Le grand retour du print. Chaque année, ces papiers poussent comme des marronniers et hésitent entre méthode Coué et analyse des faits. Et si le papier n’était pas mort ? Et si le print retrouvait toute sa gloire d’antan ? On procède par incantation pour défendre, à raison, une certaine idée de la qualité, de la profondeur des contenus, du temps long de l’analyse, de l’élégance de la direction artistique, d’une mise en page et d’une belle impression, du rendez-vous régulier et/ou sacralisé avec l’écrit qui reste, alors que les paroles, elles, s’envolent. Tout cela est vrai. Ô combien pour ceux qui, comme moi, ont tant collectionné de livres, de revues, de magazines, encore émus par l’odeur de l’encre fraîche, par la qualité d’une couture Singer et le grain d’un papier.
Nous avons pourtant assisté, ces dix dernières années, à la lente et inexorable disparition des documents institutionnels imprimés qui faisaient les beaux jours de bien des agences. Sous les feux croisés des plateformes de production industrialisant cet artisanat, le print est entré d’abord dans le registre des commodités et du mal nécessaire. Sous celui des solutions numériques alternatives, incarnant une irrésistible modernité, le pixel a eu peu à peu raison de l’encre et du papier.
Puis la RSE s’est invitée dans le paysage pour faire tomber des arbres les dernières feuilles qui résistaient encore. L’automne s’est partout installé au motif d’une communication durable, économe en papier, pointant du doigt ces dépenses inutiles pour des documents que, soudain, plus personne ne lisait : une étude montrait que le temps consacré à la lecture d’un rapport annuel ne dépassait guère 5 minutes. On lui préféra alors les publications en ligne dont toutes les études confirment qu’elles ne sont pas consultées davantage… en oubliant de relier l’intérêt des publications, qu’elles soient imprimées ou numériques, au désamour des lecteurs.
Affectio societatis
De fait, il faut avant tout questionner la pertinence des contenus proposés qui, ces dernières années, ont largement fait part de leur défiance vis-à-vis des marques et des histoires qu’elles nous racontent. On peut espérer que la crise traversée puisse, de ce point de vue, être salutaire. Pour les deux mondes. Comment reprendre la parole après ces deux années d’abstinence et de silence ? Comment retisser les liens d’un corps social disloqué, partiellement tenu durablement à distance, dont les relations à l’entreprise se résument aux outils de visio, devenus par ailleurs dominants, voire envahissants ? Comment penser le temps long des fondamentaux, des engagements attendus et le temps court de l’activation, sans imaginer une réallocation pertinente et raisonnée des médias ?
Ce sentiment est partagé par plusieurs acteurs. Le papier revient tranquillement s’installer dans le mix des entreprises comme si la consultation d’un journal, d’une brochure redonnait corps à l’« affectio societatis ». Comme si ces documents scellaient l’idée des retrouvailles et des causes communes. Comme si, lassés des swipes et des scrolls permanents, comme pour échapper par anticipation à notre dissolution dans le métavers, nous prenions du plaisir au feuilletage confortable d’une publication qui donne sa chance à l’analyse, la parole à ceux qui savent, et échappe ainsi à la dictature de la punchline.
Contre toute attente, la crise des semi-conducteurs pourrait, en la matière, accélérer cet ironique retournement. Autrement dit, la tension sur les terres rares, matériaux indispensables à leur production, les conséquences écologiques dramatiques de leur production altèrent encore davantage l’empreinte écologique du numérique et le risque d’épuisement de matériaux fossiles. Couper des arbres que l’on peut replanter, utiliser du papier que l’on peut recycler sont des alternatives qui font sens. Cette revanche de Gutenberg n’en est pas une. Elle est simplement de nature à 3 redonner toute leur place aux écrits qui restent, du moins à ceux qui valent la peine d’être lus.