd'hui
La vocation utilitaire de l'intranet ne fait pas de doute. Et les utilisateurs s'approprieront plus vite l'outil s'il s'affranchit de la tutelle institutionnelle. Aujourd'hui, 22% des intranets sont fédérés autour d'un portail corporate. Mais la mainmise des directions communication tend à se desserrer au profit d'autres services : RH, commercial, juridique, etc.
« Un Intranet efficace nécessite de penser collégialement », note Olivier Breton, d'All Contents. Le rôle de la direction de la communication relève aujourd'hui davantage de l'animation et de la fédération des réseaux de contributeurs que de l'administration propriétaire. En fait, les grands gagnants de cet affranchissement par rapport au corporate ne sont autres que les salariés.
« L'intranet de demain sera vraisemblablement une variante de l'Internet d'aujourd'hui. Il devra laisser plus de liberté aux collaborateurs, leur permettre de libérer leur parole du regard hiérarchique et d'échanger dans une logique collaborative », avance Matthieu Bellon, responsable du Web chez Meanings. Selon l'Observatoire de l'intranet, les applications collaboratives ne sont présentes que dans 13% des intranets actuels. Mais elles sont prévues dans plus du tiers des sites en réflexion ou en construction.
Communauté et collaboration, voilà les deux piliers de l'intranet nouvelle génération. Un intranet qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Internet nouvelle génération. Les initiatives dans ce sens se multiplient. Réseau social, blog et boîte à idées pour My SFR, forums événementiels pour My Axa, plates-formes d'échange chez Thales ou à la Société générale…
Très en pointe sur cette dimension participative, Alcatel-Lucent propose à ses 70 000 salariés un outil totalement collaboratif : wikis, blogs, forums, réseaux sociaux, documents écrits, vidéos, etc. Avec, pour les architectes du modèle, la volonté affichée de casser les silos et de réhabiliter une communauté de travail. Chaque salarié peut apposer des commentaires aux documents publiés sur l'intranet, annoter chaque article avec pour seule condition l'obligation de s'identifier préalablement. La vidéo d'un salarié américain parlant de sa vision de la stratégie du groupe a été vue ou téléchargée par quelque 9 000 personnes. Un autre salarié a testé le réseau social Yammer. Résultat : environ 6 500 utilisateurs.
Digitalisation des échanges, ténuité accrue des frontières entre usages domestiques, privés et professionnels, l'intranet ne pourra pas en effet échapper au 2.0. Pas plus qu'il ne résistera au 3.0 (mobilité, smartphones).