Dossier
Déclin du print, explosion du Web, globalisation des problématiques, fragmentation des audiences... Pour les agences de communication éditoriale, une seule alternative : se remettre en question ou péricliter.

Le choc a eu lieu. Ce dont on parlait au futur il y a encore un an ou deux est en train de chambouler la culture des agences de communication éditoriale. Plus de doute, le numérique a préempté les organisations, les métiers et les modèles économiques de la profession. «En 2008, 20% des demandes entrantes portaient sur le “digital”. Aujourd'hui, le ratio est plutôt à 50%», remarque Xavier Cazard, président d'Entrecom. Le constat est unanime. Pas une agence qui ne soit gagnée par la déferlante numérique. Même les plus estampillées print: en 2009, Textuel a réalisé la moitié de son chiffre d'affaires dans le numérique.

Faut-il établir un parallèle entre l'explosion d'Internet et la fragilisation économique des agences? L'année 2009 aura été difficile pour la communication éditoriale, voire très difficile pour certains acteurs: ralentissement du rythme des compétitions, pression accrue sur les prix, baisse des budgets de l'ordre de 30 à 35%, etc. Et la bourrasque n'est pas finie. Si l'on constate généralement une légère reprise des consultations depuis la fin de l'année, rares sont ceux qui s'aventurent à établir des prévisions pour l'année à venir. Et ceux qui osent ne sont pas les plus optimistes. «Je pense que 2010 sera plus dure que 2009», lance Éric Tazartez, président de Publicorp. Ça promet… Car ces douze derniers mois, le monde de la communication éditoriale a été victime d'une dégradation du jeu commercial.

Non seulement les entreprises n'ont pas hésité à mettre en compétition sept, huit, dix agences de front, mais elles ont allègrement multiplié les consultations sans suite. Quand elles n'ont pas, à l'instar d'Aéroports de Paris, franchi le Rubicon de la compétition payante! Autant de pratiques qui traduisent une tension générale, auquel les agences ne sont pas toujours en mesure de faire face. «La crise a plutôt favorisé les agences de taille moyenne, de quarante à soixante personnes, suffisamment "staffées" pour servir de la qualité en réflexion stratégique, suffisamment mobiles pour réagir et s'adapter très vite au contexte», avance Bruno Scaramuzzino, patron de Meanings qui, fort d'une marge brute de 4,6 millions d'euros en 2009, revendique une croissance de 14% par rapport à 2008.
L'onde de choc Internet a eu, à elle seule, des effets immédiats pour les entreprises. Toutes se sont organisées, plus ou moins vite, plus ou moins radicalement. Création de pôles numériques, investissement dans les outils, recrutement d'équipes… Verbe, agence de communication éditoriale de Publicis Consultants, très marquée par la culture papier, ne vient-elle pas de nommer à sa tête Philippe Masseau, transfuge du numérique, ex-directeur associé de Digitas France? «C'est bien plus qu'un signe, commente l'intéressé. L'édition traditionnelle périclite. Si Verbe n'avait pas réagi, c'était sans doute la fin dans les deux ans.» Meanings, structure à forte dominante corporate, vient pour sa part de recruter Matthieu Bellon, ex-Textuel La Mine, pour construire une offre interactive étoffée. Partout, on met sur pied des équipes numériques. «Le Web représente 40% de nos effectifs», affirme Éric Camel, patron d'Angie.

Agrégation de nouvelles compétences

Mais la mutation n'est pas seulement une affaire de décision politique et de refonte structurelle. La dimension culturelle revêt une importance déterminante. «On va sauter du vinyle au MP3 sans passer par le CD, note Xavier Cazard. Les agences ont beau former leurs collaborateurs pour les faire migrer sur le Web, cela ne suffit pas. Nous ne sommes pas tant dans une problématique d'adaptation que dans un fait générationnel. Quand 40% de vos effectifs sont "Web natifs", alors seulement vous pouvez basculer.» 

L'argument culturel vient bien sûr renforcer la posture des «pure players digitaux», qu'ils soient nés sur des problématiques d'édition ou qu'ils aient intégré une activité éditoriale à un dispositif plus global de communication. «La révolution numérique, nous n'avons pas à la faire: nous "pensons" numérique», résume Matthieu Laubeuf, directeur éditorial de 5ème Gauche. Créée en 1996, l'agence de communication a lancé il y a cinq ans un pôle éditorial qui emploie cinq des quarante salariés de l'entreprise.

