«Bicots», «tarlouzes», «gogolitos», «nez crochus»… Le langage fleuri des protagonistes d'Action discrète a provoqué une tempête. Dans le canular du collectif diffusé le 13 février sur Canal+, les comédiens, qui se faisaient passer pour des soutiens de Georges Frèche, insultaient à tout-va plusieurs communautés. Les réactions outragées ne se sont pas fait attendre de la part des organisations représentatives, qui ont saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel… (voir p.40).
Peut-on rire de tout? Aujourd'hui moins qu'hier, semble-t-il. Et le «oui, mais pas avec n'importe qui» de Pierre Desproges ne suffirait pas à exonérer les humoristes d'hier de la réprobation d'aujourd'hui. Qui oserait encore défendre certaines formules à l'emporte-pièce de l'auteur de Les étrangers sont nuls? Car le politiquement incorrect d'un Desproges allait parfois très loin: «Comme disait Himmler en quittant Auschwitz pour aller visiter la Hollande, on ne peut pas être à la fois au four et au moulin.» Son humour, qui cherchait à démontrer l'absurdité du racisme ou de l'antisémitisme par l'antiphrase, serait-il compris aujourd'hui?
«Globalement, l'humour à la télévision ou à la radio est beaucoup plus corseté qu'autrefois», estime Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit et auteur de l'ouvrage De quoi rions-nous, la société et ses comiques (Plon). On se souvient de Coluche déclarant en 1980 sur Radio Monte-Carlo : «Nous sommes en direct du rocher aux putes», avant de se faire virer douze jours plus tard. Il n'est pas de rire impertinent sans une certaine cruauté.
Refus de vieillir
François Jost, professeur à la Sorbonne nouvelle, se souvient encore de cette soirée où il avait assisté aux premiers pas du comique, sur la scène du Café de la gare: «Le rire de Coluche était moyennement subversif mais très ouvertement critique vis-à-vis des catégories sociales, de la bêtise.» Sur les écrans des années 2000, «il n'y a jamais eu autant de comiques pas drôles, lâche François Jost. On voit l'avènement d'humoristes comme Anne Roumanoff, qui a trouvé le succès à partir du moment où elle a donné dans le poujadisme systématique. Ou de chroniqueurs comme Stéphane Guillon, dont on sait d'avance quels ressorts ils vont utiliser.» Et vlan! «Stéphane Guillon procède d'une impertinence molle», estime quant à lui Olivier Mongin.
L'humour a changé de visage: «On est dans la dérision systématique, dans le rire ad hominem, un rire de cour de récréation, estime François Jost. Du coup, des émissions comme Le Petit Journal de Yann Barthès font figure de contre-pouvoir: montrer que Sarkozy fait deux fois le même discours, pourquoi pas. Mais se moquer des politiques qui bafouillent, je trouve le procédé un peu bas.»
La mode est, semble-t-il, à la régression infantile. Avec une généralisation de l'esprit Vidéo Gag, notamment dans les vidéos que les internautes s'échangent frénétiquement. «L'humour politique à la Bedos ne marche plus du tout, remarque Olivier Mongin. Le politique n'est plus assez fort pour donner lieu à un discours réellement subversif. Du coup, on voit apparaître un comique d'"adulescent", avec un côté "trash" lycéen, que l'on retrouve dans le succès des Beaux Gosses de Riad Sattouf. Autre exemple de succès intéressant, celui de Very Bad Trip, comédie incroyablement bête et machiste, une sorte de Bidasses en folie avec de gros moyens…» Le patron de la revue Esprit voit là les symptômes d'une société qui n'accepte plus du tout de prendre de l'âge, «un humour de vieux qui ne vieillit pas bien, qui est mal à l'aise avec son corps, mal dans sa peau, en somme».
François Jost, quant à lui, déplore «l'absence de créativité dans l'humour d'aujourd'hui. Fut un temps, dans des émissions comme Les Grands Enfants, les Jean Poiret et autres Francis Blanche venaient improviser. Nous sommes entrés dans l'ère des chroniqueurs, avec une généralisation d'un ton désabusé sur l'actualité ou les choses de la vie.» Du rire au ricanement ?