Il est tentant de faire débuter la campagne numérique 2022 par l’homérique bataille de mèmes et de hashtags entre zemmouristes et mélenchonistes pendant le débat de BFMTV. Ce serait oublier qu’Emmanuel Macron, probable candidat à sa réélection, laboure déjà le terrain numérique depuis plusieurs mois.
La campagne aurait en réalité plutôt débuté le 23 mai 2021, quand le président de la République a reçu, sous les ors de l’Élysée, McFly et Carlito, dans ce qui s’apparente à un blockbuster de « com pol » : 15 millions de vues, rien que sur YouTube. Pas un mot de politique durant ces 36 minutes baroques mais un clin d’œil appuyé à la jeunesse, à ces primo-votants qui pourraient s’abstenir ou être, au contraire, les faiseurs de roi en 2022. Dans les derniers sondages, Emmanuel Macron obtient son score le plus élevé chez les 18-24 ans (entre 28 et 31%).
D’ordinaire, la campagne numérique profite avant tout aux outsiders, à l’exemple de Ségolène Royal en 2007 ou de Jean-Luc Mélenchon en 2017. Cette année, chacun dans son style et sur son terrain, Éric Zemmour et Sandrine Rousseau ont su tirer profit d’une mobilisation en ligne pour émerger comme des acteurs incontournables. Mais une fois n’est pas coutume, le vent des réseaux pourrait aussi être favorable au pouvoir en place.
Emmanuel Macron a trouvé son style numérique cet été à l’occasion de séances de questions-réponses sur la vaccination sur TikTok et Instagram. Qui imagine le Général de Gaulle faire des selfies vidéo ? Personne, et c’est sans doute l’atout du président, qui a su sortir de la solennité de sa fonction pour s’adresser de manière simple et directe aux jeunes. Une cible essentielle pour 2022. « Il n'y a rien de plus faux que l'idée selon laquelle les jeunes s'intéresseraient moins à la politique qu'avant », estime le streamer politique Jean Massiet. Si les jeunes se détournent des formes traditionnelles de l'expression politique, ils sont « extrêmement friands de nouvelles formes de politisation ».
Les jeunes zélés de Zemmour
Éric Zemmour est l’autre candidat (probable) qui sait mobiliser la jeunesse des internets. Sa campagne à bas bruit a commencé sur Twitter, sous les clameurs des « Jeunes avec Zemmour », un bruyant collectif de fans qui a chauffé la pièce avant l’arrivée du « Z ». Selon le dernier baromètre Odoxa/Dentsu Consulting, le polémiste est la deuxième personnalité politique générant le plus de conversations sur le web, après Emmanuel Macron. Éric Zemmour bénéficie déjà d’un dispositif numérique solide, avec un community management rodé aux joutes numériques, des partisans zélés sur les réseaux et une chaîne YouTube ouverte pour compenser la perte de son émission sur CNews.
Quel réseau sera le plus déterminant en 2022 ? L’exécutif a fait son choix. « Le réseau social de la campagne 2022 sera Instagram. Il n'y a plus de part de marché électorale sur Twitter », glissait un conseiller du gouvernement interrogé par France Info.
Il faudra également suivre de près Twitch, cette plateforme de streaming sur laquelle la politique devient chaque jour plus populaire. Jean Castex et François Hollande s’étaient prêtés à l’exercice plus tôt dans l’année, invités par Samuel Étienne. Le débat Mélenchon-Zemmour a trouvé une audience inattendue sur la plateforme, alors que trois streamers renommés diffusaient et commentaient en direct les images de BFMTV.
Dans une décision controversée, la chaîne a fait sauter ces streams, alors qu’elle diffusait elle-même sur Twitch son propre live commenté. La bataille entre BFM et les streamers a fait moins de bruit que les éclats de Mélenchon et Zemmour mais elle marque à coup sûr une des lignes de force de cette campagne numérique. La télévision, qui reste la place forte de la politique, laissera-t-elle la place qu’il mérite au web ?