Ressources humaines
Professeur en psychologie du travail à la Lancaster University Management School, le Britannique Cary Cooper analyse les mutations à l'oeuvre dans la façon dont les employeurs gèrent les salariés.

Les travailleurs sont-ils plus heureux aujourd'hui qu'il y a quarante ans, avant la naissance de l'informatique?

Cary Cooper. Non, ils sont moins heureux. Tout d'abord, plus personne n'a vraiment de garantie sur son job. C'est peut-être moins le cas en France en raison de la législation du travail, mais globalement plus personne n'a un job assuré à vie. Ensuite, il y a plus de mobilité entre les métiers; les travailleurs changent plus souvent d'entreprise, voire de spécialité, notamment parce qu'ils ne se sentent pas assez valorisés dans leur fonction. Tout cela crée une forte incertitude. Il y a de moins en moins de personnes nécessaires dans l'environnement physique du travail, en partie à cause du rôle toujours plus important des technologies, mais aussi parce que les employeurs cherchent à réduire autant que possible le coût du travail.

 

Mais le digital ne facilite-t-il pas un grand nombre de tâches?

CC. En fait, potentiellement acccessibles 24 heures sur 24, les employés travaillent plus qu'avant, mais en moins de temps. Ils peuvent cumuler plusieurs jobs en un seul, ce qui crée chez eux de l'anxiété.

 

Netflix ou Virgin laissent leurs employés gérer eux-mêmes le calendrier de leurs vacances, en totale autonomie. Est-ce un piège?

CC. J'aime cette idée consistant à donner de l'autonomie et du contrôle aux employés. Le message implicite est «on a confiance en vous». Le salarié sait qu'il a toute latitude pour être en vacances à la date, à l'endroit et pour la durée qu'il souhaite dès lors que ce qu'il a à faire est fait en temps et en heure. Ainsi, il est traité en adulte. Avec une nette majorité des emplois classés dans les services,  ce modèle de gestion est sans doute applicable dans la plupart des entreprises. En sachant que le «contrat psychologique» doit être respecté de part et d'autre. Chaque partie s'engage à une certaine loyauté vis-à-vis de l'autre.

 

Une récente enquête de PWC conclut qu'une nette majorité de DRH s'attend à ce que le partage massif de données personnelles devienne indispensable au sein d'une entreprise...

CC. Là encore, tout dépendra de la façon dont le contrat psychologique est appliqué. Toutes les recherches démontrent que les travailleurs qui ont plus d'autonomie sont plus satisfaits, créatifs et productifs. Cela posera problème si l'employeur tire un avantage déloyal de ce genre de dispositif.

 

Le monde du travail doit-il s'adapter aux digital natives, ou bien le contraire?

CC. La génération Y vient juste d'entrer sur le marché du travail, et il semble que celui-ci ne correspond pas à ce qu'elle attendait. Ces jeunes travailleurs sauront néanmoins s'adapter car ils apprennent vite, de façon flexible, y compris seuls, depuis chez eux. Mais ils devront franchir une étape importante dans la façon dont ils socialisent dans le monde réel du travail. Ils devront comprendre que les vraies collaborations sont celles du «face-à-face», que la créativité, la productivité, vient essentiellement de là. S'ils ne le font pas, ils feront un burn out plus tôt que prévu. La révolution industrielle en cours aboutit à une redéfinition de la géographie du travail, avec de plus en plus de travailleurs qui restent chez eux. Mais comme une majorité tient aussi à préserver des contacts réels, on s'oriente vers un modèle intermédiaire. Il est important de trouver le bon équilibre, entre le virtuel et le réel. Si ces jeunes travailleurs, énormément fixés sur leurs écrans, franchissent le pas, nous aurons des communautés et entreprises beaucoup plus créatives.

 

Comment situez-vous la France en matière de management, en comparaison des autres grands pays?

CC. Contrairement à ce qui se dit, le taux de suicides au travail en France n'est pas plus élevé qu'ailleurs. En revanche, les entreprises françaises doivent progresser dans la gestion du stress, et de la détection des signes de malaise ou de maladie chez les employés. C'est l'un des rares pays de l'UE où très peu a été fait en matière de gestion du stress. Mes confrères français demandent depuis longtemps la mise en place d'une politique en la matière, mais les entreprises sont réticentes, comme si elles avaient peur d'ouvrir la boîte de Pandore.

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