Durant toute sa campagne et jusqu'à l'élection, François Hollande avait prévenu ses alliés, ses électeurs et les médias. La communication se plierait à son rythme et à sa manière de présider, la forme importerait peu; la mise en scène n'était que poudre aux yeux. Fermez le ban. Vingt-trois mois et autant de couacs plus tard, la communication semble avoir (re)gagné ses galons au plus haut sommet de l'Etat. En nommant Manuel Valls pour remplacer Jean-Marc Ayrault, discret à l'excès, l'inflexion est si forte qu'elle pourrait être annonciatrice d'un lien (ré)incarné avec l'opinion. Ancien responsable de la communication à Matignon sous Lionel Jospin, de 1997 à 2001, puis directeur de la communication de la campagne présidentielle de François Hollande, en 2012, le deuxième Premier ministre du quinquennat est rompu aux us et coutumes de la communication. Faut-il s'en réjouir? Oui, pleinement. De surcroît si le nouveau locataire de Matignon séquence, raconte, digitalise et écoute.
Les séquences, ou le «come-back» de Jacques Pilhan. L'un des principaux ouvriers de trois campagnes présidentielles gagnées (1981, 1988 puis 1995), excusez du peu, fut le premier à parler d'écriture médiatique. Soulignant notamment la différence entre le signal et le bruit, Jacques Pilhan pointait la permanence des points de vue qui marquait, entre autres, les deux mandats Clinton (1992-2000) aux Etats-Unis. Ladite permanence finissant par se confondre avec le bruit médiatique affadissant, ainsi, le Président et ses propos. Pour autant, les séquences sont-elles, aujourd'hui, «digitalo-compatibles»? Oui, à une condition: partager un type de récit singulier pour Les Echos, TF1, Ouest France ou le Financial Times, un autre pour Tweeter, un nouveau pour Facebook, un dernier pour Slate, le Huffington Post ou Le Plus du Nouvel Observateur…, et ne pas considérer la multitude de nouveaux canaux comme de simples chambres d'échos des plus anciens.
La narration, ou raconter une histoire aux Français est aux antipodes de leur raconter des histoires tout en sous-tendant la confiance. Et là… le référendum sur le projet de constitution européenne, en 2005, fut l'un des moments de forte bascule. La quasi-totalité des éditorialistes de la presse française était, en effet, favorable au projet constitutionnel. Ils l'ont abondamment dit sans laisser d'espaces à celles et ceux qui ne l'étaient pas. Résultat… 54,68% des votants ont dit «non». Le politique et les médias étaient en face des électeurs. Frontalement. Rassembler les deux camps, aujourd'hui focalisés sur d'autres sujets, par une narration juste, claire et visionnaire, sera le préalable indispensable à une confiance recouvrée.
La digitalisation? Henri Verdier, coauteur de L'Age de la multitude (éditions Armand Colin), le dit sans ambages: «La révolution numérique bouleverse les échanges, l'économie, l'entreprise, l'éducation (…). Il est donc inévitable qu'elle vienne finalement ébranler une manière ancienne de concevoir le management, l'organisation, l'exercice du pouvoir et, finalement, l'Etat lui-même.» Puisse Manuel Valls ne pas se laisser aspirer par une administration trop sûre d'elle-même, d'une part, et investir l'ensemble des innombrables chemins offerts par la voie numérique pour présenter, promouvoir, partager, réagir, interagir, donner le ton, anticiper ou offrir un clin d'œil à des moments d'union nationale, que le sport permet par exemple.
L'écoute, enfin, est une condition préalable à toute communication depuis que l'homme manie le langage. Ecoute et langage intimement liés afin de rendre au dernier sa vertu première, celle d'être un vecteur de manifestation de la vérité. En stricte opposition avec ce que certains acteurs politiques ont pratiqué assidument: donner à la communication et, par voie de conséquences, au langage une fonction théâtrale au seul service du renouvellement d'un mandat ou d'une fonction.
Manuel Valls, doté d'une très fine marge de manœuvre politique, s'appuiera donc, entre autres, sur la communication pour recouvrer une forme qui a très largement fait défaut à l'équipe précédente. Elle lui permettra d'incarner sa propre histoire en la confondant avec celle du pays dont il dirige le gouvernement. Inconditionnel de Clemenceau, figure tutélaire de la gauche progressiste, Manuel Valls est un enfant de l'immigration mais aussi celui de l'invasion des écrans. A lui de faire taire celles ou ceux qui expliquent que la communication n'est qu'un vernis. A lui de rapprocher communication et politique qui, depuis Aristote, sont étroitement liées.
Enfin, le nouveau Premier ministre a d'ores et déjà montré, depuis quelques jours, sa capacité à imposer le rythme et à (se) mettre en scène tout en endossant son nouveau costume. Sa proximité professionnelle avec les médias, travaillée de longue date, permet à ses équipes ladite organisation. Sa proximité amicale avec Stéphane Fouks [vice-président d'Havas] devrait finir de l'optimiser. Souhaitons-lui. Pour la politique. Pour la communication. Pour que Clemenceau ait une seconde vie.