Pour les agences «traditionnelles», le virage est difficile à négocier, mais elles n'ont pas le choix. Les enjeux sont de taille: savoir transformer les contenus en audience et être capable de gérer de nouvelles problématiques et techniques de diffusion. Plutôt que pour une subite et intégrale transfiguration médiatique, nombre d'entre elles optent pour la diversification de leur offre et l'agrégation de nouvelles compétences. Angie, qui a racheté en 2009 Marche à l'onde, spécialisée dans l'ingénierie sonore, s'apprête à passer un accord avec une société de production audiovisuelle. Tout récemment, Verbe a recruté sept personnes pour constituer un pôle vidéo. En 2009, Meanings s'est rapprochée d'une société d'événementiel, Allégria, aujourd'hui installée dans les locaux de l'agence. Editoria se lance également dans l'événementiel en créant Editoria Events.

Autre innovation, celle de Lowe Éditorial, qui lance une offre de production photographique. L'agence propose aux entreprises de leur constituer une photothèque maison exploitable par l'ensemble des communicants. Rien à voir avec une banque d'images, explique Catherine Malaval, directrice générale. Plutôt de «l'écriture photographique». «Lorsqu'il construit son reportage, le photographe pense aux différents médias, aux différents supports, aux différents modes de diffusion susceptibles d'être utilisés.» Premiers acheteurs: SFR (une centaine de photos), l'Institut Pasteur (une cinquantaine de photos), la SNCF (plus de 200 photos). Alcatel devrait pour sa part constituer un fonds de 600 images.

Leviers de différentiation

L'explosion de supports et de contenus accule nécessairement les entreprises à la hiérarchisation et l'optimisation des dispositifs éditoriaux. Or, avant de mettre de l'ordre, il faut savoir ce que l'on souhaite rationaliser. D'où des demandes d'audits de plus en plus nombreuses. Un marché sur lequel Ligaris s'est clairement positionné. «Nous travaillons actuellement sur sept consultations pour audit, dont une en compétition avec trois autres agences», explique Laurence Houdeville, directrice générale de Ligaris Contents. Point d'entrée de ce type de demandes: la communication interne. Normal, c'est de loin la plus inflationniste et celle dont les départements communication mesurent le plus rapidement l'inefficacité. Dans certaines entreprises, les enjeux financiers et stratégiques sont devenus tels que l'audit émane directement de la direction générale.

Globalisation des ressources et des approches, fragmentation des publics, déploiement des stratégies à 360°, intégration des médias… Les frontières sont de plus en plus poreuses entre les divers métiers de la communication. Dans un tel contexte, quels peuvent être les leviers de différenciation des agences de communication éditoriale? Et comment leurs clients n'y perdraient-ils pas leur latin? «Nous faisons face à une diffraction des métiers et des offres. Nous nous sommes quand même retrouvés en compétition face à des agences de design!», raconte Édouard Rencker, PDG de Makheia.

Boris Éloy, président de l'Ujjef, défend cette explosion des frontières entre les métiers de la communication. «C'est tant mieux pour la communication éditoriale. Les dircoms en entreprise ne pensent pas communication éditoriale, ils pensent communication de manière globale.» De fait, le fameux 360° ouvre des perspectives intéressantes pour les agences, pour peu qu'on accepte de se remettre en cause. En 2009, l'agence Bug a remporté une compétition lancée par Manpower, qui souhaitait ouvrir un site Internet pour accompagner le lancement de sa fondation. «Face à nous, il y avait essentiellement des agences corporate ayant des compétences Web. Je suis certaine qu'un an plus tôt, l'entreprise aurait choisi des agences Web», explique Hélène Sagné, patronne de Bug.

Les entreprises sont en effet de plus en plus nombreuses à appliquer le modèle du «dialogue compétitif» propre aux marchés publics: elles attendent des compétiteurs qu'ils coconstruisent avec elles le cahier des charges. Pour les agences de communication éditoriale, il s'agit donc certes de pouvoir défendre leurs métiers, mais surtout de se donner les moyens d'accompagner les stratégies de communication très en amont, en apportant du conseil. Et, en fait, cela tombe plutôt bien. L'effondrement des marges sur le print a en effet sérieusement corrodé les comptes d'entreprises structurées et équipées sur des modèles économiques historiquement référents. Les agences doivent donc trouver de nouvelles poches de rentabilité. D'autant plus difficile que le Web, nouvelle force de frappe de la communication éditoriale, ne génère pas les mêmes bénéfices que le papier, a fortiori qu'un papier longtemps «survendu».

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