La pénurie de main-d'œuvre touche de nombreux secteurs, l’évènementiel en tête. La reprise de l’activité se déroule avec des conditions de travail dégradées et les agences sont bien en peine de recruter.
« On a déjà connu des périodes tendues, mais là c’est pire que jamais ». Comme nombre de patrons d’agences événementielles, Stéphane Abitbol, président de S’cape ne sait plus où donner de la tête. Les carnets de commande sont plus que plein : « On décline 30% des demandes clients. Dans l’agence, nous sommes 70 à gérer 60 événements", souligne-t-il. Même afflux chez ses confrères. « Toute la filière est sous l’eau, les agences ne répondent même plus aux appels d’offres, confirme Benoit Ramozzi, délégué général de Lévénement qui regroupe une centaine d’agences de l'événementiel. Pour les acteurs de l’évènementiel, le rythme est impossible à suivre ». Pas une catégorie n’échappe à la règle : « En ce moment, c’est l’enfer, renchérit Elise Pichon, fondatrice du cabinet de recrutement de freelances Freeandise. La situation est hors de contrôle : les demandes des clients (délais, tarifs…) sont irrationnelles et les équipes éreintées…Les burn-outs commencent à être légions. »
En partie la faute à une pénurie de main-d'œuvre inédite qui concerne l’ensemble des métiers de la filière. Il faut dire que la crise sanitaire a fait des ravages dans les effectifs. Certaines structures ont dû licencier à tour de bras. Sans compter les départs volontaires. Selon l'Union française des métiers de l'événement (Unimev), depuis l'irruption du Covid-19, 18,1 % des postes ont été détruits. Côté agences, certains évaluent les pertes à 30%. Parfois plus : « Depuis la Covid, près de la moitié des profils de l'événementiel en agence ont changé de vie, estime Marie Deliry, directrice associée au cabinet de recrutement Lobster Communication. Soit, ils se sont reconvertis, soit ils ont déménagé en régions voire à l’étranger ». Les manques sont criants à tous les étages. « En créa, production, édition, en planning stratégique et surtout en direction de projet, détaille la spécialiste du recrutement. Les viviers n’ont pas été renouvelés, on a beaucoup de mal à recruter, d’autant que les agences, qui veulent des profils plugs and play, ne sont pas toujours prêtes à faire un pas de côté en misant sur des profils différents venant de la communication globale ou de l’annonceur ».
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Rien que dans la centaine d’agences membres de Lévénement, il manquerait selon certains « entre 500 et 600 postes de permanent en agence ». « Dans la communication digitale, on parle de 6000 postes non pourvus », relativise Guillaume Mikowski, CEO de Brainsonic. Mais il est vrai que l’on n’a jamais eu autant de postes ouverts et ce sur tous les profils ».
Pour autant, chez les jeunes, ça ne se bouscule pas au portillon. « Avec cette crise Covid, certains ont, sans doute à tort, perdu espoir sur la fiabilité du secteur et se sont réorientés, indique Marie Deliry. Et puis il faut avouer que l'événementiel souffre d’une réputation RH lamentable (sur les rémunérations, horaires de travail, équilibre vie privé/vie perso…). Dire seulement, c’est cool de bosser en agence, ça n’impressionne plus les jeunes ».
Alors comment attirer de nouveaux candidats. D’abord par des augmentations de rémunérations, même si, comme le rappelle Benoit Ramozzi, « on ne peut plus dire aujourd’hui que le secteur paie mal. Un chef de projet junior sorti d’école est rémunéré 2800 euros bruts par mois à l’embauche puis monte rapidement à 3800 euros ». De fait, mécaniquement, la pénurie de talents a fait grimper les salaires en flèche.
« Chez nous depuis la Covid, les augmentations ont été de l’ordre de 15% à 30% et ce pour à peu près tous les postes », affirme Axel Bonnichon de l’agence Black Lemon. « En agence, tous ceux qui sont restés (beaucoup sont devenus free ou partis à la concurrence ou chez l'annonceur) sont sollicités à gogo », résume Marie Deliry du cabinet Lobster Communication. « Aujourd’hui, quand un patron d’agence se réveille le matin, il n’a que deux idées en tête: rétention et attraction, appuie Guillaume Mikowski. En interne, on assiste à un mercato de dingue avec un gros taux de turn over dans toutes les agences, confirme Stéphane Lacroix, DRH/DAF de Double 2. Tous les collaborateurs sont chassés à raison de plusieurs propositions par semaine ».
