Plusieurs études montrent l’apport positif des personnes déplacées sur les sociétés d’accueil. Une charte de l’inclusion des réfugiés a été lancée pour mettre les entreprises face à leurs responsabilités.
Le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, en 2021, et la guerre en Ukraine depuis plus de six mois ont mis en lumière le sort des personnes déplacées. En août 2022, plus de 7 millions de personnes avaient quitté l’Ukraine, principalement des femmes et des enfants, et 60.000 avaient trouvé refuge en France selon le ministère de l’Intérieur. L’arrivée de ces ressortissants européens contribue à changer le regard sur les « migrants » mais pour certaines entreprises, l’accueil des immigrés est déjà une réalité. En 2020, le groupe L’Oréal s’est associé à l’organisation Place qui met en relation des étudiants étrangers avec des employés pour les aider à décrocher des entretiens d’embauche. 17 binômes ont été mis en place en deux ans. Dans une démarche similaire, l’agence BETC a accompagné en 5 ans 60 réfugiés dans leur recherche d’emploi, en partenariat avec l’association Kodiko.
Ces deux entreprises font partie des premiers signataires de la Charte de l’inclusion des personnes réfugiées et exilées en entreprise rédigée par le cabinet Utopies et l’ONG Singa, et présentée lors de la journée mondiale des réfugiés en juin dernier. On y trouve des noms aussi divers qu’Accor, Big Mamma, Chloé, Generali, Pierre & Vacances, Le Slip Français ou La Voix du Nord. Les signataires s’engagent à agir pour l’inclusion des réfugiés non seulement d’un point de vue économique, en favorisant leur employabilité, mais aussi social, en développant une culture d’inclusivité dans l’entreprise. « Cela fait plusieurs années que l’on voulait explorer le sujet du lien entre réfugiés et entreprises, à l’exemple de ce qui se fait aux Etats-Unis où Starbucks par exemple s’est engagé à embaucher 10000 réfugiés entre 2019 et 2022, contextualise Elisabeth Laville, la fondatrice d’Utopies. Les migrations sont un enjeu de notre époque entre les guerres et le changement climatique mais au-delà, nous voulons montrer qu’elles sont porteuses d’innovation par la circulation des connaissances. Les entreprises les plus inclusives sont aussi les plus innovantes. »
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Dans une note de position publiée en 2021, Utopies et Singa démontrent que l’immigration est un facteur de développement réciproque, par les transferts d’argent envoyés dans les pays d’origine, par l’apport de compétences dans des secteurs en tension comme le numérique, par la capacité à résoudre des problèmes grâce à la diversité des profils… En Allemagne, une étude de l’organisation Tent auprès de 100 entreprises ayant intégré des migrants entre 2015 et 2021 montrent que deux tiers d’entre elles en tiraient un bilan positif, citant plus d’attractivité, de productivité et de créativité. « Les réfugiés sont des personnes très résilientes, certaines repartent de zéro et sont très engagées dans leur boulot », souligne Elisabeth Laville. La mesure des résultats est un des engagements inscrits dans la charte pour changer les représentations et lever les freins. « Grâce à nos programmes de mentorat, plus de trois quarts des participants trouvent un stage, une alternance, un CDD ou un CDI, assure Lucie Mily, responsable communication de Kodiko. Dans la majorité des cas, cela répond à la volonté de l’entreprise d’avoir une action sociétale, mais parfois, cela correspond à un besoin de recrutement comme le secteur du bâtiment qui a embauché de nombreux Afghans. »
Il ne s’agit pas de donner cyniquement une valeur économique aux migrants, ou de permettre aux entreprises de se donner bonne conscience en nourrissant leur politique RSE. François Gemenne, spécialiste en migrations internationales, pointe ce risque dans la note d’Utopies et Singa : « Quand on s’interroge sur la contribution économique des migrants à l’économie française, (…) on met le doigt dans un engrenage dangereux, qui réduirait la valeur de l’individu à sa contribution économique. (…) Cette note dépasse cette question des coûts et des bénéfices : elle montre combien l’entreprise peut être un vecteur d’intégration, et comme la migration peut être une richesse pour l’entreprise. » La réalité s’impose à nos sociétés : selon les Nations-Unies, on comptait 82,4 millions de personnes obligées de fuir leur foyer dans le monde en 2020, dont 26,4 millions bénéficiant du statut de réfugié. La Banque Mondiale estime qu’il y aura 216 millions de déplacés climatiques en 2050.
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Une famille ukrainienne en Haute-Savoie
Ancien président de l’agence de design P’Référence, consultant en éco-conception, Fabrice Peltier est établi à Combloux en Haute-Savoie depuis dix ans. Le lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, il part en mini van à la frontière polonaise avec des vivres et des couvertures et revient avec deux soeurs jumelles et leurs quatre enfants. Ces derniers sont désormais scolarisés dans le village et leurs mères travaillent en centre de vacances et comme coiffeuse. Fabrice Peltier et son épouse ont depuis accueilli la grand-mère et l’arrière-grand-mère de leur nouvelle famille d’adoption.
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Pourquoi publier une charte de l’inclusion des personnes réfugiées en entreprise?
Certaines entreprises ont acquis une maturité sur la question de l’inclusion et de l’interculturalité qui justifie qu’elles s’engagent en signant une charte exigeante. L’approche a évolué ces dernières années : il ne s’agit pas seulement de former les personnes réfugiées pour les adapter à l’entreprise, c’est aussi aux organisations de s’adapter à l’enjeu de l’inclusion. De grandes entreprises l’ont bien compris, mais aussi des PME.
Quelles sont les actions de Singa?
Nous avons des activités d’accompagnement à l’entrepreneuriat ainsi que des programmes où des personnes locales rencontrent des réfugiés pour leur prêter leur capital social comme leur carnet d’adresses. Le programme « J’accueille » sur l’hébergement des personnes réfugiées multiplie par 4,5 leurs chances de trouver un emploi et par 6 leurs chances d’obtenir un logement autonome. On croit au changement de narratif sur les personnes réfugiées via les populations locales.
Pensez-vous que le regard sur les réfugiés a changé?
On perçoit une hostilité d’une partie des sociétés d’accueil mais aussi le contraire. Beaucoup sont convaincus que les nouveaux arrivés sont une chance pour la cohésion sociale et le développement économique. La façon dont l’Europe s’est mobilisée pour l’accueil des réfugiés ukrainiens donne de la force à notre plaidoyer.