Formation
Avec la clôture des heures de droit individuel à la formation, au 30 juin, au profit du CPF, chacun est invité à se former. Au point qu'il est parfois difficile de ne pas y voir une source de stress tant l'injonction semble l'emporter sur l'opportunité.

Quatre professionnels du digital sur dix se disent stressés de devoir se former constamment. Réalisé sur un panel de 623 professionnels du marketing, de la communication, de la gestion de projet, du développement, du design ou encore de l’acquisition, ce sondage rendu public en juin 2021 peut surprendre. Pourtant, « up-grader » les connaissances au fil de l’eau est inhérent à ces secteurs. Alors pourquoi un tel stress ? « Jusque-là, une révolution industrielle s’étalait sur 50, 60 voire 70 ans, explique Kilian Bazin, cofondateur de Toucan Toco, entreprise de data visualisation, co-autrice de l’étude avec BDM, média destiné aux pros du digital. Le temps de la révolution numérique est de 10 à 20 ans, maximum. De quoi rebattre toutes les cartes de tous les secteurs. C’est la toute première génération à vivre un cycle complet de révolution sur ses années d’activité professionnelle. »

Formation subventionnée

Pourtant, 76% d’entre eux estiment que des formations régulières sont importantes pour maintenir leur employabilité. Au point d'y voir une forme d'injonction de la part de leur employeur ? « La pression exercée dépend beaucoup du secteur et de la taille des entreprises », analyse Yannick Petit, CEO et cofondateur de Unow, formateur en ligne.

« Le rapport à la formation a changé avec le covid, explique Augustin Valero, directeur associé du Florian Mantione Institute, cabinet conseil montpelliérain spécialisé dans les RH. Comptant aujourd’hui une armada de boîtes, la formation est subventionnée avec la crise sanitaire. »

D’après une étude parue mi-juin, signée Cegos, 81% des directeurs et responsables RH ont proposé une formation en télétravail à leurs collaborateurs (91% dans les grands groupes). Ils sont un peu moins – 69% - à avoir déployé une formation au management à distance pour les managers (79% dans les entreprises de taille intermédiaire).

Dernières statistiques tombées, celles du Baromètre Uniformation 2021 : 38% des entreprises interrogées indiquent vouloir faire évoluer les compétences de leurs équipes à la suite de la pandémie.

Être à la page

De là à parler d’injonction, il n’y a qu’un pas que franchit Manuella Roupnel-Fuentes, maître de conférences en sociologie à l’Institut universitaire de technologie (IUT) d’Angers, à l’origine d’Informa (pour Injonction à se former et à s’adapter). « Même s’il est difficile de la mesurer, commente-t-elle, le message a été assez audible, assez visible pendant la crise sanitaire. Le covid n’a fait que renforcer ce que l’on pouvait ressentir avant. Profitez-en pour vous former, a-t-on pu entendre ! Avec une vision utilitariste à la clé. De quoi devenir pesant. Il faut être à la page, au top… L’emploi comme vecteur d’intégration est une spécificité du monde occidental. Dans les politiques de l’emploi, la formation a une vraie place. Ce n’est plus un message subliminal. »

Même avec l’amorce d’un retour à des habitudes de travail normales, le contexte demeure particulier. « On est dans une urgence à reprendre l’activité, souligne Marianne Conde-Salazar, directrice du groupe Iscom (Institut supérieur de communication et de publicité), ça vient nourrir l’injonction. La crise a rappelé combien notre monde est aujourd’hui entremêlé, d’où une incitation à faire tomber les silos, à développer la culture générale. »  

« Avec cette assignation à résidence, c était que soit vous vous formiez, ou alors que vous "glandiez", commente sans filtre Antoine Valle, fondateur-dirigeant du cabinet de recrutement Rinnovo. Avant, tout se jouait sur une carte [un diplôme, un poste]. Maintenant, la session de rattrapage ne se joue pas seulement en septembre. » Se former est perçu comme élément clé de l'employabilité des salariés. Une démarche plutôt récente. « La formation allait... aux formés, dixit Manuella Roupnel-Fuentes. Le compte personnel de formation [CPF] cherche à faire évoluer la donne. La généralisation de l'injonction. »

« Trop de formations »

« Le contour du CPF n’est pas maîtrisé, constate Augustin Valero, sans compter les arnaques qui prospèrent. » Et quid de la qualité ? « On voit fleurir des lignes supplémentaires dans les CV, mais quelle est leur valeur, interroge Antoine Valle. Difficile de se faire une idée. Trop de formations tuent la valeur de la formation. »

D'où l'intérêt de la certification Qualiopi, à compter du 1er janvier 2022, avec pas moins de 30 critères à la clé. « Les entreprises qui voudront faire financer les formations de leurs salariés devront choisir dans ce catalogue, note Augustin Valero. L'État va être plus exigeant. »

Nadalette La Fonta Six, conférencière, experte en gestion de compétences, s'agace toutefois de la vision qui consiste à faire d'une opportunité une contrainte. « L’injonction voudrait dire qu’il y ait quelque chose à payer, dénonce-t-elle. C’est une expression comptable. Or la formation, ça se fait par l’adhésion. Suivre une injonction revient à prendre le risque d’un rejet possible. Regarder la pertinence pour soi est crucial. Sinon, on part d’un ressort qui repose sur la culpabilité de l’individu. On va chercher son angoisse pour l’emmener vers la formation. On est mal barré. Il y a une contradiction entre l’intérêt marqué aujourd'hui pour les softskills et l’injonction. » Salariés et recruteurs sont pris entre deux feux.

 

« Le stress ne vient pas de la formation »

Christine Fourcade-Goyard, responsable formations chez Havas.

 

En quoi se former est-il devenu une obligation ?

FNE-formation (Fonds national pour l’emploi), FNE rebond… Dans la plupart des secteurs et des activités, des injonctions de formation sont apparues, induites par les propositions d’aide du gouvernement, et la perspective de temps libre aussi. Mon métier sera-t-il bientôt obsolète ? Mon emploi sera-t-il maintenu ? Suis-je suffisamment compétent ? Les habitudes ont été bousculées, les organisations des entreprises aussi. Les formes d’apprentissage ont été chahutées. Pour faire court, c’est un « bordel » géant ! Tout ça, c’est du stress !

 

Pourquoi ce sentiment ?

Il ne vient pas de la formation, mais d’un changement de paradigme. On est totalement inégaux dans cette période qui dure, où certains sont à la limite de la dépression. Les salariés ont voulu super bien faire… Dans les petites agences, dans le digital, le nombre des arrêts de travail est en pleine progression – ,et ce depuis trois mois environ -, avec un travail en flux tendu, des effectifs réduits. Le phénomène « épicerie ».

 

Comment mieux y répondre ?

Une période nécessaire de réassurance s'amorce. Toutes les entreprises n’ont pas conscience que, sans les collaborateurs, sans les gens, on ne fait rien. « De quoi avez-vous envie ? » Voilà la question qui a été posée à nos collaborateurs. Dans les sondages réalisés en interne, la formation est citée comme gratifiante. 

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