Continent de toutes les jeunesses, l’Afrique continue de susciter un engouement réel de la part des écoles de management. Les modalités concrètes d’investissement et les objectifs poursuivis sont cependant très divers.
Autant d’écoles de management, autant de façons d’aborder un continent et de s’y développer. Certaines choisissent l’implantation sur place. C’est le cas de l’Essec qui a choisi d’avoir un campus en propre à Rabat, au Maroc, proposant son « Global BBA » (Bachelor Business Administration), dispensé également sur les campus de Cergy et Singapour. « Nous recherchons des étudiants partout dans le monde qui s’intéressent aux problématiques africaines et pour lesquels le campus de Rabat va susciter un véritable intérêt, explique Hugues Levecq, directeur de l’Essec Afrique. Le but est de créer un lieu où ces différentes cultures et visions peuvent se mélanger et se partager. »
Cette implantation a une seconde mission : faire venir plus d’étudiants africains dans les autres campus de l’Essec. Des actions de proximité sont donc régulièrement menées qui incluent une présence dans des salons, des visites de lycées, mais aussi des prises de parole de professeurs du campus dans la presse locale au sujet de thèmes propres à l’Afrique. Des programmes sur mesure de formation continue sont disponibles pour les entreprises. L’Essec a aussi créé un baromètre annuel sur le crowdfunding, qui lui assure un écho médiatique régulier. L'école a lancé en septembre 2022 un certificat hybride (Generation Africa) d’une durée de 12 jours destiné à tous ceux que l’Afrique intéresse.
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Pour mener son « développement international », l’université Paris Dauphine a aussi choisi de créer des campus, notamment celui de Tunis. Ouvert en 2008 et présenté comme une « transfiguration » de l’enseignement et de la recherche effectués à Paris, le campus offre à ses 400 étudiants les mêmes filières : mathématique et informatique d’un côté ; sciences des organisations de l’autre, auxquels s’ajoute une nouvelle double licence intelligence artificielle / sciences des organisations. Les diplômes délivrés sont des diplômes de Paris Dauphine et le corps enseignant est composé de binômes composés de professeurs de Paris Dauphine et de locaux. Depuis 2015, des masters (science des données, IA, SII conseil et audit) sont aussi proposés. Pour le président de l’université, El Mouhoub Mouhoud [E.M. Mouhoud], ce campus poursuit des objectifs qui dépassent largement le cadre universitaire (lire encadré).
Pour Kedge Business School, l’enjeu primordial est de satisfaire les besoins locaux et de contrer la fuite des cerveaux en arrêtant de faire venir les étudiants africains en Europe. « Comment un cadre formé au transport maritime en Europe, formé à la gestion des ports européens, peut-il être efficace à Dakar ?, s’interroge ainsi Vincent Mangematin, directeur académique de Kedge. Il faut donc former les cadres locaux pour les besoins locaux avec un cadre de référence adapté. » D’où l’idée de proposer à des acteurs africains de « travailler dans une collaboration mutuellement enrichissante ». « Nous sommes associés depuis vingt ans avec BEM Dakar, classée première business school du continent par Jeune Afrique, explique Vincent Mangematin. Nous avons développé une ingénierie pédagogique commune. » BEM Dakar délivre ainsi le Bachelor Kedge, reconnu en France, ainsi que toute une série d’autres diplômes locaux. Kedge a par ailleurs des accords avec des universités sud-africaines.
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Cette stratégie a des effets positifs à une plus large échelle, selon Vincent Mangematin, de Kedge : « Travailler avec des partenaires de grande qualité permet de délivrer plus rapidement des diplômes d’une grande qualité. Cela contribue à développer le soft power des marques et des entreprises françaises, en formant sur place des personnes avec nos systèmes de référence. » Ce mode de développement favorise également la demande future de formation continue, sur place ou en France.
HEC figure aussi parmi les écoles de management qui ont choisi une autre option que le campus. Elle dispose, depuis 2018, d’un bureau de représentation à Abidjan (Côte d’Ivoire), hébergé dans les locaux de la CGECI, le patronat ivoirien. Ce bureau a une double mission, expose Philippe Oster, directeur des affaires internationales du groupe HEC : « Il s’agit de déployer des programmes destinés aux cadres dirigeants et entrepreneurs localement, mais aussi d’augmenter notre attractivité auprès de hauts potentiels désireux de suivre un cursus particulièrement valorisant sur notre campus, en France. » La prestigieuse école de commerce propose aux « leaders et futurs leaders africains », un programme panafricain certifiant (Lead Campus : sustainable leadership in Africa) développé en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD), l’université Mohammed VI Polytechnique au Maroc et l’université de Cape Town (UCT) en Afrique du Sud. Depuis 2017, les dirigeants d’entreprise africains qui veulent « franchir un cap » peuvent suivre le Gemm (Global Executive Master in Management).
Pour augmenter la part d’étudiants africains sur son campus de Jouy-en-Josas, actuellement inférieure à 10 %, un programme de promotion de l’égalité des chances, Pact Afrique, a été lancé en 2019, avec le soutien de la Fondation HEC. Il permet d’accompagner les étudiants d’Afrique centrale et de l’Ouest dans la préparation du concours à l’admission du programme MiM Grande Ecole. « En 2022, 75 étudiants ont été accompagnés et nous envisageons d’en accompagner environ 500 en rythme annuel d’ici à trois ans », précise Philippe Oster. Les écoles de management ne ménagent pas leurs efforts pour se tourner vers un nouveau monde en développement.
Avis d’expert - «Consolider l’intégration régionale», E.M. Mouhoud, président de Paris Dauphine
« Notre campus de Tunis va attirer des étudiants du Maghreb, du Machrek et de l’Afrique sub-saharienne francophone. La diffusion du savoir et la mobilité des compétences favoriseront les relations économiques dans le cadre d’une intégration régionale de facto. Cela s’inscrit dans un objectif de "brain gain" (retour des compétences) qui s’oppose au "brain drain" (perte) du bilatéralisme. Nous essayons de favoriser une mondialisation in situ, en permettant à ceux qui, localement, en ont les capacités, d’acquérir les compétences qui vont favoriser le développement de leurs pays et les échanges entre ces mêmes pays. Les obstacles sont nombreux. Il y a d’abord le phénomène des migrations, puis celui du niveau de vie, auquel nous essayons de répondre, avec l’octroi de bourses et d’aides au logement. L’un des obstacles majeurs reste la préférence accordée au bilatéralisme du fait des coûts. Il suffit de constater que les coûts de transactions liés aux échanges, du fait du transport et des barrières douanières tarifaires et non tarifaires par exemple, sont quatre fois plus élevés pour les transactions entre ces pays, que pour celles entre chacun de ces pays et la France. Il faut absolument favoriser le développement des relations économiques entre ces pays afin que les entreprises ne viennent plus seulement pour disposer d’une main d’œuvre formée et moins chère, mais aussi pour profiter d’un marché. Celui-ci ne peut advenir que par une meilleure intégration économique entre ces pays grâce à la formation locale des élites et leur brassage. »