L'information officielle est tombée en janvier: la télé d'Orange c'est terminé. Malgré une offre de qualité et des investissements massifs sur plusieurs années, elle n'a pas réussi à s'imposer. En tant que spécialiste des noms de marque, cet échec m'interpelle. Il me semble représentatif des mauvais résultats obtenus par les extensions de marques construites sur le modèle «marque mère + qualifiant descriptif ».
Une marque, même puissante comme Orange, ne peut se contenter d'adjoindre à son nom un qualifiant descriptif pour percer sur un marché nouveau, déjà occupé par des concurrents puissants, éloigné de son territoire d'origine. Un vrai nom, pensé, spécifique et protégeable est nécessaire pour susciter l'intérêt et suggérer qu'il se passe quelque chose de nouveau qui vaut le coup d'aller voir de plus près.
Or, d'emblée, l'offre TV d'Orange, du fait de son nom, indépendamment de sa réalité et de sa communication, nous laisse penser qu'elle n'a rien de nouveau. Elle est trahie par son nom, elle n'a rien à dire sur elle-même sauf: je suis créée par Orange, ce qui bien sûr ne suffit pas à nous intéresser. Qui d'entre vous a été interpellé par cette offre, a eu envie d'en savoir davantage?
On touche là un problème de fond des grandes marques: elles croient leur image suffisante pour faire la différence alors que l'acheteur est d'abord en recherche d'un plus-produit spécifique, suggéré d'emblée par un nom lui-même spécifique. Être une «mégabrand» et avoir un beau budget de communication ne suffit pas pour percer sur un nouveau territoire préempté par d'autres marques. Il faut aussi trouver un vrai plus et le mettre en scène d'emblée, de façon originale, dans le nom.
Le nom n'est pas seulement un élément du mix mais le mot qui résume et identifie l'ensemble du mix. Dans notre imaginaire le nom d'une chose est cette chose; toutes les valeurs et notions associées au nom se transfèrent sur la chose, le produit et ceci indépendamment de toute communication même massive.
Il est illusoire et dangereux de croire qu'une bonne communication peut «rattraper» un nom basique : la greffe d'un message intéressant sur un nom basique ne prend pas, on crée ce qui s'appelle en psychologie une dissonance cognitive, une tension entre deux éléments contradictoires, qui conduit à l'évacuation du message. Au final, c'est la dimension basique du nom qui s'impose dans l'induction d'image.
Ainsi la télé d'Orange nous promettait de réinventer la télé, mais ce nom-là, qui est tout sauf réinventé, refuse toute réinvention ... Alors que bien sûr il fallait de la réinvention pour percer sur ce marché. Quelques exemples: le retrait annoncé en décembre de la gamme Nivea Beauté en Allemagne, l'échec du lancement de l'offre jeunes de la Caisse d'épargne - responsable pour certains de la décision par l'annonceur de changer d'agence -, la disparition de Taillefine équilibre (biscuits), les échecs des bleus Société ou Lou Pérac, du mail de La Poste, de plusieurs offres bancaires de téléphonie, etc.
En 2001, qu'on se rappelle: Itineris, qui rassemblait 14 millions de clients, disparaissait avec Ola et Mobicarte au profit de l'hégémonique Orange, Michel Bon était l'homme de l'année de Stratégies... avant de quitter France Télécom en 2002 tandis que la stratégie de suppression de marques se poursuivait dans l'entreprise : Wanadoo et Maligne TV, aux débuts prometteurs, disparaissant au profit d'Orange.fr et la télé d'orange. Toute la stratégie d'appellations de France Télécom se recentrait alors sur le modèle: Orange + qualifiants descriptifs, comme si tout autre nom fort devenait inutile, comme si la marque Orange pouvait tout, toute seule...
Je vous invite à vous interroger sur la part du nom dans la réussite d'un lancement ou dans la construction d'un imaginaire collectif motivant autour d'un concept quel qu'il soit.