Sorti le 12 octobre dernier, « Patronnes » d’Élodie Andriot rassemble 52 portraits sur le parcours de ces numéros unes issues de différents secteurs. Une façon de mettre la lumière sur ces femmes qui entreprennent dans des milieux majoritairement masculins.
L’Hexagone compte 52 % de femmes. Ce chiffre, Élodie Andriot a décidé de lui donner sens en allant à la rencontre de 52 dirigeantes, afin de mettre en valeur ces cheffes invisibilisées. Seulement 3 au CAC40, 18 au SBF 120… L’autrice a passé plus d’un an et demi à rencontrer ces meneuses Françaises, immigrées, diplômées ou non, entre 28 et 68 ans, qui gèrent entre 2 et 420 000 personnes. Ancienne journaliste passée dans la communication, Élodie Andriot est spécialiste des questions liées aux femmes dirigeantes et à l’entrepreneuriat.
Au tout début de votre livre, vous parlez de votre rencontre avec votre numéro une : Iris Knobloch. Quel souvenir en gardez-vous ?
Élodie Andriot. J’ai grandi dans une famille avec une mère professeure, un père au CNRS, et il n’y avait pas de figure d’entrepreneure, ni l’idée de créer son entreprise dans mon entourage. Je me suis longtemps cherchée, j’ai fait une formation de journaliste, puis de communication à New York. J’ai effectué par la suite un stage chez Warner Bros en 2012 et en découvrant les locaux, je me suis rendu compte que c’était Iris qui tenait les rênes. Je suis restée subjuguée, car la plupart des rôles modèles dans le monde du cinéma et du divertissement sont généralement des actrices. J’étais face à une cheffe de l’ombre qui gère une grande société, et je me suis dit que c’était ce genre de personne que je voulais être. Elle était extraordinaire.
Le fait de ne pas être capable de citer des patronnes pendant un repas avec vos nièces vous a poussé à écrire ce livre. Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
Ça a démarré avec Madamn, un média étudiant, en 2018. J’ai fait mon parcours dans le monde du journalisme, j’ai eu un premier CDI, un deuxième, et je suis arrivée au bout du salariat. Très rapidement, j’ai senti le plafond de verre. J’avais l’objectif de devenir directrice marketing de communication, mais je me suis rendu compte que c’était un rôle plafonné, qui ne me correspondait pas profondément. Et j’ai eu un bouleversement avant la trentaine où j’ai décidé de reprendre mes études pour faire un master d’entrepreneuriat. Les intervenants étaient majoritairement des hommes, et je me demandais où se trouvaient les femmes.
Comme le milieu s’ouvrait progressivement à la gent féminine, je me suis dit que c’était l’occasion d’aller à leur rencontre. J’ai donc créé un média qui avait pour but d’échanger avec elles, car je n’arrivais pas à me projeter dans cette voie. J’envoyais des mails à trois heures du matin (heure française) pendant mon voyage d’études à l’étranger, et la première à avoir tout de suite répondu est Mercedes Erra. En l’espace d’une semaine, nous avons dû nous équiper puisque nous n’avions aucun matériel. À chaque rencontre, je me prenais une claque.
En 2020, nous avons fait un partenariat gratuit avec Les Échos et BFM Business qui ont tout de suite adhéré au projet. J’en étais à une quinzaine de d’entretiens. Juste avant le covid, je lance mon agence de communication Renowme qui réussit à cartonner même pendant la pandémie, et c’est en cherchant des livres sur l’entrepreneuriat que je me suis rendu compte qu’aucun ne mentionnait de femmes. J’ai alors décidé de me lancer dans ce projet d’écriture de livre, pour qu’on sache qui elles sont et comment elles en sont arrivées là.
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Est-ce que ça a été difficile d’en trouver 52 ?
Plutôt oui, puisque le but était d’aller chercher des profils de tous les horizons pour réaliser un livre inclusif. Je voulais au moins une femme du CAC40, une héritière, une qui n’a pas fait d’études… Pour être la plus représentative possible. Je ne voulais pas que le rendu fasse catalogue. L’objectif était de faire quelque chose de grand public, en gardant cette approche candide. La notion d’inclusion était super importante, car j’ai essayé de faire en sorte que n’importe qui puisse se reconnaître à travers leur parcours, et savoir qu’elles existent ! Par ailleurs, je n’en connaissais que très peu avant de les contacter. J’avais déjà fait 25 échanges avant même de trouver une maison d’édition…
Comment ont-elles réagi à votre demande ? Ont-elles tout de suite accepté ?
Il y a certaines pour qui j’ai dû davantage me battre comme Catherine MacGregor, ou encore Delphine Ernotte, parce qu’elles veulent garder le contrôle. L’un des points a été de faire en sorte que toutes aient un droit de relecture, car elles savent qu’elles sont attendues au tournant. On ne parle pas de choses qui relèvent de la vie intime et qu'elles ne souhaitent pas aborder.
Comment se sent-on avant d’interviewer une patronne ?
Je ne les ai pas recherchées sur internet avant de les rencontrer, et c’était voulu. Ça donnait des situations plutôt marrantes comme avec Sophie Bellon, quand je lui ai demandé ce que faisait son père et qu’elle m’a répondu que c’était le fondateur de Sodexo, c’était plutôt amusant. Je voulais aussi les rendre belles à travers les images, c’est pourquoi les photos dans le livre sont prises par moi-même – excepté cinq – lors de nos rencontres.
C’est difficile de choisir parmi les 52 femmes que vous avez rencontrées, mais y a-t-il une rencontre qui vous a marquée ?
Charlotte de Vilmorin. Lorsque nous nous sommes donné rendez-vous au Lutetia, j’ai été témoin des obstacles physiques qu’elle rencontrait. Une fois arrivées devant l’hôtel, il a fallu attendre une dizaine de minutes pour qu’on arrive à lui donner l’accès. Elle m’a ensuite dit cette phrase qui m’a particulièrement touchée : « Je n’ai jamais eu le droit à la porte d’entrée principale. » C’est ce qui rend son parcours d’autant plus inspirant avec Wheeliz, le service de location de voitures aménagées entre particuliers qu’elle a fondé.
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Parmi tous les chiffres que vous citez dans le livre, lequel devrait-on retenir ?
Très clairement les 17 % de l’écart salarial qui continuent de perdurer aujourd’hui.
« Patronnes » est à retrouver aux éditions Albin Michel au prix de 22 euros.