Sonder les salariés sur leur travail ? L’idée fait son chemin pour s'assurer que les messages sont bien compris mais aussi pour détecter et résoudre les petits irritants qui sapent l’ambiance. De quoi fidéliser à moindre coût tout en maintenant son attractivité.
Au début, tout allait bien chez HardLoop, un site en ligne spécialiste des équipements pour la randonnée. Depuis 2015, l’équipe initiale a grandi. Aujourd’hui, les 49 collaborateurs sont répartis entre trois sites. Un vrai changement, raconte l’un des cofondateurs, Julien Jérémie : « Au départ, quand tout le monde est au même endroit, la circulation d'information est simple. Quand nous avons commencé à avoir plusieurs sites, nous avons constaté que certains éléments n'étaient pas toujours pris en compte. Nous avons découvert qu'on n'osait pas nous "déranger" avec certains sujets lors de nos venues sur les sites. Des choses comme la machine à café en panne par exemple. » Le jeune dirigeant est arrivé à la conclusion que lors de ses visites sur les sites distants, les échanges portaient essentiellement sur les « sujets concernant directement l’entreprise », de sorte qu’il devenait plus difficile, voire impossible d’évoquer des problèmes liés à la charge de travail ou à des situations personnelles comme la difficulté de trouver une « nounou » par exemple.
Les dirigeants de HardLoop se sont tournés vers un outil de sondage des collaborateurs utilisable sur mobile et avec « une dimension gamification qui fait que les sondages sont pris plus positivement. » Un choix qui a permis selon lui de traiter deux problèmes : les besoins de communication des collaborateurs et l’obtention d’une vision claire de ce que font les collaborateurs et des difficultés qu'ils rencontrent. Les données recueillies ont aussi permis de régler une question qui passait inaperçue : les règles du télétravail. « Chaque service avait ses propres règles et cela ne nous posait pas de problème mais les sondages ont fait remonter le sujet, explique Julien Jérémie. Les collaborateurs souhaitaient des règles claires. Nous avons fait une charte et réglé ce problème. Sans cet outil qui permet de faire remonter le ressenti des collaborateurs, nous ne l'aurions peut-être pas perçu aussi vite et aussi bien. »
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À Australie, c’est le projet de rapprochement et de fusion avec GAD qui a motivé fin 2019 l’adoption d’un outil de sondage. « Nous voulions prendre le pouls des collaborateurs de façon simple et intuitive pour mesurer leur engagement et mieux les embarquer dans le projet de rapprochement entre Australie et M&CSaatchi.GAD, explique Tiphaine Letroublon, responsable généraliste RH. Cela nous a permis de voir si le projet de fusion était bien compris, si les collaborateurs avaient confiance dans cette évolution, de voir s’il était en phase avec leurs attentes et de procéder à d’éventuels ajustements. » Avant que commence le rapprochement et la fusion est arrivée la crise sanitaire. Même s’il n’avait pas été prévu pour cet usage, l’outil de sondage a permis de garder le contact avec les collaborateurs et de détecter d’éventuels signes d’isolement.
En moyenne, l’agence réalise trois à quatre sondages par an avec des questions récurrentes sur la qualité de vie au travail (équilibre vie professionnelle / vie privée, qualité des relations au travail, ainsi que des questions ouvertes qui permettent à chaque collaborateur d’évoquer le sujet de son choix. La possibilité laissée à chaque utilisateur de rester anonyme est utilisée par 70 % des personnes sondées.
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De son côté, ZestMeUp est un tableau de bord destiné à recueillir l’avis des collaborateurs et à mesurer leur niveau d’engagement. Pour David Guillocheau, son directeur général, il s'agit de prendre acte des lacunes et de l’orientation des outils existants. « J’ai longtemps travaillé dans une entreprise qui fournissait des SIRH [Système d'information ressources humaines], conçus pour traiter les questions RH, explique-t-il. Or l'impact de ces systèmes d'information n'est pas à la hauteur des enjeux. Pourquoi ? Parce que les collaborateurs sont considérés comme des ressources, des ETP [Équivalent temps plein], des effectifs, etc. Globalement, ces outils ne visent que l’efficacité procédurale, avec un objectif de conformité et de dématérialisation. ils ne vont pas au bout de la démarche RH. Ils n’ont donc pas d’impact sur l’essentiel, à savoir la fidélité et l’engagement des collaborateurs qui sont les moteurs de la performance de l’entreprise. »
Si la capacité à s'engager a longtemps été tenue pour un facteur marginal, tel n’est plus le cas aujourd’hui, estime aussi Thomas Le Gac, cofondateur de Bloomin, une autre solution de sondages : « Sans engagement, les entreprises auront une perte de performance et des avis négatifs sur elles. À ce premier coût s’ajoute celui des départs, qui vont obliger à recruter. C’est long et d’autant plus coûteux que les avis négatifs écartent les meilleurs candidats. Il y a alors un risque que s’installe un cercle vicieux avec un recrutement de faible qualité qui entraînera un faible engagement et ainsi de suite. »
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Un nombre croissant de sociétés adoptent ces outils. Toutefois, leurs dirigeants souhaitent avoir la main sur les thèmes qui seront soumis à l’avis des collaborateurs. « Nous adaptons nos questionnaires aux sujets qui sont importants pour l’entreprise, ceux sur lesquels elle peut agir », indique ainsi Thomas Le Gac. Ne s’exposent-elles alors au risque de créer des angles morts et de découvrir trop tardivement des problèmes devenus impossibles à régler ? La parade existe, reprend Thomas Le Gac : « Si un problème se pose sur d’autres thématiques, les questions ouvertes permettent de les repérer. » Un moyen simple et efficace de détecter les questions épineuses avant qu’elles ne se déversent sur la place publique. Ou coûtent cher en démotivation.
« Les DRH se soucient de l'expérience collaborateur mais quand des services, comptables ou autres, mettent au point des process de contrôle, ils n'y peuvent rien. Les entreprises doivent d'abord examiner leurs normes et leurs process et se demander quel est l'objectif poursuivi et si cela contribue à installer, ou pas, un climat de confiance. Se poser cette question relève de la bonne mission pour les DRH. Ils peuvent l'évoquer au comex et souligner qu'il importe d'installer un climat de confiance pour avoir une bonne expérience collaborateur. Les DRH sont face à une difficulté majeure : ils doivent amener les gens à agir différemment alors qu'ils ne contrôlent pas tous les éléments de cette expérience collaborateur. »