Entrepreneuriat
À en juger par les nombreux studios de podcasts qu'elles ont lancés et les nombreuses émissions féministes, les femmes ont su investir le terrain de l'audio dès l'essor de ce secteur. Garderont-elles cette position hégémonique ?

Au dernier trimestre de 2020, selon Acast, le marché français du podcast a explosé avec une hausse de 36% des écoutes mensuelles de podcasts natifs et un boom de 40% du nombre d’utilisateurs uniques. Un tel dynamisme est surtout imputable à trois labels de production qui ont pour point commun d'avoir été fondés et/ou d'être dirigés par des femmes : Nouvelles Écoutes, qui a vu le jour en 2016 et a été initié par les journalistes Lauren Bastide – depuis partie du studio – et Julien Neuville ; Binge Audio, né la même année d’une association entre Joël Ronez et Gabrielle Boeri-Charles ; et enfin Louie Media, créé par deux anciennes journalistes de Slate, Charlotte Pudlowski et Mélissa Bounoua en 2018. 

En interne, la masse salariale est essentiellement féminine ou du moins paritaire. Chez Louie Media, la politique de la discrimination positive fait foi. «Lors de notre création, nous n’étions que des femmes, c’est ce que nous souhaitions. Lorsque nous nous sommes agrandis, nous voulions étendre l’embauche aux hommes. Puis finalement, par le bouche à oreille, seules des femmes sont venues taper à notre porte. Depuis, nous sommes restées une équipe à 100% féminine», explique la cofondatrice Mélissa Bounoua. Même histoire chez Nouvelles Écoutes, où l’équipe principale –9 salariés à temps plein– est composée de femmes.

Derrière le micro, cela a aussi des conséquences, comme l'explique Lauren Bastide, fondatrice et présentatrice du podcast féministe La Poudre : «Je m’impose des quotas toute seule comme une grande. Je fais en sorte que la moitié de mes invitées soient des femmes queers ou racisées», écrit-elle dans son livre Présentes (Allary éditions). À l’inverse, chez Binge Audio, la parité est tenue à tous les niveaux. «Au comité de direction, nous sommes deux hommes et deux femmes. Pareil dans le choix de nos intervenants, chaque trimestre nous réalisons des statistiques pour rendre compte de la présence des femmes et des hommes au micro en tant qu’experts et témoins. La parité est respectée. C’est l’avantage dans la création d’entreprise, on peut se permettre de réinventer et de porter une vision progressiste», note la cofondatrice et directrice générale de Binge, Gabrielle Boeri-Charles.

Parole libérée

Au commencement des podcasts, seuls des sujets de niche, type geek culture, étaient abordés. Puis, en 2016, des podcasts féministes dont La Poudre de Lauren Bastide et Un podcast à soi de Charlotte Bienaimé ont été diffusés. Lauren Bastide relate cette expérience dans son livre. «J’ai créé fin 2016 un podcast qui s’appelle La Poudre et dans lequel j’ai interviewé longuement des femmes. Je les ai interviewées, détail important, sans les interrompre ni leur expliquer la vie, ce qui est reposant dans un espace médiatique où tout être féminin doit composer, en permanence, avec les aléas du manterrupting (dû à ces hommes qui interrompent systématiquement les femmes) et du mansplaining (dû à ces hommes qui expliquent la vie aux femmes).»

En effet, dans le paysage médiatique, les femmes ne totalisent que 35% du temps d'expression sur les radios et les télés, selon le rapport du CSA publié le 4 mars dernier. «Leur parole est libérée dans les podcasts par rapport aux autres médias où la voix est assez formatée, avance Pauline Laigneau, créatrice du podcast Le Gratin, qui traite justement d’entrepreneuriat. Cela explique que de nombreuses femmes décident de se mettre à la tête de studios de podcast. Elles s’emparent plus librement du micro pour parler de sujets qui leur ressemblent, des sujets d’engagements mais aussi d’entrepreneuriat.» Le podcast fait donc plus que d’apporter de nouvelles voix. «De la même manière qu'avec les blogs, la parole est illimitée, les formats sont cassés. Les femmes ne sont pas contraintes par des limites de temps comparé à la radio», ajoute Mélissa Bounoua. 

Relation intime

Et dans ce huis clos audio, une relation presque intimiste se crée entre le présentateur et l'auditeur. En découle des ressentis, des combats, des débats... «La voix transmet beaucoup de sincérité et c’est ce qui se dégage du combat féministe», explique la cofondatrice de Louie Media. «Le podcast favorise également la proximité, l’intimité avec un format qui permet d’explorer des sujets en profondeur. La promesse d’authenticité, avec la présence de rires ou encore de formules maladroites, fait toute la richesse de cet outil. Les femmes, grâce à ce nouveau média, peuvent avoir un impact sur les gens, les inspirer mais surtout se faire entendre, avec une autre voix. Il est probable que l’exemple de podcasts à succès lancés par des femmes donne des idées à d’autres. Ainsi, un cercle vertueux s’instaure et le monde du podcast français se féminise tous les jours un peu plus», intervient la fondatrice du Gratin.

Même si la tendance tend à s'inverser. Désormais, les hommes mettent aussi leurs «couilles sur la table», pour reprendre le titre d'un podcast à succès (lire encadré). Étant donné la croissance exponentielle de ce marché, la gent masculine n’a pas tardé à investir ce terrain fertile. «La démarche s’est professionnalisée, et depuis, de nombreux hommes ont lancé leurs propres studios de podcasts», annonce Mélissa Bounoua. Si elles ne continuent pas dans cette voie, les femmes auront sans doute entrepris d'investir un nouveau médium. Pour se faire entendre. 

Le carton d'un podcast féministe sur la virilité 

Treizième du classement des podcasts les plus écoutés en France selon l'ACPM, en février 2021, Les Couilles sur la table, présenté par la journaliste Victoire Tuaillon, met à mal le mythe de la virilité sous un titre très parlant. Gabrielle Boeri-Charles, la codirigeante de Binge Audio qui héberge le podcast, se souvient du lancement en septembre 2017 : «Victoire Tuaillon était déjà journaliste mais elle n’avait jamais eu l’occasion ou la possibilité de faire ce type de sujet. Nous pressentions qu’il y avait une attente et nous avons simplement répondu à un besoin.» Titre du dernier épisode (le 70ème) de ce podcast qui paraît un jeudi sur deux : La politique, d'homme à homme.

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