Management

Le chapitre du covid à peine refermé, la souffrance au travail apparaît comme l’un des sujets prioritaires des directions des ressources humaines de la rentrée 2022, avec, pour premières victimes, les tout jeunes diplômés.

Chuut ! Parler de souffrance au travail ne fait pas recette. Et le focus fait sur les jeunes ne change rien à l’affaire. Le sujet reste tabou. « Pas très vendeur, en convient Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine, cabinet engagé pour la santé psychologique et la qualité de vie au travail. Pourtant, primoaccédants au marché de l’emploi, étudiants et jeunes apprentis constituent la population la plus exposée à la détresse psychologique. C’est l’âge où l’on se construit. Or ils n’ont pas pu le faire, faute de stages, de liens avec l’entreprise, de liens sociaux. Ils n’ont pas pu trouver des repères. Ils ne croient plus pouvoir se projeter. Ces très jeunes-là sont beaucoup plus axés sur le court terme. À défaut de regarder les causes, on préfère expliquer cela par la fainéantise ». La maison des jeunes brûle, mais la société regarde ailleurs…

L'étude de Malakoff-Humanis, publiée en juillet 2022, vient étayer cette thèse. 44 % des jeunes (versus 35 % pour l’ensemble des salariés) jugent négativement leur santé mentale et l’imputent au seul contexte professionnel : intensité et temps de travail (pour 67 % d’entre eux), rapports sociaux au travail dégradés (47 %). La faute au covid ? « Tous les baromètres sur la santé mentale montrent un effet de choc au premier confinement, analyse encore Camy Puech, fondateur de Qualisocial, et porte-parole de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps), avec une remontée au deuxième, avec la confirmation que le monde allait changer… La promo 2020 a eu trois mois de lockdown, mais la plus impactée est celle qui suit, la promo 2021. Autant les salariés ont eu accès au travail à distance, autant les étudiants se sont retrouvés avec… rien. » Deux années passées à la trappe. Et, avant de se lancer sur le marché de l’emploi, ils n’ont pas eu le temps de se refaire une (bonne) santé psychologique. Les stigmates risquent de jouer sur le long terme. Comme aime à le rappeler Noémie Guerrin, formatrice en prévention des risques psychosociaux et premiers secours en santé mentale, « 75 % des troubles de la santé mentale se développent avant 24 ans ». Une étape qui est loin d’être anodine.

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« On a volé deux ans de l’adolescence de nos enfants, d’où un gros besoin de rattrapage, déplore Eric Gras, head of talent intelligence chez Indeed, métamoteur de recherche d’emploi. La transition entre études et travail a été mise à mal. Les employeurs répètent volontiers l’intérêt des jeunes pour le télétravail. Or ces derniers veulent ressentir l’entreprise. Des points qui jouent sur leur psychologie. Ils sont plus paumés. »

« Heureusement que je n’en étais pas à ce stade-là de ma vie, soupire Amandine Reitz, directrice des ressources humaines EMEA à iCIMS, société spécialisée dans les solutions d’acquisition de talents. Souvent, ce sont les parents qui transmettent l’image du travail. Or la souffrance était de mise chez leurs référents familiaux… » Comment écrit-on un mail professionnel ? Comment faire varier le registre de vocabulaire selon son interlocuteur ? Comment s’habiller ? Comprendre l’organisation à distance est compliqué… Jean Pralong, professeur de gestion des RH - titulaire de la chaire compétences, employabilité et décision RH à l’EM Normandie, se souvient d’avoir vu revenir des étudiants « qui avaient perdu ce qu’était parler à un enseignant. La socialisation n’a été faite qu’en partie. Tout le monde était placé sur le même plan, via l’écran. La vertu des déplacements avait été zappée. Les entreprises voudraient des jeunes prêts à l’emploi, tout faits, mais elles oublient que les socialiser est aussi de leur ressort. C’est leur boulot ! Dans les débats qui animent la société actuellement, les entreprises perdent de vue qu’elles sont les seules à apporter une part de l’apprentissage. Aucun candidat n’est parfait. Ce ne sont pas des caractéristiques stables dont on ne pourrait que se plaindre. »

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« L’absence de vie sociale pendant ces deux dernières années pousse aujourd’hui nos jeunes à prolonger leurs études », note Isabelle Rey-Millet, directrice générale d’Ethikonsulting, cabinet conseil aux entreprises, spécialisé dans la transformation et l’innovation managériale, et par ailleurs intervenante à l’Essec. Un master 2 de plus ? Un stage de plus ? « La chasse à la convention de stage est de mise, souligne Amandine Reitz, pour glaner six à douze mois de stage supplémentaires pour se professionnaliser. Avec les facs en ligne, hors France, la démarche est rendue plus facile. Car enchaîner trois ans de stage pose question. C’est triste ! »

Deux promotions marquées par le covid ? Elisabeth Soulié, coach et par ailleurs essayiste (La génération Z passée aux rayons X, du Éd. Cerf, 2020) parle du syndrome de l’imposteur : « Perturbés dans leur dynamique, ces jeunes-là se sentent dévalorisés sur le marché de l’emploi. Pas à la hauteur. » D’où des risques accrus sur le plan psycho-social.

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Avez-vous noté une souffrance au travail toute particulière des promos 2020 et 2021 ?

Le sujet est toujours un peu délicat. La souffrance au travail ? Je vois ce que c’est. J’ai travaillé pendant dix ans chez Publicis. C’est une réalité : on ne vit pas dans un monde de bisounours. Quelques comportements peuvent être nuisibles à tout le groupe. Je n’ai pas, aujourd’hui, un client qui ne soit pas concerné par la problématique. En « full remote », comme on l’a choisi avant même la pandémie, on a un biais. On interprète davantage les comportements. Difficile d’objectiver. Assurément, la distance est un frein à la sociabilisation, mais on vise avant tout des profils plus seniors. Nos plus jeunes collaborateurs se réunissent plus souvent.

S’agit-il donc une entreprise à deux vitesses ?

Une certaine asymétrie est perceptible. D’où tout l’art du management : faire que tout le monde avance à la même vitesse. Chacun a un vécu différent de l’entreprise. Et, aujourd’hui, chacun veut un format à la carte. Un modèle très acrobatique.

Est-ce alors de nature à vous pousser à rétropédaler ?

Pour l’instant, pas de rétropédalage ! Mais la gouvernance de notre agence va évoluer très prochainement. Chacun cherche le bon modèle. Un mouvement de balancier ? Quand des libertés ont été accordées, difficile de revenir en arrière, et donc de retrouver le format « full-site », une version monolithique. Il faut se questionner, ne jamais se laisser enfermer dans un modèle. Fraîchement reconnue comme entreprise B Corp, certification exigeante en matière environnementale et sociétale, notre agence est d’autant plus attentive à ces questions.

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