Tribune
Après des années d'immobilisme, la pandémie de la Covid-19 aura eu ce mérite d'accélérer la transformation numérique des entreprises et des organisations

Les évangélisateurs se sont échinés pendant des années à prêcher la bonne parole de la transformation numérique. Las, les prophètes n'ont souvent été entendus que par une minorité d'adeptes, les sceptiques et les partisans de l'immobilisme déployant des trésors d'inertie pour que surtout rien ne bouge. Manque de vision, manque de courage, les obstacles ont été nombreux. Un pur chemin de croix. Pourquoi changer ce qui a toujours marché ? Ne nous leurrons pas, transformer l'entreprise, comme changer la vie, est un processus lent. Pour l'enclencher, il faut avoir la foi chevillée au corps et une capacité de résilience hors du commun. Il aura finalement fallu un facteur exogène pour accélérer la transformation numérique des entreprises et des organisations : une pandémie.

On peut trouver choquante cette assertion, partant d'un constat que ce scénario catastrophe se trouvait plus dans les films hollywoodiens les plus dystopiques que dans les manuels de management ou la presse économique. La Covid-19 est à la fois un révélateur et un catalyseur. Révélateur, car elle a démontré aux plus aveugles que leurs organisations étaient construites sur du sable, incapables de faire face à la nécessité de poursuivre l'activité en respectant les règles de confinement généralisé de leurs personnels.

A l'aube des années 2000, rappelons-le, internet devait sauver le monde, ce monde qui était supposé basculer en version 2.0 vingt ans plus tard. C’est finalement un virus qui a mis un coup d'arrêt aux fantasmes et poussé les entreprises à se transformer réellement pour assurer leur survie. La Covid est le catalyseur de cette transformation. «Qu'est-ce qu'on attend pour mettre le feu», chantait dans les années 90 un duo de rappeurs. La Covid a allumé l'incendie, fragilisant toutes les certitudes, toutes les idées reçues et forçant tout un chacun à faire preuve d'imagination pour inventer le monde d'après.

L'agilité ne se décrète pas

Le «too big to fail» a été remis en question, toutes les organisations s'accrochant à leur modèle ancien ont été mises à mal, ébranlées. Il y a dans cette année 2020 tous les ingrédients d'une histoire tragique : des protagonistes confrontés à une situation exceptionnelle les plaçant au pied du mur, un risque d'effondrement, et l'intervention d'adjuvants, qui vont sinon apporter le remède du moins laisser entrevoir un début de solution.

Les grandes organisations, telles l'albatros de Baudelaire, sont ralenties par l'inertie naturelle de leurs technostructures. L'agilité ne se décrète pas. Leurs ailes de géant les empêchent de s'envoler rapidement. Il est de facto nécessaire de faire appel à des acteurs extérieurs, des hyper-spécialistes leaders dans leur domaine, alliant expertise analytique et expertise opérationnelle, conseil et mise en œuvre, afin de permettre à ces gros acteurs de s'adapter au nouveau contexte en un temps record, assurant au passage non seulement leur survie, mais facilitant aussi leur nouvel essor.

Il en est ainsi de la transformation numérique, elle n'est pas que cosmétique - auquel cas elle ne sert à rien. Il faut à tout prix éviter l'épilogue du Guépard, selon lequel il faut que tout change pour que rien ne change. Il faut réellement tout changer. Grâce aux ressources du numérique. Sans mantra, sans a priori, sans idées toutes faites ou préjugés.

Chercher à utiliser les GAFAM

A ce titre, on peut déplorer la montée en puissance des GAFAM, qui ont su apporter à leurs clients et utilisateurs des solutions clé en main et, de facto, s'imposer face à l'absence de solutions alternatives. Pour autant, existe-t-il une alternative efficace ? Et n'est-il pas envisageable, par pur pragmatisme, de chercher à utiliser les GAFAM plutôt que s'évertuer à pousser des incantations indignées, intéressantes d'un strict point de vue rhétorique mais sans efficacité d'un point de vue purement opérationnel ? Il est nécessaire de s'appuyer sur l'adversaire pour arriver à ses fins.

Sun-Tzu l'a formulé dans L'Art de la guerre : «La grande science est de lui [l’adversaire] faire vouloir tout ce que vous voulez qu’il fasse, et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder.» Il ne faut en aucun cas se tromper d’ennemi. La valorisation des GAFAM atteint quatre fois celle de l’ensemble du CAC 40, il est vain de les attaquer frontalement. Il est donc nécessaire pour participer à cette accélération de la transformation numérique de travailler sa proposition de valeur : face à des mastodontes hyper-généralistes, il faut se comporter en hyper-spécialistes.

Ne blâmons pas la Covid, prenons le recul nécessaire, même si la sortie de la pandémie est encore incertaine, et considérons-la comme l’un des facteurs qui va permettre au monde de l’entreprise de se transformer radicalement. Le prix à payer aura été élevé. Mais le monde qui en sortira ne peut être que meilleur.

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