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Au petit jeu du « je t’arrache tes talents », les ponts d’or sont légions. A titre d’exemple, chez Black Lemon, une chef de projet de 5 ans d’expérience, initialement autour de 37k€ (qui venait d’être augmenté de 20% à 45 k€) a été débauchée pour un package à 60/70k€, soit près de 50% d’augmentation. « Tous, seniors comme juniors, profitent de l’embellie salariale, souligne Stéphane Lacroix, DRH et DAF de Double 2. Les agences n’ont pas trop le choix. Mais à trop grassement payer les nouveaux venus, prévient le DAF, le danger est de mettre en péril l’harmonie dans l’agence sinon l’équilibre économique de l’entreprise ».
Dans cette nouvelle guerre des talents qui intervient dans un contexte de conditions de reprise du travail en mode dégradé, tous tentent de soigner leur politique RH. « Le plus important, si l'on veut continuer à attirer dans ce métier, est déjà de bien s’occuper de ceux qui restent, explique Axel Bonnichon. Comment ? Par beaucoup d’accompagnement RH et des plans de carrières solides. « On fait notamment monter les juniors en compétences pour leur donner confiance, poursuit Stéphane Lacroix. Les progressions de carrières sont accélérées, et, dans la mesure du possible, on permet à nos collaborateurs de choisir les postes et missions de leur choix ».
Aussi et surtout, il est possible de soigner les maux de certains en refusant les diktats de certains annonceurs. « Apprendre à dire non à des projets qui impliquent des conditions de travail irréelles, c’est préserver ses troupes et ne pas brader son travail, souligne Axel Bonnichon. En avril dernier, Black Lemon a par exemple annoncé ne plus s’engager dans des appels d’offres sans être payé. « La majorité des agences nous ont soutenus et les annonceurs ont également bien réagi. Dans le luxe par exemple, des groupes comme Coty ou LVMH dorénavant rémunèrent les appels d’offres ».
Stéphane Abitbol de l’agence S’cape abonde. « Pour l’avenir de nos métiers et défendre la qualité de notre travail, il est fondamental de dire stop aux délais intenables et budgets riquiqui ». Encore faut-il en avoir le courage et les moyens… « Actuellement, les conditions de travail dans la communication événementielle sont vraiment dommageables. Pour attirer aujourd’hui comme demain, il faut défendre nos savoirs faire, insiste Elise Pichon. Ensuite, il faut faire savoir combien nos métiers sont passionnants. Ils offrent en termes d’aventures humaines des instants et des émotions magiques. Pourquoi la filière ne s’organise-t-elle pas pour lancer une grande campagne RH sur la richesse de nos métiers, nous en avons grandement besoin ». Chiche !
Les formations événementielles également à la peine
Si les formations Bac +3 et Bac +5 ne manquent pas dans les universités comme dans les écoles, les candidats sont souvent aux abonnés absents. Ces deux dernières années les incessants stop-and-go du secteur ont encore joué négativement sur l’attractivité des formations Event. Moins d’étudiants donc, mais des candidats de meilleure qualité, selon les écoles qui peinent à faire face aux besoins du marché. En 2017 déjà, face à la pénurie de talents, l’UNIMEV et Lévénement lançaient, avec le soutien de 40 entreprises partenaires, LéCOLE, un cursus de deux ans pour former les managers de la filière événementielle : une école nomade où les étudiants se déplacent sur différents sites événementiels et où l’enseignement est dispensé par des professionnels. Malheureusement, LéCOLE ne forme que 20 à 25 élèves par promo.
« Nous sommes en train de mettre en place une nouvelle formation pour acculturer aux habitudes professionnelles de l’événementiel des profils externes : des directeurs techniques, des assistantes de direction, des profils de la communication globale et du marketing, des gens qui viennent du théâtre, du design, des arts vivants…, indique Hubert Dupuy, le directeur de LéCOLE. Beaucoup sont prêts à franchir le pas ».
« Les jeunes qui choisissent cette voie, ont un boulevard devant eux, affirme Stéphane Lacroix, le DRH de l’agence double 2 toutes les entreprises du secteur se battent pour les embaucher. D’ailleurs dans la majorité des formations, les étudiants ont déjà trouvé un job avant même de sortir de l’école.