Tribune
Avec la crise sanitaire, les entreprises doivent repenser la notion de lieu de travail, en intégrant les nouvelles façons de travailler à distance. Il y a urgence.

Port du masque au bureau et distanciation sociale : les mesures sanitaires du gouvernement percutent à nouveau l’entreprise. Et ce confinement à l’extérieur devrait durer, au moins dans les nouvelles zones rouges. Monde d’avant, pendant ou d’après, peu importe finalement. L’entreprise durable doit prendre la mesure de la contrainte pandémique – risque qu’il faudra bientôt assurer – et s’adapter. Le gouvernement l’a compris en demandant aux partenaires sociaux de négocier sur le télétravail. Les syndicats veulent le généraliser, les employeurs, l’encourager.

Querelle sémantique ? Pas seulement. Le contexte pandémique pose la question de la productivité dans un contexte de limitation des flux de circulation lié au risque de contagion sur le lieu de travail. Le président du Medef a d’ailleurs exprimé ses craintes, le télétravail ne devant pas servir d’alibi à une nouvelle baisse du temps de travail, voire à une semaine de quatre jours qui ne dirait pas son nom… Le collectif de travail qu’est l’entreprise peut-il se maintenir sérieusement dans la durée sans collectif présentiel ? Le travail finalement sans lieu de travail est-il possible ?

Ce future of work s’invite dans notre quotidien en passant par la case crise. Certains médias avaient titré avant le confinement que cette vaste réflexion sur l’avenir du travail se révélerait finalement décevante. C’est pourtant tout le contraire car du mode de gouvernance va dépendre l’organisation spatiale d’une entreprise, si ce n’est l’inverse, virus oblige.

Système à bout de souffle

Jusqu’ici, à l’idée d’entreprise correspondaient unité de lieu, unité de temps et unité d’action. On ne travaillait bien que dans le temps dévolu au travail sur un lieu de travail donné, au service d’un objectif productif. Notre droit du travail campe toujours sur cette conception postée, née de l’industrie. L’entreprise-lieu unique avait aussi pour but inavoué de mettre en scène le pouvoir. Un département mesurait son importance à l’espace occupé. Voir et être vu devenait une des raisons d’être des quartiers généraux d’entreprise, au point de perdre de vue la vraie raison d’être.

Le système du bureau, métonymie de la bureaucratie, est aujourd’hui à bout de souffle car il est dans les faits peu optimisateur. Il représente déjà un coût non négligeable, le poste immobilier arrivant en 2e ou 3e position des dépenses de l’entreprise. Au point d’occasionner tous les six ans des déménagements réguliers au terme du bail. Demander aujourd’hui aux salariés de privilégier le travail à distance questionne l’utilité de continuer à entretenir la même surface de bureaux… vidés pour partie de leurs travailleurs.

Il a aussi plus souvent cloisonné que fédéré. Or, les nouveaux métiers de ce siècle – tech, conseil, stratégie – exigent un fonctionnement inverse. Pour être efficace, le collaborateur doit être inspiré et inspirateur, et plus un simple exécutant. Avec les soft skills (créativité, adaptabilité, humanité), les collaborateurs misent sur l’intelligence collective et attendent de l’entreprise la réalisation de cette synergie, avec moins de contrôle collectif et plus de responsabilisation individuelle. Certaines évolutions sont déjà à l’œuvre même si la concentration spatiale de l’effectif reste encore la norme.

Double exigence de flexibilité et de socialisation

Mais une gouvernance qui ne côtoie pas ses effectifs peut-elle se faire obéir, donner l’impulsion nécessaire ? Passer d’un extrême à l’autre ne réglera rien sans évolution des mentalités ni comparaison des performances économiques. Différents modèles vont prendre le relais pour satisfaire cette double exigence de flexibilité et de socialisation.

Le fonctionnement familial nous donne un embryon de réponse. Nous sommes reliés à distance sans pour autant partager notre quotidien. Mais nous sélectionnons les moments et les lieux pour nous retrouver, prendre les grandes décisions et partager les annonces. Et ces moments sont d’autant plus forts – plus «productifs» dans un langage d’entreprise – qu’ils sont espacés dans le temps.

On peut imaginer que coexisteront à l’avenir plusieurs types de lieux de travail allant du plus au moins «concentré», sans nécessité pour toutes les entreprises de disposer systématiquement en propre de vastes locaux. Les lieux intermittents de travail destinés à faire vivre le collectif opérationnel de l’entreprise seront décisifs. La fourniture de tels lieux, enrichis en nouveaux services, relèvera de professionnels. Le lieu de travail s’externalisera progressivement, sachant que les questionnements immobiliers sont devenus plus que stratégiques depuis quelques mois. Entreprise responsable, optimisation du travail, lieux inspirants, tout marche ensemble. Le virus nous demande juste d’aller plus vite…

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