On m'a beaucoup interrogé, ces derniers temps, sur la multiplication des offres musicales à destination des marques. Est-ce l'expression d'une tendance correspondant à un besoin croissant des marques en matière de musique? A quelle expertise cela correspond-il vraiment? Comment ces propositions très diverses peuvent-elles s'articuler au service de la marque? Depuis plus de quinze ans que je dirige Sixième Son (…), je n'avais jamais vu une telle abondance devant laquelle prendre un peu de recul s'impose.
Tout d'abord, je ne crois pas que les marques aient besoin de beaucoup plus de musique aujourd'hui. Très rares sont celles qui, légitimement, peuvent endosser les habits d'une maison de disques. Air France et Coca-Cola ont des histoires et des positionnements trop spécifiques pour que leurs cas se généralisent. Ma pratique des marques au quotidien me convainc aisément que les annonceurs cherchent à substituer une approche qualitative à une approche quantitative, qui dominait jusqu'à présent. Ils ont longtemps abordé la musique comme un élément de divertissement, un vecteur d'émotion et un outil d'illustration.
Aujourd'hui, la musique est clairement devenue un langage dont la portée va bien au-delà de la séduction. C'est un levier de sens et d'impact, qui laisse une trace et permet aux marques de mieux se faire comprendre, de se faire mieux entendre à condition de bien savoir aborder le sujet. Dans le concert des sons et des musiques que nos oreilles subissent chaque jour, émerger et se valoriser nécessite d'être avare de sons, mais avec des sons bien mieux pensés.
Désormais, les points de contacts sonores se multipliant, outre la publicité TV, la radio, la téléphonie ou le point de vente, qui sont les vecteurs classiques, la marque dispose avec le Net et les portables d'un vecteur très puissant. Cette multiplication est, à mon sens, un appel à une cohérence sans faille car à l'heure du grand zapping multicanal, c'est la rigueur, la constance, la congruence entre tous les signes émis par la marque qui finissent par créer de la valeur.
(…) Le parallèle avec la construction d'un territoire visuel doit tomber sous le sens. Une marque peut parfaitement trouver un intérêt à collaborer avec un peintre, un illustrateur ou un graphiste à la condition d'avoir bâti un territoire graphique qui sert ses valeurs, son positionnement, contribue à sa compréhension et à son attractivité. Au cœur de ce dispositif, l'identité visuelle s'impose comme le plus puissant des signes autour duquel se greffent d'autres éléments visuels, pour enrichir et nourrir le territoire visuel.
Sous l'angle sonore, les termes se posent de façon identique. Pour créer de la valeur avec la musique, un titre connu ou inconnu, la marque a au préalable besoin de définir une stratégie musicale et une identité sonore bien construites.
Notre travail de créateur d'identité sonore, la force de notre conseil ne peuvent pas et ne doivent pas vouloir répondre à tous les besoins musicaux de la marque, sous peine de l'appauvrir. J'ai été très séduit par la démarche d'une professionnelle comme Valérie Montiel, la patronne de la production chez Young & Rubicam, qui m'a impressionné par sa détermination à la fois à respecter la stratégie sonore que nous avions définie pour un client commun tout en répondant, avec créativité et originalité, à un exercice musical publicitaire qui semblait s'en éloigner.
Lors d'une toute autre expérience, j'ai trouvé chez Laps Design, l'un des grands spécialistes du design sonore de l'objet, une maturité très forte qui poussait leurs designers à intégrer à leur démarche créative la démarche identitaire que nous avions initiée.
Ce sont deux exemples d'un savoir-faire sonore et musical spécifique, en rien redondant avec la notre, et qui créé de la valeur. Toutes les expertises sont faites pour se parler et contribuer, chacune à leur niveau, à une expression musicale et sonore riche et valorisante, pour le plus grand bien des annonceurs, de leurs marques et de l'expérience client. La condition est la pertinence de l'expertise en question, la profondeur de son contenu, et le respect avec lequel elle s'exerce au regard de la marque et des autres expertises.
Attention, tout de même, la crise du disque et le brouillard dans lequel vivent nombre de maisons de disques poussent beaucoup de professionnels à chercher des débouchés auprès des marques. A mon sens, c'est une bonne nouvelle pour les annonceurs, à condition que ces derniers sachent vraiment tirer parti de ces opportunités.
Si elles visent juste, exploitent ces contenus parce qu'ils servent une vision et nourrissent leur territoire, les marques multiplient leurs chances de succès. Si l'on vise à faire du buzz, à dénicher un talent dont l'univers est hors sujet au regard du territoire de marque, on peut se faire plaisir, mais ce n'est pas sans danger. Les exemples de destruction de valeur dans ce domaine ne manquent pas. Avant d'aborder ce genre de collaboration, la marque doit être au clair sur qui elle est et quel est son territoire musical. Aujourd'hui, la création d'une musique de marque ne s'improvise pas. C'est un vrai métier autant que l'est le design et le branding d'une marque. A bon entendeur…